La jeune adulte avait pensé un moment à faire suivre la gazette jusqu'en France, avant d'abandonner l'idée. Les nouvelles se ressemblaient sensiblement, et il lui suffisait de communiquer par cheminée avec les Moon pour se tenir informée. Se couper du climat oppressant outre-Manche lui faisait le plus grand bien. Loin de toute cette agitation macabre, elle se sentait revivre, enfin débarrassée d'un poids trop lourd pour ses fines épaules. Cela faisait deux jours qu'elle n'avait pas communiqué par voie de cheminée avec sa famille anglaise, et aurait bien continué ainsi quelques jours de plus si elle n'avait craint d'être bientôt harcelée de hiboux. Morose, elle se résolut un matin de bonne heure à passer la tête dans la cheminée du salon, et après les politesses d'usage, et avoir pris des nouvelles de toute la famille, elle en vint au sujet du jour. Triomphant, un sourire on ne peut plus satisfait aux lèvres, sa grand-mère lui annonça avec joie la disparition des Meadowes, père et fils. Elle laissa Vesta Moon cracher tout son mépris, et toute sa joie, avant de prétexter une affaire urgente. L'après-midi même elle recevait un hibou de Dorcas Meadowes, sa meilleure amie, lui annonçant la tragique nouvelle.
Cette nuit-là Minerva ne dormit pas. Elle ne cessait de penser aux Meadowes, et pleura à chaudes larmes, consciente qu'on ne retrouverait probablement jamais les corps des deux sorciers. La joie malsaine qu'avait exprimé sa grand-mère ne laissait que peu de place à l'espoir. Cette nuit-là elle se dégoûta de sa propre lâcheté, et haït de tout son être les Moon. Les Meadowes étaient des gens bien, et qui ne méritaient certainement pas une fin aussi sinistre. Elle repensa à tous ses souvenirs heureux, aux neveux et nièces que n'aurait jamais Dorcas, à la douleur de sa mère et se détesta pour ce qu'elle était.

Le lendemain, en fin de journée Minerva était de retour en Angleterre, dans le plus grand secret, car aucun Moon n'était au courant, pas même sa mère. Son elfe l'avait conduit près des côtes, là où la distance entre les deux terres était la plus réduite. Ensuite elle avait volé toute une nuit, et la journée aussi, filant aussi vite que le lui permettait son balai. La France aimait trop les procédures et la paperasserie pour faire plus vite. La rouquine avait pris une douche rapide, s'était vêtue d'une longue robe grise comme son humeur avant de reprendre son balai pour rejoindre le chemin de traverse. La fatigue et l'émotion risquaient de l'envoyer à Sainte-Mangouste, si elle n'y laissait pas sa tête!

Moon frappa à la porte du salon de thé, fermé, son balai en main, et la capuche de sa robe rabattue de manière à ce que son visage ne soit pas vu. Si les Moon venaient à savoir pour leur rencontre, il lui serait bien difficile de justifier un vol aussi long, et surtout tant de mystères. Minerva avait une tête à faire peur, entre ses cheveux roux emmêlés et sa mine d'outre-tombe, difficile de déterminer ce qui lui réussissait le moins!

Spoiler:

Il fait si froid dehors, même dans les étroites ruelles. L'été c'est fini. L'enfance c'est fini.

Pourtant, autour d’elle la rue assourdissante hurle. Elle s’en fout, depuis quelques jours elle est comme sourde. Sur le chemin de traverse, la vie continue. Ça la frappe de plein fouet, parce que la sienne, elle s'est arrêtée, comme un tressaut un peu trop long entre deux battements de coeur. Alors elle s'arrête là, entre une boutique de vieux livres et un marchand de glace, et observe la foule autour d'elle, paumée. Il est 19 heure, mais les élèves sont encore nombreux à finir patiemment leurs courses pour la rentrée... Pour elle s'est fini, il n'y aurait plus de Poudlard.
Ce simple constat n'avait pas été si douloureux au début de l'été. Pourtant aujourd'hui, elle n'a qu'une envie, revenir en arrière et n'être qu'une élève, qu'une putain de gamine excitée de bientôt retrouver ses amis, à peine inquiétée de quitter sa famille.

Mais non, Poudlard c'est fini. L'enfance c'est fini.

