gratitude is the memory of the heart

La bibliothèque était étrangement bondée pour une troisième semaine de septembre, à croire que les ASPICS avaient été subitement avancés au mois prochain sans que personne n'ait pris la peine de la prévenir ! Anne était restée sidérée devant un tel spectacle : après deux tours de salle, aucune place ne s'était libérée, ou ne semblait sur le point de se libérer. Impossible également de retourner travailler dans son dortoir, c'était l'heure de la sieste sacrée d'Alceste et Marion, dont le sommeil léger était soit-disant perturbé par le bruit de la plume grattant le parchemin. Quant à la salle commune des Gryffondor, c'était même pas la peine d'y penser, un tournoi d'échecs sorciers avait été organisé cet après-midi. La jeune fille soupira. Tout le monde semblait ligué contre elle, aujourd'hui ! Mais qu'à cela ne tienne, traduction de runes à faire elle avait, et traduction de runes elle ferait. Et à défaut d'autre solution, c'est sur une salle abandonnée jouxtant leur salle de Métamorphose que la jeune Anne jeta son dévolu. Il s'agissait d'une ancienne salle de retenue, en témoignaient les lignes qui recouvraient le tableau noir, que personne n'avait jamais pris la peine d'effacer : Je ne dois pas jeter de bombabouses dans les couloirs, semblait être répété une bonne centaine de fois, et l'irrégularité de l'écriture rendait évidente l'absence de soutien de la baguette magique. Tout avait été écrit à la main.

Mais là n'était pas la question, et bien vite Anne en revint à son devoir qui l'attendait. Elle s'attacha les cheveux pour que ceux-ci cessent de lui tomber devant les yeux, puis arracha de sa vieille besace de cuir son épais dictionnaire de runes, le texte qu'elle devait traduire (un extrait tiré d'un récit relatant la victoire d'Uthor le Valeureux sur Belforth l'Empaleur), un parchemin vierge, son encrier et une plume d'oie qu'elle trempa dedans tout en relisant son sujet. Leur Professeur avait fait fort pour leur premier devoir de l'année, car Anne buta dès le quatrième mot, qui ne pouvait décemment pas se traduire par le terme "fourchette" sachant qu'il était question de l'inventaire de la garnison d'Uthor. A moins que la fourchette ne soit en fait un trident ? La jeune fille, en proie à un dilemme, se mit à suçoter le bout de sa plume, les yeux rivés sur la mystérieuse phrase comme si en la regardant assez fort, la réponse allait jaillir dans son esprit avec la clarté de l'évidence. Elle ne pouvait décemment pas prétendre qu'Uthor avait gagné cette bataille grâce à une armée de fourchettes enchantées, c'était inconcevable. Le terme "bmias" avait forcément un sens caché, plus métaphorique, allégorique, plus littéraire sans doute, mais lequel ? Et si...

A cette instant, la porte de la salle grinça sur ses gonds et Anne, qui avait oublié où elle se trouvait, sursauta violemment, manquant de peu de s'enfoncer sa plume dans l'oeil. Elle se redressa vivement, honteuse d'avoir été surprise de la sorte, avant d'écarquiller les yeux en reconnaissant le nouvel arrivant.

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Elle s'était remémoré une bonne centaine de fois cet épisode, qui continuait de l'étourdir même après toutes ses semaines. Mais elle ne s'en était ouverte à personne, de peur qu'on la prenne pour une menteuse. Anne s'était renseignée sur lui, après cet étrange après-midi. C'était un sang-pur, à en croire la blouse qu'il avait étrennée tout l'été. Un Serpentard du nom de Selwyn, d'un an son cadet. La Gryffondor n'avait pas poussé ses instigations plus loin de peur d'attirer l'attention sur lui : cela aurait été une bien vilaine manière de le remercier de ce qu'il avait fait pour elle...



Anne titubait dans les couloirs de l'Institution, les mains liées, traînée sans ménagement par un Mangemort qui devait être l'un des frères Lestrange, chargés des leçons aux sang-pur. La jeune fille venait de passer deux jours à l'isoloir pour s'être interposée entre un élève de 12 ans surpris à chaparder, et Alecto Carrow, qui lui donnait une leçon en public. C'était la première fois qu'elle sortait de sa cellule depuis cet épisode, elle n'avait rien mangé depuis, et avait grand-mal à se réhabituer à la lumière extérieure, aussi cligna-t-elle une bonne dizaine de fois des paupières lorsque Lestrange la tira dehors, en direction du terrain d'entraînement.

