Ce soir, j'avais décidé de faire le bilan de ma vie.
J'avais besoin d'être au calme, seule avec moi-même, et j'avais décidé que le chaudron baveur était le lieu le plus sûr pour éviter de croiser quelqu'un. J'étais entrée, la capuche de ma cape rabattue sur la tête, et m'étais installée à une table dans le fond, là où l'éclairage se faisait rare. Un hydromel devant moi, j'avais les deux coudes appuyés sur la table et les mains jointes devant moi, le regard perdu dans le vague.
Depuis cet été, ma vie avait radicalement basculé et changé. L'arrêt de mes études non concluantes à l'école supérieure de magie - pourquoi s'obstiner ? Les études n'étaient décidément pas mon truc. La surprenante et non moins mystérieuse mort de mes parents, qui étaient violents avec mon frère et moi depuis notre plus tendre enfance. La garde de ce dernier que le Ministère m'avait attribuée jusqu'à l'année prochaine, date de sa majorité sorcière. Mon aménagement à Londres, dans l'un des appartements de ce vieil immeuble du quartier moldu. Et enfin l'ouverture de mon propre établissement, Le Hibou Qui Lit, dans lequel j'avais passé toutes mes économies acquises depuis quelques années, en priant Merlin pour ne pas avoir fait l'erreur de ma vie, et que l'affaire tournerait.
Oui, en pensant à tout cela, ma vie avait décidément bien basculé, et finalement il y avait des raisons à ce que je me traîne depuis quelques temps ces deux petites valises violettes sous les yeux. Je n'avais finalement pas beaucoup de temps pour moi, ni beaucoup de personne avec qui le partager. Il y avait bien mon frère, mais je ne le voyais qu'aux vacances scolaires. Il y avait bien Zooey, mon voisin et ami, et quelques connaissances de Poudlard. Mais ces personnes là étaient rares : à l'époque, j'étais déjà cette jeune fille sauvage, très peu friande des relations humaines. Qui aurait voulu garder contact avec moi après Poudlard ? Moi, l'effacée, la douce, la gentille, mais l'invisible Allison Steele ? Qui voulait garder contact avec une fille comme ça ? D'autant que ma discrétion quant à ma vie familiale - désastreuse soit dit en passant - et sentimentale - qui ne valait guère mieux - me valait l'image d'une fille cachottière et pas franche du collier. Je bus une autre gorgée de mon hydromel pour me rendre compte en soupirant que c'était la dernière.
Je n'avais pourtant aucune raison de me morfondre, car les choses n'étaient censées qu'aller pour le mieux désormais. C'était pour mon frère et moi un nouveau départ, une nouvelle vie, l'opportunité d'une nouvelle naissance en quelque sorte. Et je ne devais rien ruiner sous prétexte qu'un coup de cafard un soir me minait le moral. Je ne demandais qui plus est pas grand chose ; une vie paisible, banale, loin de tout héroïsme et prise de risques - celle de mon café en était déjà une coûteuse et je priais pour ne pas la regretter amèrement d'ici quelques temps -, surtout loin de la violence et de la mort, deux choses tristement trop fréquentées jusqu'à présent. Mais qui savait ? Les temps d'aujourd'hui étaient sombres, et plus qu'incertains, et nous n'étions jamais à l'abris d'une obscure rencontre.

Spoiler:

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Comme par magie - j'avais toujours trouvé cette expression d'un ridicule désarmant, mais je l'avais si souvent entendue à la maison lorsque j'étais jeune, que je continuais à l'utiliser -, une nouvelle choppe d'hydromel apparue devant moi. Un moment surprise, mon regard remonta de la boisson jusqu'à la main de Tom, puis jusqu'à ses yeux qui, discrètement, bougèrent dans la direction d'un type assis à côté de moi. J'en déduisis que ce serait à lui que je devrais ma gueule de bois demain, et offris un mince sourire à Tom qui tourna les talons et revint à son poste stratégique derrière le comptoir. Un homme qui offrait un verre à une femme dans un bar, que c'était cliché. Je ne m'étais toujours pas tournée vers lui, des scénarios dévalant en cascade mon imagination débordante. Était-ce un homme séduisant en quête d'une compagnie pour la nuit ? Un serial killer à la recherche d'une nouvelle proie ? Une quelconque connaissance de Londres ou de l'époque Poudlard qui m'avait reconnue et voulait renouer ? Quelqu'un qui m'avait confondue avec quelqu'un d'autre, qui m'avait prise pour une autre ? Il fallait dire qu'avec ma capuche rabattue sur mes cheveux et la moitié de mon visage, j'offrais une silhouette à la fois banale et en même temps dure à identifier. Me rendant compte de mon impolitesse, à force de rêver éveillée, je décidais tout de même de remercier le gentleman. Après un regard circulaire et craintif dans le pub, je vis qu'une ou deux personnes étaient entrées depuis, mais ne me portait pas attention, et j'abaissais enfin ma capuche sur mes longues boucles brunes. Tournant la tête, mon regard noisette croisa celui gris électrique de mon voisin de table. Plutôt bel homme, la lumière manquait néanmoins de son côté aussi, et le visage mangé par l'ombre je ne savais que penser de lui. Alors, serial killer, ou serial lover ? Quoiqu'il en soit, je ne le connaissais ni de Poudlard, ni même d'ailleurs. Ses cheveux en bataille et sa barbe lui donnait l'allure, à mon sens, d'un homme habitué de parcourir les routes, et pas franchement de confiance. Pourtant, une étrange lueur dans ses yeux me donna le sentiment qu'il était plus subtile que ça. Le cafard me faisait-il devenir paranoïaque ? J'étais en tout cas bien des choses, mais pas une ingrate. Alors dans un sourire, je levais mon verre vers lui ;
— Merci...? Dis-je et demandais-je, attendant qu'il se dévoile, ou me dévoile au moins son nom.