Un homme la bouscule. Il se retourne et la regarde étrangement, se demandant certainement ce qu'elle fait plantée là. Il est comme ça, l’homme. Toujours à vouloir reluquer, à lorgner le paysage, toutes les sortes de paysage. Elle, elle ne veut pas encore tout voir. Non, elle voudrait juste se cacher derrière ses mains comme une putain d'enfant qu'elle n'est plus. C'est trop tard.

D'un coup ça la frappe, il faut qu'elle se bouge. Elle ne veut pas être ce putain de légume qu'est devenu ça mère. Alors elle laisse derrière elle le trottoir défoncé, les fissures, les cassures, le type bousculé. Elle s’en va et reprend sa route vers le salon de thé de la famille, là où elle a donné rendez-vous à Minerva.

Les heures passent et elle est assise là, sur les des fauteuils de mauvais goût qui orne le salon où plus jeune elle a parfois aider sa mère à servir quelques clients. Ce soir il est résolument vide. Elle a bien pris soin en entrant de laisser la pancarte indiquer implacable son message : "Fermé". Elle ne veut pas être dérangée. Elle n'attend qu'une personne... D'ailleurs elle s'en veut un peu de la faire venir comme ça, de gâcher ses vacances... Mais elle en à besoin, puis elle veut savoir.  Alors égoïstement elle attend... Puis finalement on frappe.

Elle en sursaute presque. Plutôt calme jusque là, une bouffée d'angoisse la saisit. C'est la gorge nouée qu'elle pousse la poignée de la porte du petit salon thé, et quand elle accueille enfin sa meilleure amie, encapuchonnée devant elle, ses mots s'étranglent.

- Entre...

Elle esquisse un sourire, voudrait rajouter qu'elle est heureuse de la voir, mais préfère renoncer et la laisse simplement rentrer avant de refermer sans un bruit la porte derrière elle.

- La route à du être longue, tu dois être crevée. Je te fais un thé?

Elle ne lui laisse de toute façon pas le temps de répondre et se dirige vers le comptoir s'attelant à la tâche. C'est idiot, mais elle n'y arrive pas. Se laisser aller. Parler de son père, de son frère. Pourtant dans sa lettre, elle lui avait tout dit.

Dragées:

Elle aurait bien aimé trouver les bons mots. Des paroles justes, fortes, capables d'apporter un peu de réconfort à sa meilleure amie, mais ça bien sur, ça tenait du domaine de l'illusoire. Il n'y avait pas grand chose à dire sur la situation de Dorcas, si ce n'était que c'était tristement banal. Chaque jour apportait son lot de mauvaises nouvelles. Morts mystérieuses, disparitions, corps sans vie retrouvés aux quatre coins du pays et autres cas de magie noire. Leur lot quotidien. Alors lorsque la jeune femme lui ouvrit, Moon se sentit coupable de ne pas être plus choquée par le visage éteint de Meadowes, et plus encore d'être si soucieuse de préserver son identité. Leur monde ne tournait pas rond. En tout cas pas depuis que ces sorciers masqués semaient la terreur.

- Entre...
- Dorcas... Sa gorge était horriblement sèche et ses lèvres craquelées. Elle se trouva bien sotte de ne pas avoir rien de mieux à lui dire. Dorcas n'était pas elle même, ou plutôt elle n'était plus elle même. La rouquine le sentait, ce froid, cette distance, cette fausse tranquillité qui cachait sa détresse. La sorcière aurait aimé prendre sa meilleure amie dans ses bras, la serrer contre son coeur et lui transmettre un peu de sa chaleur, mais elle même était glacée et ses muscles endoloris par des heures de vol.
- La route à du être longue, tu dois être crevée. Je te fais un thé?
- Oui, merci. C'est banal à en pleurer, si loin de cette missive, à coeur ouvert. Moon est d'autant plus embarrassée qu'elle ne sait comment réagir. Dorcas agit comme si tout allait parfaitement bien dans le meilleur des mondes possible. Comme si son père et son frère n'avaient pas brusquement disparu, comme si la sinistre vérité qui devenait chaque jour un peu plus évidente n'existait pas.