Merlin, non, gémit-elle en son for intérieur, tout en sachant pertinemment qu'il ne servait à rien de supplier le Mangemort. Au contraire, c'était pire quand ils essayaient d'échapper à la punition : et de toute façon, sa bouche était tellement sèche que la jeune fille doutait de laisser échapper un mot compréhensible.

Elle fut jetée sans ménagement sur le sol de l'arène et s'écroula lourdement faute de pouvoir prendre appui sur ses mains pour se réceptionner : elle resta un instant immobile, occupée à calmer le rythme affolé de son coeur. Tout va bien, tout va bien, essayait-elle de se convaincre. Il était loin déjà  le temps où les sang-pur de Poudlard n'osaient pas faire de magie noire, ou rataient leurs Doloris : certains devenaient même plutôt bons, et se délectaient désormais de la souffrance qu'ils infligeaient à leurs pairs. Cette souffrance qui leur donnait l'impression d'être puissants.  

La Gryffondor respirait à présent à peu près calmement, et entreprit de s'asseoir pour vérifier si elle était la seule impure a avoir été attrapée : avec une grimace de dépit, elle reconnut Troy, le Poursuiveur des Poufsouffle, de même que plusieurs autres élèves, probablement punis pour des délits mineurs. Troy était salement amoché, peut-être même n'était-ce pas son premier cours de la journée comme cobaye. Cela arrivait. Anne elle-même n'avait pas belle mine : sa tunique de sang-impure était déchirée par endroits, et laissait entrevoir une large partie de son épaule droite sur laquelle s'épanouissait un magnifique hématome bleuâtre, et ses clavicules saillantes après tant de semaines de privations. Sa lèvre inférieure était fendue, et du sang séché maculait sa tempe égratignée qu'elle n'avait pas eu l'occasion de nettoyer. Mais le plus effrayant, ce fut le regard qu'elle leva vers son bourreau : on aurait dit celui d'un prisonnier d'Azkaban ayant subi le baiser d'un Détraqueur. Son regard était vide.


Elle ne l'avait pas revu depuis cet épisode. Et si elle l'avait revu, nul doute qu'elle aurait refusé de lui servir de cobaye, et aurait avec plaisir laissé avec le Serpentard un élève plus jeune, plus fragile. Mais elle ne l'avait pas revu, et n'avait jamais pu en discuter avec lui. Le remercier. Chance qui lui était aujourd'hui échue.

Ne sois pas ridicule, le rabroua-t-elle vivement en refermant sèchement son dictionnaire de runes et en repoussant ses affaires de cours, tu ne me déranges pas. C'est... commença-t-elle d'une voix plus hésitante sans savoir par où commencer, une surprise. Oui, une surprise de te voir. Je commençais à croire que j'avais inventé toute cette histoire, que je t'avais inventé toi, lui avoua-t-elle avec un rire un peu incrédule.  

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Anne observait Desiderius d'un air songeur, toujours assise à sa place près de la fenêtre. Que ces deux derniers mois n'aient jamais existé ? La Gryffondor était partagée à ce sujet. Depuis leur retour à Poudlard, certains vivaient dans le déni le plus complet, et mettaient un point d'honneur à faire comme si rien ne s'était jamais passé. Pour trouver la force de passer à autre chose ? Par honte de s'être emporté contre ceux qui étaient sensés être leurs amis ? Les raisons étaient multiples. Anne, quant à elle, essayait de faire la part des choses, mais était de ceux qui essayaient de tirer les enseignements de l'été, plutôt que de simplement condamner l'exercice.

Il ne faut pas, lui répondit-elle avec un joli sourire, car à présent, on sait à qui faire confiance et de qui se méfier, pas vrai ?  


Son regard s'était accroché à celui du garçon, et quelque chose s'était agité au fond du regard terne de la Gryffondor. Il était si jeune, paraissait si fragile avec sa peau si pâle et ses yeux si clairs. Malgré elle, malgré sa position de faiblesse, Anne ne put s'empêcher de ressentir de l'empathie pour ce bel être qui la regardait avec pitié. Lui aussi n'était qu'une victime, et la Gryffondor parvenait à regretter de devoir être, à jamais, associée à lui en un moment si tragique. Mais au moment où le Serpentard commençait à lever sa baguette, moment auquel Anne en général décidait de fermer les yeux, elle en fut incapable : elle venait d'intercepter un clin d'oeil de la part du garçon, un clin d'oeil qui signifiait j'ai un plan, tiens-toi prête.

