❝ Sujet flash-back ▬ rencontre avant l'attaque des loups-garous à l'école supérieure de magie.
C'était un de ces soirs où le ciel était aussi foncé que les eaux profondes des océans, et la lune, quoique pas tout à fait pleine, brillait intensément. Il était tard, très tard, presque tôt même. Assis sur les marches du perron de bois de chez moi, j'entendais les membres de ma famille vaquer à leurs occupations, leurs rythmes cardiaques réguliers, rassurants. Tout semblait en paix, dans une infinie quiétude. Décidé à profiter de la nuit, je me levais et partais faire un tour. Sans destination précise, je traversais le bois qui séparait de quelques bons kilomètres notre demeure des environs de Londres, bois que je connaissais comme le fond de ma poche. J'aurais pu y déambuler les yeux bandés, des boules-quies dans les oreilles et les mains nouées dans le dos, sans jamais m'y perdre. J'y puisais même une certaine sérénité, que je trouvais dans l'odeur chaude et forte de la terre, celle plus âcre des racines et celle réconfortante des arbres. Marchant le nez au vent, littéralement, j'humais à pleins-poumons et me rendis compte que j'avais du marcher longtemps, puisque mes pas m'avaient guidé aux abords du cimetière d'Abney Park. Inutile d'avoir une montre pour savoir qu'à cette heure-ci, il serait désert. Sautant agilement par dessus les grilles, j'errais entre les allées, guidé par le bruit du vent et.. Un fredonnement. Au début. Puis des paroles.. Plutôt macabres, chantées par une voix féminine, de plus en plus distinctes alors que j'avançais. Intrigué, je suivis le bruit, tournant à droite, bifurquant à gauche, tout droit jusqu'à un banc. Sur lequel était assise une frêle silhouette. Les mains enfoncées dans les poches de mon sweat, j'approchais sans un bruit. L'odeur de l'alcool et du chagrin me sautèrent aux narines. J'étais encore plus intrigué.

Tapis dans l'ombre, je l'observais. Les yeux dans le vague, un peu décoiffée, elle avait l'air vraiment mal. Entre chaque couplet de sa chansonnette lugubre, elle approchait le goulot de la bouteille de sa bouche, reprenant une bonne rasade. Ce qui n'arrangerait vraiment pas son cas, vu dans l'état actuel dans lequel elle se trouvait. Elle semblait déjà bien éméchée. La situation aurait pu être vraiment très drôle si sous les effluves de l'alcool je ne discernais pas celles nauséabondes du chagrin et de la détresse. Elle caressait du bout des doigts le marbre froid d'une tombe. Puis elle ouvrit la bouche et commença son laborieux monologue. Entre des hoquets et des pauses bouteille, elle déblatérait un flot de paroles discontinu, et je devais me concentrer pour piger ce qu'elle disait, tant elle était incohérente dans ses propos. Elle semblait s'adresser à deux personnes. Des amis à elle? En tout cas, le Chuck en prenait pour son grade, et paraissait être un beau salop. Pire que Brooklyn, de toute évidence! Et c'était dire.. Lui avait-il brisé le coeur? Curieux malgré moi, je me penchais en avant, désireux d'entendre la suite.
- " T'as vrai ... ment réussi ... t... ton coup ! " acheva-t-elle en balbutiant, avant de se réhydrater le gosier. Je continuais de l'observer, quand, voulant m'approcher un peu plus, je fis craquer une branche sèche sous mon pied. Même bourrée comme un coing, la jeune femme sembla m'entendre. Trahi pour trahi, je décidais de sortir de ma cachette, et m'avançais vers elle doucement.
« ▬ Et bien, j'la connaissais pas celle-là, dis-je en faisant référence à la chanson, mais j'aime beaucoup les paroles... Très joyeux tout ça! » ne pus-je m'empêcher de dire, l'ombre d'un sourire au coin des lèvres, me postant de toute ma hauteur devant elle.

