La sorcière releva la tête, posant son regard sombre sur le reflet que lui renvoyait le miroir. Vêtue d'une robe blanche du plus simple appareil, elle se trouvait ridicule. Que ne puis-je me marier en noir ? Un essaim de cousines voletait autour d'elle, piquant des perles dans sa chevelure noire, passant de la poudre rose sur ses joues, resserrant le lacet du corset. Bellatrix lâcha un dehors glacial, rompant l'ambiance joviale de la préparation. Les cousines se figèrent sur place et lorsqu'elle rencontrèrent le regard noir de la future mariée, elles quittèrent la pièce en piaillant. Bellatrix attrapa sa baguette et fit éclater le miroir en centaines d'éclats de verre qui tombèrent sur le sol, brisant son reflet. Elle s'approcha de la fenêtre, jouant nerveusement avec le tissu de sa robe. Elle n'aimait pas ne pas être aux commandes. Elle n'aimait pas ne pas diriger chaque instant de sa vie. Et cet après-midi la privait de tout contrôle. Cygnus Black III devait déjà se tenir dans l'église, fier d'avoir ainsi organisé l'avenir de la dynastie Black. Et qu'était-elle, dans ses plans d'avenir ? Elle n'était qu'une poupée de chiffon dont on tire les ficelles, sans prendre garde au cœur ni à l'âme. Et Cygnus Black n'avait que faire des états d'âme de sa fille aînée. Elle était son héritière, elle devait faire honneur à leur famille et perpétrer leur race. Bellatrix suivait les idéaux de son père, mais une solution moins extrême l'aurait tout aussi bien arrangée. 

Bellatrix quitta la pièce, vêtue de sa robe blanche et traversa le couloir jusqu'à un petit patio. Les invités du mariage y avaient accès. Cependant, ils se tenaient tous debout dans l'église, prêts à voir s'unir les héritiers Black et Lestrange devant l'autel, pour le meilleur et pour le pire. Pour le pire, surtout. La jeune femme de dix-huit ans marcha quelques instants avant de s'arrêter devant un bosquet de roses. Elle exécrait les roses. Elles étaient le symbole d'un amour véritable, d'une promesse de passion que le temps ne pourrait ébranler. Elles lui faisaient un pied de nez en ce jour de noce avec leur belle corolle. Bellatrix en saisit une et en arracha les pétales un par un avant de jeter ce qu'il restait de la fleur sur l'herbe. Elle l'écrasa sous son talon en fulminant et se retourna pour retourner aux derniers préparatifs. Bellatrix resta glacée de surprise. Que faisait-il ici ? Son cœur s'arrêta de battre. Elle plongea son regard sombre dans les yeux clairs du jeune homme qui se tenait devant elle. Qu'est-ce que tu fais ici, Antonin ?

Son regard sombre plongé dans les yeux brillants d'Antonin, Bellatrix était tétanisée. Il était bien la dernière personne qu'elle s'attendait à voir le jour de son mariage. Après-tout, n'avait-elle pas mis fin à leur idylle dès qu'elle avait su pour son union avec l'héritier Lestrange ? Elle ne voulait pas qu'il souffre. Et c'était elle dont le cœur se glaçait. Il n'y avait aucune passion, dans son mariage avec Rodolphus - juste des arrangements d'argent et de pouvoir. Rien de l'adoration qu'elle avait si longtemps vue briller dans les yeux du Russe.

Tu mens, répondit-elle avec froideur, sans bouger. Ses pieds semblaient cloués au sol et elle saisit un pan de sa robe pour cacher le tremblement de ses mains. Elle habituellement pleine d'assurance perdait de sa superbe. Antonin n'aurait pas dû venir. Il n'aurait pas dû être là, en face d'elle, le jour de son mariage. Tu n'aurais pas dû venir, dit-elle d'une voix forte avant de lui tourner le dos, inspirant profondément. Le blanc, c'est l'innocence, la candeur, les rêves d'enfance. Je n'ai rien de tout ça, dit-elle, le regard perdu dans l'herbe à ses pieds. Elle ne s'était jamais permis qu'un seul rêve. Un unique espoir bafoué par l'écrasante autorité de Cygnus Black et ses inexorables plans d'avenir. Elle avait espéré, une stupide fois, pouvoir faire sa vie. Devenir une femme, faire ses propres choix. Et son unique rêve avait fuit. Pourtant il revenait la hanter, dans toute l'arrogance de sa liberté. Vis, dit-elle en se retournant, plongeant son regard obscur dans celui d'Antonin. Pour tout ce que nous n'aurons pas vécu ensemble. Pour nous. Puis elle se détourna de lui et regagna la pièce où elle devait se préparer.  

