— L'étude des moldus est une matière assez prenante, si j'en crois ce que mon ami me dit. Personnellement, j'ai pris Divination et Etude des rhunes, ce qui est très intéressant aussi... J'étais pendue aux lèvres d'Orpheus. C'est vrai, je devais avoir l'honnêteté de l'avouer ; ma motivation concernant mon devoir de métamorphose me quittait à la vitesse d'un brossedur 6, et à mesure que je m'ouvrais petit à petit à mon interlocuteur (et vice versa), que nous nous apprivoisions l'un l'autre, j'avais de plus en plus envie de discuter avec lui, tant sa conversation, somme toute ordinaire, était plaisante et agréable. Cela me changeait de mes camarades de dortoir ou de maison, et de leur babillage enfantin et futile de pré-adolescents. « Qui sortait avec qui ? » « Qui avait envoyé un cognard à qui lors du dernier match de quidditch ? » « Qui avait vomi en cours de soins aux créatures magiques en première heure le matin ? » Sans fausse modestie, je m'étais toujours considérée comme une fille plutôt mâture pour mon âge, bien que souffrant d'un terrible complexe d'infériorité et manque de confiance en moi-même, et je me souvenais encore aujourd'hui m'entendre répéter par ma mère, lors de nos rares moments de complicité, que j'étais destinée à m'entendre le mieux avec des gens plus âgés que moi. Serais-je amenée à côtoyer plus amplement Orpheus par le futur ? Je ne le savais pas, mais l'idée m'était très attrayante. Avions-nous des chances de devenir amis ? C'était encore trop tôt pour le dire, et jamais je n'aurais osé m'imposer à lui de cette façon, si bien que l'idée même me fit rougir. Aussi me contentais-je de profiter de l'instant présent, comme si lorsque nous nous quitterions nous ne serions plus à même de nous voir, et l'écoutais parler.
Cependant, les regards insistants persistaient, et Orpheus me paru gêné. Et lorsque je lui posais la question, sa réponse me dérouta ;
— Je préfère... Ne pas en parler pour le moment, si ça ne te dérange pas. Mortifiée, je piquais un fard pour de bon, désormais persuadée qu'il me prenait bel et bien pour la concierge de Poudlard, et bafouilla des excuses.
— Oh... Oh, pardon, oui, je... C'était très indélicat de ma part de demander, on n'en parle plus, ne t'inquiète pas, marmonnais-je avant de replonger le nez dans mon parchemin, sans savoir quoi dire ni faire.

J'avais vu sa main s'avancer, s'approcher, puis se stopper net, et son poing se serrer. Je prenais ça pour un geste plutôt amical, comme une sorte d’accord tacite de paix. Sujet clôt ; j'avais compris qu'apprendre à le connaître le braquerait. Et comment lui en vouloir ? J'étais comme lui. Un animal sauvage, dur à cerner, qui ne se laissait pas apprivoiser. Et qui rechignait à se dévoiler.
— C'est moi qui suis navré Allison. Crois-moi, il vaut mieux que je n'en parle pas, tu serais peut-être plus gênée encore. Enfin je veux dire...
— Tu n'as pas à te justifier, je t'assures. Tout va bien, c'est moi qui suis allée trop loin. Ça ne me ressemble pas d'ailleurs, je ne suis pas si curieuse d'habitude. Je lui offris un pâle sourire. Ça va, je t'assures, je répétais. Orpheus soupira, prit une minute pour se ressaisir, et parla à nouveau.
— Peut-être qu'un jour, je t'en parlerais, mais pour le moment, laissons ça de côté. D'accord ?
— D'accord, j’acquiesçais en souriant. J'étais si gênée que n'importe quoi était bon à prendre pour que l'on change de sujet. Je passais une main sur ma nuque, en me raclant la gorge. Le silence s'installa de nouveau entre nous, tandis que nous replongions respectivement le nez dans nos copies. Orpheus parla au bout d'un moment, et je relevais la tête vers lui.
— Dis-moi... Tu... Tu as des frères et sœurs ? J'haussais un sourcil interrogateur. Avant de sourire.