- " T'es qui ... t ... toi ? " elle a demandé brusquement dans un hoquet, et je me suis dit qu'elle devait être sacrément bourrée pour même pas arriver à voir où je me trouvais et à me regarder en face. C'est qu'avec l'alcool, elle avait du perdre toutes ses facultés, du moins visuelles. Qu'elle soit aveugle ne m'avait même pas effleuré l'esprit, c'est pourquoi je lui répondais par un haussement d'épaules et un sourire sardonique qu'elle ne sembla pas voir.
- " T'as soif, ... c'est .... c'est çaaa ? " aboya-t-elle, et amusé je rentrais dans son jeu ;
« ▬ Un peu, ouais ! » je lui répondis.
- " Bbbeen tiens ... rin ... rinces-toi l ... le gosier ! " dit-elle en m'invitant à m'asseoir et en me tendant la bouteille. Médusé, c'est ce que je fis. Je m'attendais à tout, sauf à ça.
- " Et puis ... j'te ... te présen...te Chuck ... un iiidiot ... Et Pan ... Pando..ra, une ... une fille ... suuuper ... sym..pa. "  ajouta-t-elle en touchant les tombes à chaque nom différent.
« ▬ Enchanté ? j'ai dit, pas vraiment sûr que c'était ce qu'elle désirait entendre. Mais j'étais perplexe. Et puis bon, j'avais pas vraiment mieux à faire, alors j'ai bu une longue rasade de sa boisson - pwah ! c'est qu'elle y allait fort en plus la petite ! -, buvant directement au goulot. Je la regardais longuement avant de lui dire ; T'es pas vraiment farouche toi, j'me trompe ? A proposer ta bibine à n'importe qui... Dis-moi, est-ce parce que tu es incroyablement courageuse, ou incroyablement sotte ? N'as-tu pas peur de croiser... Le grand méchant loup dans les bois ? » Inutile de préciser que j'étais très curieux d'entendre sa réponse !

La jeune femme mit un temps infini à répondre, mais vu ce qu'elle ingurgitait - et je ne savais pas depuis combien de temps en plus ! -, ça me paraissait plutôt logique, et ne m'en formalisais pas.
« - Je ... je pen...se ... qu... que ce sssssoir ... chuii plutôt sotte, ouai ! avoua-t-elle dans un sourire, très fière d'elle, et ça me fit rire.
▬ Et encore un peu lucide on dirait, je renchéris, sourire amusé aux lèvres.
- Mais ... de... de touuute façon ... sssobre .... ou com....plètement ... bourrée,..... chhuis paaas prêêête d..... de... de le vooir arriver, ... el méchant loup ! dit-elle en riant, et sans comprendre l'allusion, je ris aussi, d'un rire qui dévoila mes canines, mais cela elle ne risquait pas de le constater, et je lui chuchotais près de l'oreille ;
▬ Généralement, il est toujours beaucoup plus près qu'on ne le croit, le méchant loup, dis-je d'un air moqueur, très amusé de la situation. Je devais l'avouer ; l'envie de mordre me saisissait parfois, je n'étais pas un sain, et le loup en moi semblait parfois plus fort que toute ma volonté. Mais ce soir, quelque chose semblait me retenir.
- Doonc .... vvvu qu.... qu'j'ai à boire ...... au lliieu d...de lui laaancer un s...sort qu...qui ne l'atteindra...t...tout de mêmeeee paaas .... j'luuui pro...po...se...rais ... à boire ! rajouta-t-elle en tombant sur mon épaule, ivre morte.
▬ C'est très aimable de ta part ! dis-je, railleur, mais ne bougeais pas.
- Ouups ... p... pardon, s'excusa-t-elle, mais elle ne bougea pas non plus. Au final, je faisais moins le fier.
▬ Y a pas d'mal... dis-je maladroitement. Pendant un moment je dis plus rien. Finalement, quitte à ce qu'elle bave sur mon épaule, je passais un bras autour des siennes. Si on était suffisamment intimes pour partager une bouteille, je pouvais au moins faire ça pour elle. Et en parlant de bouteille, je la lui tendis à nouveau, puisque je l'avais encore en main.
