Assise dans un fauteuil confortable face à l'immense feu de cheminée de la salle de repos, j'observai la neige tomber lentement à l'extérieur, comme un rideau blanc derrière la fenêtre. Il se faisait tard et nous n'avions plus l'autorisation de sortir. Pourtant, j'aurais payé cher pour courir dans le froid jusqu'au lac et m'allonger dans la neige face à ce splendide paysage. J'aurais payé cher pour être chez moi, dans mon jardin, où l'immense manteau blanc recouvrait les cendres de ce qui était autrefois ma maison. Ma gorge se serra et je ravalai mes larmes. Dans quelques mois, cela ferait un an. Un an que ma vie est partie en fumée, un an que je ne suis plus que l'ombre de moi-même. Je ne parle plus à personne, ou presque. Je mange à peine, j'étudie encore et encore jusqu’à ce que ma tête explose, et je suis plus obstinée, plus déterminée que jamais. J'espère un jour pouvoir intégrer l'école supérieure de magie et ainsi m'orienter vers des études dans le but de devenir auror. Voilà quelque chose qui honorera mes parents, quelque chose qui servira à la communauté, mais cela sera aussi une sorte de vengeance, une revanche sur la vie et tout ce qu'elle m'a prit. "Incendie accidentel". Voilà ce qui était écrit sur le papier. J'en rigole encore. Je sais que ce n'est pas ça, que c'est une histoire bien plus profonde et complexe que ça. J'avais trouvé, en retournant fouiller dans les décombres, le journal de mon père. J'y avais découvert des notes concernant une enquête. Des "mangemorts", voilà le mot qui était utilisé. Ils étaient la réincarnation du mal, les futurs terreurs de notre monde, et à cet instant je su que rien n'était accidentel. C'était eux qui les avaient tués, c'était un meurtre, tout simplement.

Je pris une grande inspiration, sortant de mes pensées morbides, et détournai le regard vers le reste de la salle. Il y avait peu de monde, quelques premières années surtout qui discutaient. J'aimais bien cette salle, auparavant, malgré que je sois très attachée à ma maison. Nous pouvions nous retrouver pour discuter de tout et de rien, la couleur n'avait plus d'importance. Je m'y sentais bien encore aujourd'hui même si j'avais perdu l'envie de parler, l'envie de rire et partager. J'étais seule avec moi-même à présent, tourmentée, torturée, et je ne voulais faire subir les foudres de ma tristesse à personne. J'étais désespérée mais je ne voulais pas le montrer. Je laissais paraître un masque froid, distant, neutre. J'étais simplement différente à l'égard des autres, bien moins sociable qu’auparavant, bien plus solitaire et indépendante. Je m'énervais plus rapidement d'ailleurs, à telle point que ma filleule Darya osait à peine m'approcher. Je m'en voulais, au fond, mais je n'y arrivais pas, je ne pouvais pas.

Alors que j'observai l'immense salle commune à toutes les maisons, je remarquai Sean, un Serdaigle de septième année. C'était un ami, avant. Mais à présent, cela faisait bien des mois que nous n'avions plus discuté. Trop occupé par ses histoires, il avait à peine remarqué mon changement de comportement, les bouleversements dans ma vie. Je reportai mon attention sur la fenêtre et priai intérieurement pour qu'il ne vienne pas m'adresser la parole. De toute manière, nous ne nous connaissions plus vraiment...

Spoiler:

Pitié, pitié qu'il ne m'approche pas, qu'il ne vienne pas vers moi, qu'il fasse son chemin comme il le faisait depuis un an déjà. Au fond de moi, je regrettais son amitié. Nous nous entendions bien, auparavant. Nous avions de longues discussions à propos de la magie, de son origine, du pourquoi et du comment nous en étions arrivés là. Il m'apprenait l'histoire de la magie et tout ce qu'il savait sur les sortilèges, les runes... Quand à moi, j'essayais de lui faire aimer la pratique magique, notamment en cours de défense contre les forces du mal. Malheureusement pour moi, cela n'avait pas franchement de réussite... Enfin, passons. Je vis Sean s'approcher de moi tout sourire et sa voix résonna à mes oreilles. Par le plumage d'un hibou défraîchi ! Comment ça va ? Était-il sérieux ? Après presque un an sans un mot, il me demandait comment ça allait ? Je détournai la tête vers lui, le visage presque totalement neutre, haussant légèrement des sourcils, comme pour marquer ma surprise. Il s'installa face à moi, dans un autre fauteuil. Il cherchait les ennuis, clairement. Ou alors il était idiot, tout simplement. Il finit par me dire que ça faisait longtemps que nous ne nous étions pas vus et il demandait de mes nouvelles. Je ne pus cacher ma stupéfaction, dévoilant alors un regard presque froid et indifférent. Avant de prendre la parole, je me détournai de nouveau vers la fenêtre.