Elle entra, puisqu'il n'y avait rien d'autre à faire et prit soin de verrouiller la porte du salon de thé grâce au sortilège Collaporta. Elle posa son balai puis ôta sa capuche, découvrant ainsi son visage inquiet et piqué de tâches de rousseur. La jeune femme ignorait par quoi commencer puisqu'il fallait bien un début à tout. Dorcas ne l'avait pas contacté pour se regarder dans le blanc des yeux, comme deux pitiponks frits, et elle non plus n'avait pas fait tant de kilomètres pour rien, avec en prime un vieux balai! Ses fesses avaient souffert le martyre.

- Ta mère tient le coup ? Est-ce que je peux faire quelque chose pour vous aider ? demanda-t-elle les mains glacées, autour d'une tasse de thé brûlante une fois que la blonde se fut assise. Et voilà, elles y étaient. La rouquine se doutait bien que Meadowes avait quelque chose en tête. Elle ne se satisferait pas des rapports des aurors, Moon le savait, tout comme elle savait que sa grand-mère n'avait pas paru si satisfaite pour rien. Vesta Moon n'avait jamais apprécié les Meadowes, et à voir sa profonde satisfaction, sa petite-fille ne pouvait que craindre le pire pour les deux innocents sorciers.

Spoiler:

Préparer du thé? La situation réussissait à être à la fois surréel et affreusement banal, et il y avait cette petite voix en elle qui se foutait royalement de sa gueule. Mais elle l’étouffa du mieux qu’elle le put et d’un coup de baguette fit l’éviter une boite de thé jusqu’à elle. C’était bien plus simple que d’entrer dans le vif du sujet. Faire bouillir de l'eau, déposer quelques feuilles desséchées au fond d'une des affreuses théières qu'affectionnait tant sa mère, puis fuir encore l’espace de quelques seconde la conversation qui allait avoir lieu, profiter un instant du calme avant la tempête, jouer à faire comme si rien n'avait changer, comme si tout était encore facile… Ne pas réfléchir, ne plus penser à rien mise à part au jasmin en train d'infuser.

Elle resta comme ça quelques secondes : immobile, à regarder l'eau doucement se teinter. Puis le silence lui sembla soudain pesant, sa léthargie agaçante . Elle prit deux tasses et s'installa face à la rousse. Y'en avait une pour elle, de tasse. Elle avait le thé en horreur mais tant pis, elle avait besoin de s'occuper les mains et il n'y avait pas une goute d'alcool dans ce foutu salon.

- Ta mère tient le coup ? Est-ce que je peux faire quelque chose pour vous aider ? Ce fut finalement sa meilleure amie qui brisa le silence. Dorcas la scruta un instant, ses traits étaient tirés, son regard inquiet. Elle s'en voulu un peu, alors pour toute réponse elle tenta un haussement d'épaule détaché... Trop dégingandé cependant pour être convainquant. Elle se résigna alors à répondre honnêtement.  

- Pas vraiment, mais Francis et sa femme sont avec elle... Moi j’me suis tirée j’en pouvais plus de la voir comme ça. Elle fit une pose et regarda la tasse de thé étroitement nichée aux creux de ses mains. Un petit rire sans joie s’échappa de ses lèvres trop pâles.

- C’est égoïste hein?  Mais je crois que je serais devenue folle si j’étais restée ne serait-ce qu’une heure de plus avec elle.  Elle porta l’infusion à ses lèvres et grimaça à cause de l'amertume du thé mais aussi de sa façon de tourner autour du pot. Elle n'avait pas fait venir Minerva pour rien, il y avait un tas de chose qu'elle voulait savoir, elle avait besoin d'aide. Un silence plutôt pesant s’installa dans le petit salon cosy. 

- Ils sont morts n’est-ce pas. Elle planta son regard sur Minerva. Ils étaient plus durs qu'elle ne l'aurait voulu ses yeux, aucunement envers la jolie rousse mais plus à cause de la teneur de sa question. Elle avait jusqu’à maintenant toujours fait de son mieux pour éviter d’aborder cette possibilité. Mais là, il n’y avait pas sa mère, elle n’avait plus besoin de son montrer optimiste. Elle voulait juste une réponse, aussi horrible soit elle.

- Si tu le savais tu me le dirais hein? Elle ne l'avait pas lâchée des yeux, analysant les moindres expressions de sa meilleure amie à la recherche d'une réponse.