Anne à l'Institution avait appris à être toujours prête à toute éventualité. C'est pour cela qu'elle avait déjà infligé quelques revers à ses bourreaux, en saisissant n'importe quelle faille dans leur système pour les contrarier : elle savait saisir l'instant présent, et réagir au moment opportun. Quelques jours plus tôt, elle était parvenue à déjouer la vigilance de son bourreau pour s'emparer de sa baguette, et désarmer deux élèves qui s'acharnaient sur un troisième. Depuis, elle avait les mains liées. Mais ses sens restaient à l'affût, aiguisés comme des poignards. Si bien que lorsqu'elle avisa le clin d'oeil imperceptible du Serpentard, son regard s'enflamma soudainement et elle cligna une fois des paupières en guise d'assentiment.

Elle frémit en l'entendant lancer le sortilège impardonnable et vit le rayon rouge fuser droit dans sa direction, se prépara à l'impact... Qui ne vint pas. La mine concentrée, le Serpentard visait avec une précision parfaite un point à quelques centimètres de la cuisse de la jeune fille. Celle-ci, une infime seconde de surprise plus tard, comprenait enfin que cet inconnu l'épargnait, et jeta sur lui un regard éperdu... Avant de pousser un hurlement de douleur et s'effondrer à terre. C'était ce qu'il attendait d'elle. Qu'elle fasse semblant. Alors Anne fit ce qu'elle faisait de mieux cet été, elle pleura.


La Gryffondor eut un nouveau sourire un peu triste lorsque Desiderius lui fit remarquer qu'elle avait meilleure mine, et lui avoua qu'il avait été inquiet pour elle. Ses parents avaient été frappés d'horreur en voyant leur fille aînée descendre du train à la fin de l'été, et , sa mère, avait fondu en larmes, comme de nombreuses autres mères autour d'elle. Anne avait passé deux jours complets au lit, dans un état proche du coma : retrouver son lit douillet avait été d'un tel réconfort... Mais déjà, il fallait songer à retourner à Poudlard. Sa mère, Margareth à cette idée était devenue hystérique, promettant que jamais plus sa fille ne retournerait parmi ses sauvages qui maltraitaient les enfants. Mais face à la douce détermination de sa fille, et aux arguments de son époux Hodric, la mère de famille avait fini par rendre les armes, à son grand désarroi. Et quelques jours plus tard, elle laissait de plus belle sa fille dans ce train maudit, le coeur lourd et les jours baignées de larmes.

Je vais bien, lui assura-t-elle en lui lançant un regard curieux, étonnée de sentir qu'il pensait ce qu'il disait. S'il était si inquiet pour elle, pourquoi n'avait-il pas cherché à la revoir plus tôt ? Nombreux étaient ceux à lui avoir tenu ses mots, ces derniers jours. Nombre d'hypocrites qui, maintenant que tout était fini, craignaient les représailles de la part de leurs victimes de l'été, et assuraient à qui voulait les écouter qu'ils n'avaient pas eu le choix, qu'ils regrettaient profondément. Certains allaient même jusqu'à prétendre qu'ils étaient sous Imperium. Mais Anne avait du mal à les croire. Ils lui avaient paru dans leur élément, cet été. Et quand elle testait leurs souvenirs de l'été, nombre d'entre eux se faisaient avoir et oubliaient que les personnes sous Imperium ne se souvenaient de rien. Ceux-là ne méritaient que son mépris.

C'est aux sang-pur de s'inquiéter, à présent, lui rétorqua-t-elle en haussant les épaules. Ils avaient peut-être la toute puissance cet été, mais c'est fini maintenant, insinua-t-elle d'une voix badine qui ne faisait qu'accentuer l'aspect menaçant de sa remarque.  

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Anne se gardait bien d'en dire plus, de peur de trop en dire. Elle était prévenue en la faveur de ce Serpentard, mais ne devait pas considérer qu'elle pouvait lui faire confiance pour autant. Il l'avait aidée une fois, cela ne faisait pas de lui un allié. La Gryffondor avait connu tellement de personnes qui se contentaient de s'indigner, et se dégonflaient au moment d'agir. Desiderius avait déjà agi, mais cela ne voulait pas dire qu'il était prêt à recommencer, et encore moins qu'il ne jouait pas un double-jeu. La manière qu'il avait de les critiquer la laissait dubitative : ils ne se connaissaient pas. Qu'allait-il lui faire de telles confidences ? Pourquoi cette marque si prononcée de confiance ? La franchise de Desiderius aurait dû la toucher : elle ne fit que la rendre méfiante.