« Ca va. Ca va même très bien. »

Une bonne blague, et il serait vraiment naïf d'y croire. Malgré tout, je n'avais aucune envie de me confier à lui. Peu de gens étaient au courant de la mort de mes parents. D'ailleurs, l'un d'eux était un Serpentard, belle coïncidence. Mais Blaise avait su être là pour moi, me comprendre, et non pas me laisser pour compte dès lors que j'avais appris la nouvelle, contrairement à Sean. Je lui en voulais vraiment, mais à présent je n'avais même plus envie d'entendre parler de lui, qu'il tente de reprendre contact ou non.

« Et depuis un an sache que oui, ma vie a changée. »

Mon ton était dur, froid, totalement indifférent à ses bonnes intentions. Il était peut-être gentil, adorable, tout ce que vous voudrez, mais il revenait comme une fleur après des mois sans un mot, des mois à se croiser dans les couloirs sans un regard à mon égard. A présent, j'osai à peine le regarder dans les yeux, tellement il avait baissé dans mon estime. Je finis par lui asséner une dernière réplique cinglante, un demi-sourire aux lèvres.

« Sans toi. »

Je tournai alors lentement la tête vers lui pour lui offrir mon sourire cynique et mon regard perçant. Il allait entendre parler de la nouvelle Liv, et ça en faisait que commencer.

Je finis par détourner la tête, reprenant mon expression neutre, ignorante. S'il continuait à insister, s'il souhaitait renouer des contacts, il allait clairement ramer. Et pourtant, j'aurais donné cher pour retrouver la relation que nous avions il y avait quelques mois de cela, dans cette salle tout particulièrement. Si rien n'avait changé, je l'aurais accueilli à bras ouverts, sourire pendu aux lèvres et yeux brillants, et nous aurions discuté de la neige, des fêtes de Noël, des cours, des ASPICS, de l'année prochaine... De tout, comme avant. Mais cette relation n'existait plus à présent, malgré qu'elle reste ancrée dans ma mémoire comme un souvenir lointain, tel le fantôme d'une amitié disparue... Sean s'excusa à deux reprises mais je ne lui répondis pas. Je ne pouvais lui pardonner de m'avoir laissée en plan, comme ça, sans un mot, alors que tout s’effondrait autour de moi. J'avais perdu mes parents et en plus de ça, il m'avait laissé tomber, tout simplement... Je le vis du coin de l’œil observer la salle, un air nostalgique s'installant sur son visage. Je l'étais moi aussi, mais il m'avait fait tellement de mal... J'étais rancunière, je l'avais toujours été d'ailleurs, ce trait de caractère était l'une des rares choses qui n'avait pas changé depuis l'année passée. Et là, oui, je lui en voulais, plus que tout. Il s'adossa alors contre son fauteuil et croisa les bras avant de reprendre la parole. Ma gorge se serra au fur et à mesure que les mots blessants fusaient de sa bouche. Ma faute ?! Je déglutis avec peine et bruyamment pour ravaler les larmes qui menaçaient d'inonder mes yeux. Non, je ne devais pas craquer, je n'avais pas le droit.

« Laisse tomber, laisse moi. »


Je ne savais pas quoi dire. Il avait tort, c'était certain, mais comment lui expliquer que j'avais vécu la plus mauvaise passe de ma vie et que j'avais sombré seule, sans vouloir embarquer quelqu'un d'autre avec moi ? Comment lui faire comprendre qu'au moment où j'avais le plus besoin de lui, il m'avait abandonné à mon triste sort, incapable d'appeler à l'aide ? Il aurait dû le voir, il aurait dû le comprendre... Mais non. Il avait fui. C'était si simple. Je contractai ma mâchoire, sentant cette rage que j'apprenais enfin à maîtriser s'emparer de moi. Je jetai alors un regard en coin à Sean avant de déclarer d'un ton morne :

« Tu comprends vraiment rien... »

Je remuai lentement la tête de gauche à droite d'un air dépité, mes yeux commençant à briller à la lueur de la cheminée. Je devais retenir mes larmes, il était hors de question de pleurer, encore moins devant lui. Je me mordis la lèvre inférieure en défiant le regard de Sean. Je devais trouver mes mots, lui faire comprendre la douleur que j'avais ressentie lorsque j'avais perdu mes parents et qu'il m'avait complètement abandonnée à mon propre sort... Je devais lui faire ressentir cette impression de couler et de ne pas pouvoir appeler à l'aide, de se retrouver seul face à ses démons... Mais en valait-il la peine ? Cette amitié déchue en valait-elle la peine ?

« Je ne te connaissais pas si égoïste, tu sais. T'es incapable de voir si je vais bien ou non, si j'ai besoin d'aide ou non. Toi, dès qu'tu comprends pas ce qu'il se passe, tu fuis. »

J'avais opté pour un ton dédaigneux. Voilà tout ce qu'il m'inspirait à présent : du dégoût. Je n'avais qu'une envie à présent, c'est qu'il sorte de ma vue, qu'il s'en aille, qu'il fasse comme avant et m'ignore. C'était mieux comme ça, c'était plus simple pour tout le monde, pour lui comme pour moi. Cependant, une partie de moi, bien cachée au fond de mon être, se raccrochait à cette amitié disparue...