« – Mais de rien … mademoiselle ! Répondit l'homme, en s'étouffant un peu, et je souris. Je n'avais nullement l'intention de le mettre mal à l'aise, alors je détournais les yeux et revenais à mon hydromel. Reprenant une gorgée, je réfléchissais à toute vitesse. Qui était-il ? Je n'habitais à Londres que depuis quelques temps, pourtant la partie sorcière de la ville n'était pas si grande, et grâce à mon commerce je pouvais me targuer, si ce n'était de connaître leurs noms, mais de connaître pas mal de visages des gens du coin. Le sien ne me disait en revanche strictement rien. Discrètement, je risquais un nouveau regard de son côté, et avisais un sac à ses pieds. Un sac de voyage ? Et qu'y avait-il dedans ? Des effets personnels ? Des gallions ? Des objets de magie noire ? Des... Encore une fois, mon imagination divaguait, galopait même, et tandis que je m'imaginais tous ces scénarios, plus rocambolesques les uns que les autres, mon regard restait braqué au sac de mon mystérieux voisin. Bonjour la discrétion, dire que c'était mon souhait initial... Bien joué Allison, prise en flagrant délit de reluquage ! Mon regard remonta jusqu'au propriétaire du sac, et je lui offris un sourire gêné. Il allait sans doute se dire qu'il venait de payer un coup à boire à la concierge de service. Parfait. Génial. Fallait que je me rattrape, et pourtant je ne savais quoi dire exactement, afin de ne pas m'enfoncer un peu plus. Je m'autorisais à le regarder un moment, avant d'ouvrir la bouche à nouveau;
— Dure journée, hein ? » Du génie, du grand art ! Si on ne me décernait pas l'oscar de la tentative de discussion la plus pitoyable, je voulais bien me la décerner moi-même. J'avais vraiment un problème de communication...

L'homme, de toute évidence, devait me jauger et voir s'il pouvait librement parler ou non, vu le temps infini qu'il prit avant de me répondre. Et quelle réponse.
« — On peut dire ça, une dure journée de plusieurs années avec seulement pour vivre la noirceur de ma vie et de ce que je suis en moi, qui se consume à petit feu ! Pour le coup, je ne sus vraiment plus quoi dire, ni répondre. Eh bien ! J'avais trouvé pire que moi, ce soir. Un peu gênée, de par le mal-être qui semblait l'habiter, et surtout parce que je n'avais cessé de le fixer des yeux, je retournais à mon hydromel, dont je bus quelques gorgées pour me donner contenance. La tête résolument tournée, les yeux braqués sur mes mains, je ne m'attendais pas à ce que l'inconnu ne m'adresse à nouveau la parole.
— Excusez-moi, je ne m'étais pas rendu compte que je vous parlais encore. Laissez-moi me présenter, je suis... Il hésita, bizarrement. Heathcliff.
— Allison, dis-je dans un petit sourire timide. Il reprit la parole ;
— Mais j'ai une question, qu'est-ce qu'une jeune femme comme vous peut faire ici par cette soirée ? Me demanda-t-il juste avant de vider son verre d'un trait, et d'en recommander un autre. Sacrée descente ! Je fis mine de ne pas comprendre sa question, et lui offrais un autre sourire, plus espiègle cette fois-ci.
— Une jeune femme comme moi ? Et quel genre de jeune femme suis-je d'après vous ? » Après tout, nous avions de toute évidence du temps à perdre tous les deux, et parler m'aidait à oublier momentanément les idées sombres qui me trottaient dans la tête.

J'étais stupéfaite. Car en voyant cet homme solitaire enfiler ses verres tout seul dans son coin, jamais je n'aurais imaginé un individu aussi perspicace. On aurait dit qu'il m'avait percée à jour comme si nous nous connaissions lui et moi depuis toujours, comme s'il lisait dans mes pensées. Hé, ce ne serait pas le premier ! Certains grands mages de notre monde en était capables, pourtant j'avais l'impression que dans le cas de mon interlocuteur, cette clarté de vision revenait plutôt à une grande lucidité et une certaine expérience de la vie. J'étais médusée, et en même temps honteuse d'être si prévisible, ou si flagrante, ou si peu discrète, ou si quelque chose, je n'aurais sût dire ce qui m'avait trahie, mais je l'avais été d'une quelconque manière pour qu'un étranger lise si bien en moi, comme dans un livre ouvert. Je tâchais néanmoins de cacher mon étonnement derrière un sourire de convenance, et tandis qu'il finit son hypothèse, et replongeait à nouveau dans ses pensées, je réfléchis un moment. « Mais je me trompe peut-être », avait-il dit, et oh, qu'il était malin. J'eus la tentation un instant de répondre que oui il se trompait, sans doute, mais je n'en fis rien. Au lieu de cela, je répondis au bout d'une minute de silence, d'un air malicieux ;
« — Est-ce que... Est-ce que vous ne liriez pas dans les pensées des autres, Heathcliff ? Ne seriez-vous pas legilimens ? » C'était une pirouette comme une autre, mais au moins me donnait-elle l'avantage d'esquiver une réponse claire et nette.