Pourquoi ne s'étaient-ils pas enfuis ? Pourquoi n'avait-elle pas tenu tête à son père ? Tant de questions qui rongeaient Bellatrix. Lorsqu'elle l'entendit entrer dans la pièce, elle se retourna pour le regarder dans les yeux - se persuader qu'elle ne l'aimait plus, qu'elle vivrait très bien sans lui. Mais elle ne pouvait pas se mentir à elle-même, malgré tous ses talents mensongers. La question d'Antonin résonna comme le son du glas, emplissant l'âme de Bellatrix de toutes ces images qu'elle devait effacer de sa mémoire. Ployer, répondit-elle d'une voix morne. Quel autre choix ai-je donc ? dit-elle d'une voix vide de sentiments, tandis que ses mains tremblaient. Elle perdait le contrôle d'elle-même. Se retourna, elle fit face au miroir et, pour la première fois, plongea son regard dans le reflet qu'il lui renvoyait, à travers les minces bouts de verre encore accrochés au cadre. Une jeune femme lui faisait face, résignée, soumise, docile. Ses yeux sombres, vides d'une vie qu'elle fuyait, n'avaient plus l'éclat de son adolescence, l'impétuosité de sa jeunesse. Âgée d'à peine vingt ans, elle voyait son avenir tracé - inexorable.

Elle ne parvenait pas à échapper à ces souvenirs qu'ils avaient construis ensemble. Se retournant vers Antonin, les lèvres tremblantes, elle darda son regard sombre sur son visage, pleine de colère et d'amertume. Contre elle-même. Tu n'aurais pas dû venir. Que n'était-il resté loin d'elle en ce jour maudit ? Son visage dépité, ses yeux tristes, elle ne pouvait passer outre. Elle ne pouvait échapper à son regard. Elle ne pouvait échapper au reflet qu'elle voyait dans ses yeux. Pourquoi n'avait-il pas fait comme elle le lui avait ordonné, en cette tragique soirée d'été ? Pourquoi ne l'avait-il pas fuie ? Je le répète. Oublie-moi. Ces mots lui déchiraient le cœur et lui brûlaient l'âme. Elle l'aimait. Mais parce que les conventions l'exigeaient, parce que sa famille l'ordonnait, elle devait l'oublier. Aller à l'encontre de son désir et effacer de sa mémoire tout ce qu'ils avaient partagé. La sécurité dans ses bras, l'éclat d'amour dans ses prunelles, la grâce dans ses mouvements, l'impétuosité dans ses actes. Tout devait disparaître... 

La main d'Antonin sur son épaule fut comme si sa peau était entrée en contact avec un fer rouge, gravant dans sa chaire leurs amours passées. Leurs regards ne se quittaient plus, s'unissant une dernière fois dans le reflet que leur renvoyait le miroir brisé. Comme leurs vies. En épousant Rodolphus, Bellatrix disait adieu à son bonheur. Et faire face à l'unique personne qui aurait pu lui en procurer, en ce jour de deuil, était plus dur qu'elle l'avait imaginé en le voyant entrer dans la pièce.

Bellatrix ferma les yeux, s'imprégnant du contact des doigts de son amant sur sa peau - une dernière fois. Sa bouche s'ouvrit légèrement. Il avait été le seul, l'unique à éveiller en elle le désir d'un homme. Elle n'en avait jamais voulu aucun autre. Et pour cela, elle avait voulu savoir s'il en valait la peine, attendant leur dernière année à Poudlard pour se décider et abaisser ses remparts, le laissant pénétrer dans son intimité. Ils avaient tant partagé qu'en cet instant, tandis qu'elle goûtait une dernière fois à la tendresse des mains d'Antonin, l'indécence de certaines situations lui revenait en mémoire, courbant ses lèvres en un sourire. Un frisson courut sur sa peau.

