Quand elle avait reçu la lettre du père de Bradley, Daisy n'en avait pas cru ses yeux. Bradley était de retour. Son meilleur ami, disparu, qui n'avait plus laissé de nouvelles depuis au moins deux ans. Malgré leurs différends à la fin de leur scolarité, Daisy n'avait jamais cessé de penser à lui. Ou était-il ? Etait-il toujours en vie ? Des questions qui l'avait taraudée les jours où elle avait eu le plus besoin de lui, à son mariage, à sa dispute avec ses sœurs, le jour ou elle commis l'irréparable dans le secret de la chambre maritale, le jour de sa marque. Savait-il ce qui lui était arrivé ? Prenait-il des nouvelles d'elle ? Elle fixa la lettre couverte de la belle écriture du père Johnson et s'arma d'un courage qu'on ne lui connaissait pas.

Elle transplana dans le jardin de la famille Johnson et courut jusqu'à la porte d'entrée, afin d'éviter la pluie. Elle tapa plusieurs coups de son poing et avant d'entonner le quatrième, elle entendit des éclats de voix et des bruits sourds s'élevant de la véranda. Elle longea le mur de l'entrée, passa la petite muraille de pierre et flotta jusqu’aux vitres embuées de la véranda. Trempée, elle posa ses mains sur la surface vitrée et tenta de voir au travers. Les sons caractéristiques d'une bagarre se firent plus fort, mais la jeune femme ne distinguait vaguement que deux silhouettes.
Que se passait-il ? Bradley était-il en train de se faire massacrer par son père ? Saisie par cette image, bien trop familière à son goût, l’ancienne serpentard tambourina à la porte de la véranda, attendant désespérément que le bourreau vienne lui ouvrir arrêtant ainsi son supplice.




(Détails : Daisy arbore désormais les cheveux bruns, elle est plus maigre qu'avant, elle est trempée par la pluie. Elle est toute de noire vêtue)

Les premiers mots qui lui échappèrent la firent reculer d’un pas, et la figèrent sur place, la pluie ruisselant sur son visage, plaquant ses mèches brunes. Les quelques secondes qui suivirent semblèrent suspendues dans le temps, chacun scrutant l’autre, détaillant leurs visages comme pour le première fois, à la recherche de ce qu’ils avaient été l’un pour l’autre. Bradley avait peu changé physiquement, mais dans ses traits elle sentait une nouvelle maturité qu’elle ne lui connaissait pas. L’insouciance avait quitté ses yeux, laissant place à une lueur plus adulte, déroutante. Elle pouvait y lire sa surprise, mais aussi une sorte de déception. Passé le premier choc de le savoir en vie et bien réel sous ses yeux, elle posa son regard gris sur ses mains ensanglantées et amorça un pas vers lui. Etait-il blessé ?
Il l’accueillit par un - Va-t-en Daisy, tu n'as rien à faire ici incisif. Loin de se braquer, la jeune femme approcha son bras et saisit sa main dans la sienne, afin de voir d’éventuelles plaies. Sa main était chaude, auréolée d’un sang qui n’était pas le sien, souillant la peau blanche de l’ancienne serpentard.

- C'est comme cela que tu m'accueilles ? Dit-elle d'un ton rempli de sous-entendu

Au-delà de la violence de ses paroles, son nom de famille dans sa bouche lui rappela sa longue absence. Bradley ne savait pas et elle eut envie de lui rétorquer, blessée, presque outrée, la vérité sur son nouveau statut. Mais elle se tut. Tout en fronçant les sourcils, elle étrécit ses yeux et le dévisagea avec insistance. Il n’avait jamais pris ce ton avec elle, que lui prenait-il tout à coup ?

- Ceux de mon engeance.. Marmonna-t-elle…

Daisy se rapprocha de nouveau de lui et le vit sortir sa baguette. Une menace ? Décidément cette rencontre était pleine de surprise. Non pas qu’elle s’attendait à des retrouvailles chaleureuses, avec des accolades interminables, des larmes dégoulinantes ou des sentiments déclarés. Mais elle ne s’était définitivement pas attendue à ce mur de glace, complètement insensible à son retour. Les joues rosies par l’agacement elle baissa la tête en relevant ses yeux fixes.

- Ceux de mon engeance .. Répéta-t-elle

Avec la douceur du serpent, la jeune femme saisit la baguette de son ancien meilleur ami et la guida contre sa poitrine, l’enfonçant dans le tissu de sa cape :

- Et bien vas-y ! Lui dit-elle sur un ton de défi.