Dragées:

Dorcas agissait comme si les deux amies se retrouvaient autour d’une bonne tasse de thé à échanger les derniers ragots. Comme deux amies en temps de paix. La blonde haussa les épaules sans pour autant convaincre la rousse. Personne ne pouvait être aussi détaché, aussi éloigné des évènements en pareilles circonstances. Toutefois elle n’était pas pressée d’entrer dans le vif du sujet car Meadowes ne l’avait certainement pas fait venir pour avoir une épaule amie sur laquelle pleurer. Moon faisait probablement partie de ces rares personnes avec un pied dans l’autre camp à figurer sur le carnet d’adresses de Dorcas. Alors pourquoi se priver d’exploiter un tel filon ? La rouquine en était amèrement consciente.

- Pas vraiment, mais Francis et sa femme sont avec elle... Moi j’me suis tirée j’en pouvais plus de la voir comme ça.

La née moldue, ou peut-être moldue. Elle ne savait plus trop. Moon serra la main de Dorcas, un mince sourire aux lèvres comme si la présence de son fils pourrait y changer quelque chose. Elle s'étonnait même que Francis et sa femme n'aient pas plutôt été choisis.

- C’est égoïste hein? Mais je crois que je serais devenue folle si j’étais restée ne serait-ce qu’une heure de plus avec elle.

Il n'y avait pas grand chose à répondre. A chacun sa manière de vivre le deuil. C'était peut-être cruel, prématuré de penser de la sorte, mais Moon avait appris à ses dépens que leur monde basculait dans une violence meurtrière. La vie ne valait plus rien aux yeux de ces sorciers encagoulés, plus aucun lieu, plus aucune famille n'était à l'abri.

- Personne ne peut te juger Dorcas dit-elle en serrant doucement la main de sa meilleure amie, pensive, à nouveau absorbée par la surface colorée de sa tasse.

- Ils sont morts n’est-ce pas.

Au bout d'un silence qui lui sembla interminable, et qu'elle n'osa pas briser, la voix de son amie se fit à nouveau entendre. Ses paroles glissèrent au fond de son estomac, semblables à des corps lestés et jetés à la mer. Son regard était dur, scrutateur mais son air si tranquille. Moon n'aurait su dire si c'était une question ou une affirmation tant elle l'avait dit d'un ton égal. Elle aurait aimé lui répondre que non, qu'elle ne devait pas se montrer si pessimiste, mais les mots restaient bloqués au fond de sa gorge et ses yeux, impuissants, tristes fuyaient ceux de Dorcas.

- Si tu le savais tu me le dirais hein?

Si tu le savais... Cela résonna en elle, écho sinistre. La jeune femme releva son gracieux visage troublé pour supporter le regard froid de la blonde. Elle d'habitude si habile à masquer ses sentiments se trouvait incapable de mentir à Dorcas. Moon repensa alors à ce que lui avait dit sa grand-mère, à la manière abjecte dont elle parlait des Meadowes, non pas au présent mais déjà au passé. Comme si leur sort avait déjà été joué aux dés.

- Dorcas je... Voilà qu'à présent elle contemplait sa tasse, incapable de regarder Dorcas dans les yeux. Pas par peur, mais par culpabilité. Les Moon savaient, et donc elle savait, mais devait-elle pour autant alimenter le désir de vengeance de son amie ? J'aimerai pouvoir te dire qu'il ne faut pas perdre espoir mais... Je crois qu'à présent vous devez surtout redoubler de prudence. Il est trop tard pour eux. Vous êtes considérés comme des traîtres à votre sang, et tu sais aussi bien que moi quel sort leur est réservé. Je sais juste qu'ils sont probablement morts, je le savais avant même de recevoir ta lettre. Hier matin j'ai utilisé la cheminée, j'ai parlé avec ma grand-mère et c'est elle qui m'a appris pour ton père et ton frère. J'ignore de qui elle tient cette information. Crois-moi.

Elle ne mentait pas, ou du moins ne disait pas tout. Elle avait sa petite idée quant à l'informateur de Vesta Moon, mais entre les soupçons et les faits comment être certaine ? Contre Lucius, et peut-être même ces crétins de Crabbe et Goyle Dorcas n'aurait aucune chance.

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