Je me souviens de toi, papa, et de tes rires quand maman renversait le plat qu'elle avait mis plusieurs heures à préparer. Je me souviens de ton regard tendre quand tu la contemplais en train de lire dans notre jardin. Je me souviens de nos sorties dominicales en famille au parc avec cette lueur de bonheur que tu n'as plus jamais eu.
Je me souviens de ce soir là ... dans ton bureau..... quand tu m'as assuré qu'elle était tombée.
Je me souviens de sa dernière étreinte. Et de la tienne. Je me souviens de ton indifférence qui a suivi, des nuits que je passais à la porte de ton bureau à t'écouter gémir, à t'entendre t’apitoyer. Je me souviens du jour ou tu as arrêté de me voir. Je me souviens du jour où tu es devenu l'homme le plus détesté et celui ou tu as cessé de l'être, enlevé et assassiné. Repose en paix, Papa.

Le crépuscule tombait sur le lac. Assise sous un saule, Juliet contemplait la beauté du paysage, ce lac, aussi immense et profond que sa peine, ce ciel, rose orangé, aussi paisible et doux que son soulagement, ce soleil couchant et son reflet tout aussi lumineux, ondulant, ces embruns, cette herbe, cette odeur, ses larmes.
Pour la première fois depuis longtemps, à l'abri des regards, Juliet se laissait aller, submergée par tout un tas d'émotions contradictoires. La tristesse, le regret, la colère, le soulagement, le remord, la honte. Si seulement Iseult n'était pas morte, si seulement Brutus était resté le même, si seulement, les gens l'avait connu, si seulement ils l'avaient vu autrement ? Sans doute serait-il encore là.

C'était comme si tout convergeait à cet instant. Elle devant ce lac. Tout ce qu'elle avait traversé la menait ici. Comme si le sort c'était chargé d'elle et de son histoire, que tout cela avait un sens. Que ses parents étaient destinés à mourir et elle à vivre. Mais quelles leçons avaient-elles à tirer de cela ?

Et soudain, quelqu'un la sorti de ses questionnements et de sa solitude ...

Lorsque Tara prononça son nom, la jeune serdaigle passa machinalement ses mains sous ses yeux, afin d'effacer toute trace de son chagrin, et les essuya sur sa cape. Encore dos à elle, Juliet ne reconnut pas la voix féminine qui s'adressait à elle. Ce n'était donc pas l'un de ses amis, qui se comptaient de toute façon sur les doigts d'une main. Ça devait être encore un de ces curieux en manque de potins, venant se délecter des larmes de la fille du ministre de la magie le plus détesté depuis des lustres. Sur la défensive, elle répondit :

- Si c'est pour me dire qu'il le méritait, tu peux repartir !!

Elle ne s'était pas rendue compte en s'adressant à elle, qu'elle venait d'arracher deux bonnes poignées d'herbes et qu'elle les serrait si fort que ses ongles cisaillaient le bas de ses paumes. Les yeux rouges, verrouillés sur l'horizon, Juliet espérait, par sa phrase, faire fuir quiconque viendrait troubler sa solitude.
....Si l'intrus pouvait repartir comme il était venu, Juliet pourrait pleurer la perte de son père en paix...Si seulement..

Avant que la gryffondor ne s'approche davantage, une nouvelle personne entra dans son champ de vision, se positionnant devant elle. Ses mains trouvèrent les siennes et elle lâcha les cadavres de pelouse qui tombèrent lentement sur le parterre de feuilles. Ses yeux sombres et ses mains chaudes la calmèrent presque aussitôt, tout comme la sérénité qu'il dégageait dans ce paysage à son image. La présence de Bobby lui rappelait l'absence de Joshua. Ou était-il ? Etait-il en sécurité avec ses proches ? Pourquoi ne lui donnait-il pas de nouvelles ? Ses yeux se levèrent jusqu'à lui et ils n'échangèrent aucun mot, puisque aucun n'était nécessaire. Aucun n'était suffisant.
Toujours amère, un peu moins fermée, elle se retourna au bout de quelques longues secondes vers l'autre jeune femme qui s'installa à ses côtés. Sa main étrangère était malgré tout réconfortante, comme ses paroles. Cette fille qu'elle ne côtoyait pas semblait sincèrement touchée par la mort de son père, ou en tout cas par son sort à elle. Etait-elle à l'image des autres élèves ? Profiterait-elle de cette occasion pour tenter de vraiment la connaître ou verrait-elle un moyen de l'enfoncer davantage ? La première solution semblait la bonne... Et elle, trop souvent farouche, se laisserait-elle approcher ?
Sa seconde phrase la laissa perplexe. Juliet ne croyait en aucun dieu. Elle était bien trop sceptique et attachée à la science pour croire qu'il y avait autre chose. Et même malgré la disparition de sa mère, elle ne pouvait imaginer une telle chose. Il n'y a rien après la mort à part le vide et la tristesse pour ceux qui restent. Et c'est cela qui avait mené Brutus à sa fin. La tristesse et sans doute la culpabilité.
Quand elle était enfant, elle s'était souvent rattachée à l'idée que sa mère avait rejoint les étoiles et la regardait d'où elle était. Quelle idée séduisante ! Mais à présent, elle ne pensait qu'au soulagement. Son père était libre, et son meurtre avait soulagé la population sorcière. Mais alors pourquoi se sentait-elle si mal ?
Tout en serrant les mains de son ami, elle adressa un léger clignement d'yeux à la gryffondor afin de la remercier de ses mots puis répondit implacable :

- Ses actions sont impardonnables.....mais il n'était pas que cela...il était autrement.... il y a longtemps..

Et c'est cette image de lui qu'elle souhaitait garder, celle de l'homme qui a épousé sa mère, celle du père qui a élevé ses enfants, celle de l'homme qu'il fut et qui n'était plus.