Elle se retourna enfin, affrontant le regard d'Antonin. Sa main se posa sur sa joue. Tu as encore des rêves d'enfant. Le tuer n'apportera rien de plus. Ils te tueraient aussitôt. Elle y avait déjà songé, elle ne pouvait le nier. Ils avaient déjà abordé cette solution, mais elle l'avait évincée presque aussitôt. Les Lestrange n'étaient pas de ceux dont on se jouait. Et Bellatrix n'était pas de ceux qui pouvaient vivre en exil toute leur vie. Les mains de la sorcière saisirent le visage de son ancien compagnon. Elle approcha son visage du sien, leurs nez se frôlant, leurs fronts se touchant. Elle ferma les yeux, s'imprégnant pour la dernière fois de cette essence dont elle devrait dorénavant se passer. Vaincue, la sorcière s'oublia un court instant et murmura. C'est toi que j'aime. N'en doute jamais. 

Avaient-ils donc tant contrarié les dieux de ce monde pour que leur malheur soit si grand ? Posant un regard emplit de tendresse sur le visage de son amant, Bellatrix esquissa un triste sourire en le voyant embrasser ses doigts. Le contact avec ces lèvres qui avaient dessiné chaque parcelle de son corps dans la chaleur intime des draps l'enfiévrait. Ses jambes tremblaient, cachées par le tissu blanc de la robe.

Antonin s'arracha à elle et Bellatrix ne put réprimer un léger sursaut en avant, comme pour espérer le garder contre elle. Elle referma ses mains, les portant contre elle, comme pour garder la chaleur de ce dernier contact contre elle. Chaque mot qui sortit alors de sa bouche fut un pas de plus vers son tourment, apportant inéluctablement l'instant de leur séparation définitive. Cygnus Black triomphait. Tout le corps de la sorcière lui hurlait de le rattraper, de l'empêcher de partir, de le garder à jamais contre elle. Mais si son âme criait et que ses organes brûlaient d'un feu d'enfer, elle ne parvenait pas à bouger. Les convenances et la quasi-servitude à son père la maintenaient bloquée, incapable de faire un pas.

Je vais quitter le pays. La bouche de Bellatrix s'ouvrit. Puis se referma. Que pouvait-elle dire, faire, hurler ? La fatalité s'était abattue sur leur amour, le rendant impossible aux yeux du monde. Il ne devrait plus y avoir qu'une distante sympathie dans leurs yeux à chaque fois qu'ils se recroiseraient en société. Jamais plus d'amour ni de passion. Tout oublier, pour tout recommencer. Loin de l'être aimé. Et ce soir-là, quand les mains de Rodolphus s'abandonneraient sur son corps, où serait-il ? Que ferait-il ? Quelle expression aurait son visage ? A quoi penserait-il ?

Bellatrix s'enivra une dernière fois de la vue de ses traits, de la douceur de ses baisers, de l'odeur de sa peau avant qu'il ne relâche son étreinte autour de sa main et atteigne la porte. Sa dernière déclaration ébranla l'once de confiance qu'elle avait en l'avenir. Elle s'était vainement espérée heureuse, dans ce grand manoir en compagnie de son mari. Comment avait-elle pu être aussi sotte ? Son unique bonheur allait quitter la pièce, l'église, la ville, le pays d'un instant à l'autre, emportant avec lui tous leurs rêves d'avenir. Le chagrin dans la voix de son amant l'atteignit en plein cœur, lui coupant le souffle, lui brouillant la vue. Ne m'oublie pas, murmura-t-elle avant de réduire à néant la distance qui les séparait et de prendre son visage dans ses mains pour presser ses lèvres sur les siennes. Une dernière fois.

Elle s'arracha à leur étreinte et caressa une dernière fois son visage, avant de remettre le gant qu'il avait retiré. Rabattant le voile sur son visage, elle plongea une dernière fois son regard dans ces yeux qu'elle chérissait tant avant d'ouvrir la porte et de sortir de la pièce. Levant les yeux vers le couloir qui menait à la nef, elle se pinça légèrement les joues pour remettre de la couleur dessus et avança, sans se retourner.

FIN.