— J'ai un frère oui, plus jeune que moi. Il s'appelle Adrian. Mon sourire se fit plus tendre. On est très proches, lui et moi, j'ajoutais. Et c'était vrai ; j'aimais mon frère d'un amour inconditionnel. Il était presque comme une partie de moi, comme si c'était moi sa vraie mère, et en même temps ce que je considérais comme mon âme sœur, car je n'avais pas meilleur ami et allié que lui sur cette terre. Cette relation fusionelle, je n'arrivais moi-même pas bien à la saisir, mais loin de m'inquiéter, elle me paraissait être la chose la plus naturelle au monde. Malheureusement, il est chez mes parents... Je sentis mes tripes se tordre, comme toujours. Je me fis une note mentale de filer à la volière lui envoyer un hibou, lorsque je sortirai d'ici. Je m'étais sentie si libérée d'avoir enfin échappé au domicile et au joug paternel que je ne désirais plus qu'une chose ; le même sort pour mon frère. Mais au fil de ma réflexion, je me rendis compte que ma phrase devait paraître bien stupide aux oreilles d'Orpheus. Mon petit frère est chez mes parents... Où était-il censé être, en même temps ? Un gamin mineur ne pouvait être que sous le toit de ses géniteurs ! Mais je ne pouvais expliquer le sens profond de ma réflexion à mon tout nouvel ami ; car lui révéler que nous étions les enfants d'un père brutal et imbibé de boisson de jour comme de nuit serait revenu à signer la fin de toute vie sociale dans ce château. Si tant est que j'en possédais une... Enfin, je veux dire, j'aimerais tellement qu'il soit ici. A Poudlard. Avec moi. A étudier, en fait. Tant qu'à faire, à serdaigle, également, me rattrapais-je, maladroitement. Ah, quelle belle équipe d'handicapés des relations humaines nous formions, Orpheus et moi ! Quel type de relation ressortirait de cet étrange échange ? Je n'aurais su le dire. Et toi ? Tu as des frères et sœurs ? demandais-je, gauchement.

Parler d'Adrian, comme toujours, me mis soudain beaucoup plus à l'aise. Bien sûr, j'avais failli lamentablement tout foutre en l'air en révélant mon plus lourd et honteux secret... Mais la boulette sembla passer comme une lettre à la poste sous mon flux de paroles, même si tout au fond de moi, la lucidité qui m'habitait m'indiquait qu'Orpheus ne devait pas être aussi dupe. Ni dupe, ni moqueur, car il vola à mon secours. La conversation fut relancée, à mon plus grand soulagement, car parler à ce jeune homme me plaisait de plus en plus, et j'hochais la tête pour confirmer ses dires lorsqu'il affirma que peu importait la maison dans laquelle il atterrirait, mon frère se plairait à Poudlard. Et Merlin savait à quel point il était proche de la réalité, sans le savoir ! Quitter le foyer d'un père brutal représentait en soi une bénédiction, mais grandir dans un endroit aussi merveilleux que Poudlard, c'était encore au delà de ça. Je souris. Il me tardait qu'Adrian arrive à Poudlard ! Mais j'étais moi-même encore au début de ma scolarité, et il me fallait faire preuve de patience. Alors pour ne pas languir, j'orientais la discussion sur la vie familiale d'Orpheus. L'éclat dans ses yeux perdit soudain de son intensité et je le sentis de nouveau sur la réserve. Je croisais secrètement les doigts pour que l'on ne retombe pas une nouvelle fois dans la gêne qui nous collait au basque depuis le moment où nous nous étions vus, respectivement de chaque côté d'une étagère de la bibliothèque.
— Non, je suis fils unique. La maison Goldsmith m'a paru bien grande pendant très longtemps... répondit-il en secouant la tête. J'hôchais la mienne, compatissante.
— J'imagine bien... Avec mon frère, je peux à peu près certifier ne jamais m'être ennuyée  de ma vie ! Bien sûr, on s'est souvent disputé et chamaillé, mais on a toujours été deux, et proches. Ça sonnait mièvre, mais c'était la pure et simple vérité. En plus de ça, notre maison à nous est très petite, ajoutais-je malicieusement pour dédramatiser la situation. Je souris, et soudain je tiltais. Je connaissais déjà le prénom de mon nouvel ami, mais il venait de me révéler son nom. Et... Il ne me disait strictement rien. Pour autant, je n'eus pas vraiment envie de lui rendre la pareille et de lui dire le mien. Et puis de toute façon, se serait tombé à plat, en plein milieu de notre conversation, comme ça. Sans s'imaginer mon tiraillement, il poursuivit.
— Du coup, je rentre assez peu, je préfère rester avec mes amis durant les vacances. Et au moins, je peux m’entraîner au Quidditch sur un vrai terrain...
— Oh tu joues au quidditch ! M'exclamais-je, avant de calmer mes ardeurs, voyant que j'avais attiré vers nous quelques regards, dont celui réprobateur de la bibliothécaire. Je n'avais pas envie, en plus, que les élèves qui étaient venus plus tôt enquiquiner Orpheus ne reviennent. J'adore le quidditch. Tu fais partie de l'équipe de Poufsouffle ? J'aimerais bien passer les essais pour intégrer celle de serdaigle, l'année prochaine...