▬ Une petite gorgée ? Ça te fera du bien, t'as l'air d'en avoir bien plus besoin que moi de toute façon, même si c'est très bon... » je dis, un sourire dans ma voix.

La jeune femme ne bougeait toujours pas, et ne semblait pas gênée de notre proximité, ou alors c'est qu'elle était sacrément plus beurrée que ce que je pensais - pwah, l'haleine et la gueule de bois demain matin, dur ! - et enchaînait ;
« - C'eeest suurtouuut .... qu' ... qu'on s'troooompeeee ... suuur leeeee rééééeeeeel mééééchaaant loup. C'eeeest paaas touujouuurs celuiii.... qu' ... qu'on croooiit. dit-elle laborieusement, et je restais un moment sans voix. Elle avait certes beaucoup de mal à s'exprimer, mais elle en restait désarmante de lucidité. Moi-même ne m'étais-je pas déjà dit souvent la même chose ? Car les loups, je les connaissais. Je connaissais nos codes, nos règles, nos devoirs sur le bout des doigts. Mais les malheurs que ma meute et moi avions subis dans notre vie, n'étaient-ils pas tous dû à des sorciers ou des vampires, et non des loups ? Les visages de la famille Black, de ma douce Andromeda, d'Emely, de Marlon, vinrent danser devant mes yeux comme des fantômes. Les apparences étaient trompeuses, et la sorcière que je tenais dans mes bras avait mis le doigt pile dessus. Que répondre à ça ? J'étais encore dans mes pensées, quand elle m'en tira ;
- AAAAaah, j'teee voiiiis ... v'niiiir. Tuuuu veuuux m'saouleeeeer, .... c'.... c'est çaaaa ? brailla-t-elle comme une ivrogne, et je ne put m'empêcher de rire à gorge déployée, dévoilant à nouveau mes crocs brillants sous la lune, que la jeune aveugle ne verrait encore pas.
▬ Naaan, c'est vraiment pas c'que tu crois. Et puis sans vouloir te vexer, t'es vraiment pas mon genre, j'préfère les rouquines ! dis-je en blaguant, souriant de toutes mes dents. Elle ajouta encore ;
- Eet ... pour... pourquoi j'aiii l'aiiiir d'eeeen .... d'eeeen aaavoiiir pluuus... HIC .... pluuuus besoiiin que ... que toi ? HIC. demanda-t-elle d'un ton soupçonneux. Sans m'en formaliser, j'haussais les épaules ce qui fit rouler sa tête un moment, et répondis comme si je parlais de l'évidence même ;
▬ Parce que t'es toute seule au beau milieu d'un cimetière en pleine nuit, avec les cheveux décoiffés, des cernes sous tes yeux qui sont tout rouges à force de pleurer. J'ai l'air aussi abattu que toi moi ? » demandais-je en pointant un doigt sur ma propre poitrine sans m'imaginer sa cessité.

La conversation de la jeune sorcière se faisait de plus en plus laborieuse et j'esquissais un sourire amusé à nouveau. Finalement, j'avais bien fait de sortir faire un tour dehors ce soir, et étais tombé sur un bien drôle de gibier. Celle-ci, je ne pouvais me résoudre à lui faire du mal. Pas quand elle avait l'air si fragile et pourtant si forte à la fois. Je l'écoutais soliloquer sur la beauté intérieure - c'était bien un truc de nana ça ! - en riant par moment, jusqu'à ce qu'elle se décolle de mon épaule et fixe... Un point, juste à côté de ma tête. Que regardait-elle ? Je jetais un œil par dessus mon épaule pour ne trouver que le vide ; mon ouïe m'aurait de toute façon alerté d'un éventuel arrivant.