« Tu n'es qu'un lâche. »

Mon regard perçant aurait pu lancer des éclairs, il en aurait été de même. Mes mains tremblaient de rage et mon corps s'était raidi à vitesse grand V. Mon changement de personnalité devait lui faire une étrange sensation... J'étais si différente de la Livia qu'il avait connu.

Sean soutint mon regard avec intensité, mais je ne démordais. Il allait s'énerver, je le connaissais, mais qu'importe. L'issue de cette conversation serait une dispute, c'était couru d'avance. Nous étions là, assis l'un en face de l'autre, à se regarder en chiens de faïence. Je l'avais mitraillé de mots que je pensais, que je sortais du plus profond de mon coeur. Ces mots, je les accumulais depuis déjà de longs mois et ils semblaient sortir de ma bouche encore plus forts que je ne les avais imaginés. La colère semblait s'emparer de mon ancien ami au rythme de mes paroles mais à présent, que pouvais-je y faire ? C'était ce que je pensais, à peu de choses près. Son ton grimpa alors qu'il prenait la parole. Une soi-disant amie ? Je ris jaune un instant, un sourire mauvais et un air dédaigneux sur le visage. Il me reprochait de ne pas le connaître... Certes, mes propos étaient forts, mais il aurait dû être là, il aurait dû savoir et comprendre ma détresse... Il semblait de plus en plus mal sur son fauteuil alors que je restais calme, tout du moins extérieurement. En quelques mois, j'avais mis fin à mes crises de colère, de rage, mais il m'arrivait parfois d'avoir des excès de violence. D'ailleurs, je n'allais pas tarder à sortir de mes gonds, mais je faisais ce que je pouvais pour me contrôler. Le frapper n'était sans doute pas la bonne solution...

Il n'avait pas fuit ? Mais où était-il alors, tout ce temps ?! Où était-il passé ?! Je serrai les accoudoirs de mon fauteuil, sentant des flammes de violence me brûler les entrailles et me remonter dans la gorge. J'avais l'impression de pouvoir cracher du feu. Ma respiration se faisait de plus en plus difficile, de plus en plus bruyante, et il me semblait que j'allais exploser. J'avais envie de hurler, de mettre la salle en pièce, de courir dehors, loin de tout, et de tout oublier. De lui envoyer un Silencio avant de m'échapper. Le Serdaigle finit par me dire qu'il allait me laisser, et ce fut en quelques sortes un soulagement. Lorsqu'il se leva, je lui adressai un dernier regard rempli de haine.

« Tu dis que t'as pas fuis. Mais t'étais où hein ? T'étais où ? »

Ma question n'en était pas réellement une car je n'attendais pas de réponse. Plus il s'en irait vite, mieux je me sentirais. Enfin, je crois... Je me retournai vers la cheminée et le laissa s'éloigner, tentant vainement de calmer la rage que je sentais palpiter jusque dans mon sang. Serrant et desserrant la mâchoire, fermant les yeux et m'imaginant au milieu du lac gelé, seule. J'avais réussi à faire redescendre la pression doucement au moment où j'entendis Sean reprendre la parole, un tantinet agacé, mais plus calme qu'auparavant. Surprise de son retour, je ne bougeai pourtant pas. Examinant ses paroles, j'en conclus qu'il n'avait vraiment rien compris en fait... Peut-être croyait-il que j'avais trouvé ça drôle de changer du  jour au lendemain de comportement ? Je rouvris les yeux avec douceur, posant mon regard ténébreux sur lui. J'avais retrouvé mon calme, mais ma colère et ma rancune ne s'étaient pas apaisées malgré tout.

« Pourquoi je te le dirais ? Tu m'as... clairement laissée tomber quand j'étais... »

Quand j'étais quoi ? J'hésitai un instant sur mes propos. Quand j'étais au plus mal ? Quand je sombrais doucement, lentement, dans le désespoir et la noirceur des ténèbres ? Quand j'ai cru que plus jamais un sourire ne viendrait se loger sur mon visage ? Quand j'avais tout perdu ? Je ne pus finir ma phrase.

« Tu crois que j'ai changé comme ça, parce que je trouvais ça sympa ? »

Qu'il était naïf, si telle avait été sa pensée ! Avait-il ne serait-ce qu'un instant soupçonné que quelque chose n'allait pas, il y a de ça presque onze mois à présent ? Je me mis à en douter, et alors ma réaction précédente lui aurait sans doute semblé plus qu'étrange.

« T'as un temps de réaction minable, McLLoyd... »

Je venais de l'appeler par son nom de famille, chose que je n'avais pas faite depuis... des lustres. Etrange sensation que d'entendre ce nom sortir de ma bouche. Je l'appelais comme ça à l'époque où il était encore mon ami. Je l'appelais comme ça pour l'embêter, quand je lui faisais une remarque désagréable à laquelle il se vexait, quand je le surnommait "Ô grand McLloyd !". C'était le bon temps mais c'était... avant. Une lueur de tristesse et de nostalgie traversa mon regard, et je baissai les yeux.