Tu te moques de moi ?

Le reproche était sorti tout seul, mais Garance était trop abasourdie pour s'embarrasser plus longtemps de la moindre convenance : dans son esprit, la honte se mêlait à la surprise, tandis qu'elle n'osait plus soutenir le regard manifestement blessé du jeune garçon qu'elle venait d'embrasser avant de repousser avec la plus grande violence. Elle n'avait pas supporté la trahison qu'elle était parvenue un court instant à lire dans le regard du Serpentard, et les joues rouges de contrariété et de malaise avait baissé les yeux tandis que Raphaël avait repris la parole, la voix déformée par une colère à peine contenue. Elle avait été trop loin, elle le savait, elle le sentait, mais ne regrettait pas son accès de courage pour ne pas dire d'inconscience : plus que jamais, Raphaël lui parlait avec sincérité, même si elle ne voulait, ni même ne pouvait encore le reconnaître.

Tu es né-moldu ? répéta-t-elle lentement, articulant soigneusement ce terme avec une consternation grandissante. Excuse-moi, mais j'ai un peu de mal  à te suivre. Serais-tu en train de sous-entendre que tu fais d'un enfer la vie de certains sorciers qui ont le sang plus pur que le tien ?

Et peu à peu dans le ton de la jeune fille, on discernait non plus le désappointement mais un dédain galopant, pour ne pas parler de dégoût croissant.

Garance secoua la tête, submergée par les informations : seules restaient palpables son indignation, et son incompréhension. Mais il n'était plus l'heure de poser des questions, de chercher à comprendre, car finalement cela n'avait que si peu d'intérêt, et cela ne la regardait en rien. Si Raphaël en tant que né-moldu trouvait qu'il était de son devoir de tourmenter les autres sangs impurs et de réduire jusqu'à sa propre famille en esclavage, tel était son problème, point à la ligne.

Pauvre idiote ! se rabroua-t-elle mentalement, ulcérée par le simple propos que sa traîtresse de voix intérieure venait de tenir. Sa conscience, elle, lui dictait de le dénoncer, de mettre fin à ses agissements odieux, de prendre pour gallion comptant la révélation qu'il venait de lui faire, et de jeter sa réputation à terre. Comment pouvait-elle penser une seule seconde à le laisser repartir en toute impunité, et protéger son odieux secret ? Voilà qui ferait d'elle une bien mauvaise traîtresse à son sang - quelle ironie ! - que de couver le secret d'un tyran en puissance indigne de son titre. Quelle réaction aurait Sirius s'il venait à l'apprendre...

Rien qu'à cette évocation, la jeune fille eut un frisson, et chercha du regard la silhouette de Raphaël qui se tenait toujours non loin d'elle. Aucun des deux ne parlait. Raphaël n'avait pas l'air en colère, ni même particulièrement terrifié, comme si le fait qu'elle, Garance Folkhart, Gryffondor acharnée frayant avec les Maraudeurs, soit au courant de cet extraordinaire secret ne lui faisait ni chaud ni rien. Comme s'il savait déjà que...

Je ne dirais rien, lui rétorqua-t-elle après mûre réflexion, tandis qu'il lui signifiait qu'elle pouvait faire ce qu'elle voulait de cette confidence, et qu'il ne regrettait rien de ce qu'il s'était passé entre eux. Le feu lui monta aux joues, tandis qu'elle répétait d'une voix rendue plus forte par la détermination : Je ne dirais rien, mais tu vas devoir cesser tes agissements à Poudlard. Si j'apprends que tu as recommencé...

La jeune fille laissa planer un court silence, aussi bien pour donner une tournure menaçante à son propos que pour pouvoir avoir une vue panoramique sur son inexorable et intolérable trahison envers ses amis. Elle le tenait, elle pouvait mettre fin à ce règne de la terreur qu'il menait à Poudlard, elle pouvait le mettre à terre, le détruire et protéger ses amis... Une boule se forma dans sa gorge, mais Garance avait déjà pris sa décision.

Si j'apprends que tu as recommencé, alors Poudlard saura, promit-elle d'une petite voix tandis que Raphaël disparaissait sans bruit dans l'angle de la demeure De Talmon. D'un pas chancelant, Garance se dirigea vers les trois marches qui menaient à la grandiose terrasse arrière, et se laissa glisser le long de la rampe, les jambes coupées. Elle venait de laisser partir Raphaël Febvre sans lui nuire, alors qu'elle avait toute les raisons du monde, et tout le pouvoir du monde, de le faire. Toute, sauf une. Ce baiser, qui venait de chambouler leurs destinées à tous les deux.




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