« - Atteeeeends ... j'.... j'... j'reegaaaaardeeee. dit-elle en explosant de rire. Aaaah beeeen noooooon ... HIC ... j'....j'.... j'vooooiiis riiiiieeeen. ajouta-t-elle en riant de plus belle, hoquetant en même temps. Et là, ce fut l'illumination. Ses allusions depuis le début de notre rencontre semblèrent enfin faire lumière dans mon esprit. Je la regardais, les yeux ronds ;
▬ Attends, tu es... Non-voyante ? demandais-je bêtement. Était-elle inconsciente ? Moi qui me demandais plus tôt si elle était incroyablement courageuse, ou incroyablement sotte, je pensais avoir la réponse désormais ! Tu es non-voyante et seule au beau milieu d'un cimetière, en pleine nuit ? ajoutais-je, incrédule. Elle approcha le goulot de la bouteille de sa bouche sans boire une seule gorgée, et poursuivit dans un hoquet ;
- C'eeeest biiien que tuuuuuu sooiiiis l.. HIC làààà. Paaaarce queee .... depuiiiis que.... HIC ... t'eeees làààà .... ben ... HIC ... j'... j'aiiii ... moiiiins l'alc HIC ... cool triiiiste. fit-elle dans un grand sourire en lâchant la bouteille qui s'écrasa à nos pieds, éclaboussant nos chaussures. Hum.
▬ Ça ne t'empêchera pas d'avoir mal aux cheveux demain matin ! dis-je d'un ton goguenard, en ramassant la bouteille et la posant à côté de moi, loin de la sorcière. Elle finirait la nuit chez moi. La bouteille. Pas la fille. Je me tournais à nouveau vers elle, et l’attrapais fermement par les épaules. Sérieusement... Qu'est-ce que tu fais là ? N'as-tu pas un chez toi, et un copain auprès de qui tu serais mieux pour pleurer ? » demandais-je, d'un ton très sérieux cette fois.

Je ne savais plus vraiment quoi dire. Passée la surprise de la cécité de cette fille, je l'écoutais me parler d'un ton piteux, la tête tournée pour cacher son regard. Son regard... Maintenant, ça m'intriguait. Maladroitement, elle passa une main dans ses cheveux, resta coincée avec des nœuds dedans, ce qui ne l'empêcha pas pour autant de continuer à parler... C'était drôle, et attendrissant à la fois. Je voulais faire quelque chose, mais me suis refréné. Puis au point où on était, j'ai essayé de l'aider avec sa main dans ses cheveux, sans plus de succès qu'elle - l'alcool, ça fait des nœuds et ça colle dans les cheveux - et j'ai profité du fait que je savais maintenant qu'elle était aveugle pour mettre un petit coup de griffe. Hop, une mèche en moins, mais elle m'en voudrait pas, j'en était sûr. J'étais même sûr qu'elle n'avait rien capté.
Je continuais de l'écouter parler, sans l’interrompre une fois. Son monologue était laborieux, mais je devinais le besoin qu'elle avait de vider son sac, plus que sa bouteille. Et d'ailleurs, maintenant qu'elle n'était plus pendue à son goulot, elle en devenait un peu plus intelligible. Un peu. Je remarquais aussi que son récit était bien sombre ; des ex à la pelle, la mort, la jalousie, le désespoir... Je comprenais mieux à présent pourquoi elle se trouvait seule au beau milieu d'un cimetière. Devant la tombe du dénommé Chuck. Elle finit de me raconter son histoire, la tête entre les mains, et je ne bougeais plus, la laissant achever ce qu'elle avait à narrer. Me raclant la gorge, je digérais les informations et laissais passer quelques minutes de silence sans doute bénéfique, avant de lâcher de but en blanc ;
« ▬ Eh bien... Moi qui pensais qu'être un lycan était autrement plus compliqué qu'être sorcier, au vue de ta vie je me rends compte que je me gourrais sur toute la ligne ! » C'était sorti comme ça, d'un coup. J'avais pas prévu de le lui dire, ma langue avait agit seule. Je me figeais sur notre banc, et attendais. Avec un peu de chance, elle n'aurait pas entendu, ou pas compris. Et quand bien même, demain elle ne se rappellerait de rien. Non ?...