De son regard insistant dans le sien, il vacilla sur l’arrière plan. En découvrant la masse étendue derrière lui, elle reconnut la silhouette du père Johnson et après s’être dégagée de l’emprise de sa baguette, elle pénétra dans la pièce. Aucune stupeur, aucune émotion, la simple satisfaction de pouvoir lui répondre :

- Tu n’es pas si différent de moi, finalement …

C’est vrai elle ne savait pas ce qu’il avait traversé durant ces deux dernières années, et pour cause, il ne lui avait donné aucun signe de vie, ni à elle, ni à sa famille à lui. Et il revenait comme une fleur, sans rien dire. Si Mr Johnson ne l’avait pas contacté, elle serait restée dans l’ignorance de son retour. Quand il pointa de nouveau sa baguette sur elle, elle ne bougea pas et fronça les sourcils à sa longue plaidoirie. Le rouge lui monta aux joues, alors que la colère enserra sa gorge :

- Le mal que je fais autour de moi ? Dit-elle avec ironie.. Mr Bradley innocent Johnson .. Tu n’en sais pas plus à propos de moi ! Ma vie a toujours était rose, n’est-ce pas ? J’ai baigné dans le bonheur, pendant deux ans, avec une famille et des amis qui se soucient de moi ?

Elle s’emballa, sa voix montant dans les aigus :

- Regarde moi bien Bradley, je suis devenue exactement comme je le devais ! Et tu n’étais pas là pour me soutenir ou me ramener en arrière. Tu es parti ! Tu nous a abandonné !!! Tu es lâche et .. maintenant que tu es de retour, tu te crois au dessus de tout, comme si t’avais tout compris, comme si tout était permis … Tu te fais une crise existentielle deux ans trop tard, quand plus personne ne peut t’entendre, quand tout le monde a choisi son camps !

Aucune raison ne trouverait grâce à ses yeux de toute façon alors elle s’épargna d’en dire plus au sujet de ses motivations et continua, dédaigneuse :

- Pourquoi ne repars-tu pas d’où tu viens …

Il déversa de nouveau son flot dans lequel Daisy ne se noya pas. Elle percevait en lui ce qu’il avait trop longtemps refoulé, comme s’il se libérait enfin de l’emprise de ceux qui l’avait soumis. Elle le fixa sans réagir, prenant chaque vague de mots comme une nouvelle attaque envers elle, la braquant, la faisant camper sur ses positions. Puis il prononça la phrase de trop : « Toi aussi tu aurais pu dire non » . La barricade était scellée. Sans plus prêter attention aux revendications de l’ancien serpentard, elle posa un regard dur et commenta :

- Mais t’as le cerveau complètement retourné, mon pauvre Bradley !!!!

Il continua sa tirade plus doucement, empreint de doute et de rancœur, et la jeune femme sentit de nouveau la rage nouer sa gorge.

- Ton père m’avait dit que tu avais perdu la raison, mais ça va au-delà de ce que j’avais pu imaginer. Dit-elle en secouant la tête négativement

Finalement, Bradley avait complètement changé, c’était un esprit totalement différent dans un corps qui lui, semblait le même. Quand il prononça enfin sa question, Daisy resta bête. Tout revenait toujours à lui. Ses buts avaient changés, mais son arrogance et son égocentrisme étaient intacts. Elle se contenta de répondre à ses interrogations avec la sincérité qu’elle lui devait :

- J’aurais été auprès de toi .. car notre amitié allait bien au-delà de nos différences. Peut-être t’aurais-je écouté ? Peut-être que j’aurais eu une autre vie ……

Elle songea à tout ce qui c’était déroulé depuis son départ et aux représailles qu’elle avait subi quand elle avait tenté la rébellion. Mais sans les bons soutiens, elle avait été vaine et s’était soldée par l’abdication totale de l’ancienne blonde.

- Mais comme tu peux le voir, j’ai pris une voie que tu n’emprunteras plus …

Elle le dévisagea avec une lueur de tendresse, en souvenir de tout ce qu’ils avaient traversé ensemble, puis renonça :

- Il est temps de nous dire Adieu pour de bon …

Il fuyait.. encore une fois. Alors que le jeune homme disparaissait hors de sa vue, sans le prononcer, un sort jaillit de la baguette de l'ancienne serpentard et vint s’abattre contre l'immense miroir au dessus de la cheminée, zébrant le reflet de la véranda. Sans un regard pour le corps du paternel, ni même le souvenir de celui de son fils, la jeune femme prit le chemin inverse de celui qu'elle avait emprunté et disparu dans le bruissement de sa cape. Alors qu'elle quittait la demeure Johnson, elle se promit en elle-même que le sort de Bradley se jouerait bientôt, car il semblait en savoir beaucoup trop sur ses anciens amis...


[ THE END ]