Tu balancerais tes propres amis, lui fit-elle remarquer d'une voix neutre mais le regard flamboyant, ceux que tu côtoies depuis des années. Ton propre sang.

Elle n'ajouta rien à sa liste, parce que celle-ci lui semblait déjà assez percutante. Elle ne savait pas si cet étrange garçon avait des amis. Et comment il se comportait en tant que tel. Les Serpentard l'avaient toujours fascinée en ce qu'ils fonctionnaient si différemment des autres maisons de Poudlard. Forcer un Poufsouffle à vendre les siens relevaient de la gageure : ils étaient loyaux. C'était également une qualité globalement admise chez les Serdaigle, et les Gryffondor. Qualité dont les Verts semblaient dépourvus. En revanche, le sang tenait une place prépondérante dans leurs considérations, mais Desiderius paraissait n'y prêter aucune attention. Ce qui troublait Anne. Elle entrevoyait déjà les bénéfices que le concours d'un Serpentard leur apporterait, mais elle était gênée de sentir qu'il était prêt à trahir les siens pour une raison qu'elle ne s'expliquait pas. La détermination du Serpentard l'impressionnait, et la dégoûtait vaguement. Elle l'interrogeait, également : pouvait-on faire confiance à un individu ainsi prêt à tourner le dos aux siens, au profit d'une quasi-inconnue ? N'était-ce pas s'exposer elle-même au même danger ? Etait-ce un risque qu'elle pouvait se permettre de prendre ? Non, lui affirmait le côté pragmatique et prudent de son cerveau, qui lui avait déjà tant de fois sauvé la mise. Si, lui soufflait en revanche son instinct, dicté par un irrésistible élan du coeur.

La manière dont tu parles d'eux..., commença-t-elle pourtant d'une voix méfiante sans le lâcher du regard, les sourcils froncés, j'ai du mal à saisir. Tu es un Serpentard, tu es sang-pur. Tu es comme eux. Alors pourquoi serais-tu différent ?

C'était un test. Un peu comme si elle lui faisait passer un examen d'embauche, Anne attendait une réponse à analyser, des motivations à évaluer. La réponse de la tête, professionnelle, qui pourrait la convaincre de l'inclure dans le combat. Mais aussi la réponse du coeur, car au fond d'elle, la Gryffondor était déjà convaincue qu'il n'était pas comme les autres dont il parlait avec un tel mépris. Ce qui lui importait, c'était de comprendre pourquoi, et d'en savoir plus sur la vie personnelle de Desiderius.

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Anne laissa sans broncher Desiderius lui reprocher de réfléchir en terme de sang pur ou non : c'était clairement l'argument utilisé par leurs bourreaux, pourquoi se donner la peine d'en chercher un autre ? Cela relevait de l'hypocrisie. Tout ce conflit tournait autour de cela, que cela plaise au Serpentard ou non, et la jeune fille n'en démordrait pas. Telle était la règle, dans ce combat interminable. Les purs d'un côté, les impurs de l'autre. On ne lui reprochait pas d'être Gryffondor ou blonde, on lui reprochait d'être la fille d'un cracmol et d'une moldue, point à la ligne. Alors oui, Anne utiliserait les mêmes règles que ses ennemis, et se montrerait fière de ne pas leur plaire. Pour autant, elle admettait parfaitement que certains sang-pur ne soient pas en diapason avec les idées de leurs semblables : il suffisait de penser à Sirius Black pour s'en convaincre. Il existait des exceptions à cette règle, comme à toutes les règles, Anne en était convaincue.

Tu t'énerves contre la mauvaise personne, lui rétorqua-t-elle d'une voix douce mais ferme. Je n'ai jamais décidé que l'immense majorité des sadiques de cette école serait issue de chez les Serpentard, et de sang-pur, exactement comme toi. C'est un fait, même si cela te nuit peut-être, et ça ne sert à rien de monter sur tes grands hyppogriffes. D'autant plus que je te crois.  

Anne resta un instant silencieuse après son aveu. Oui, elle le croyait quand il lui disait qu'il n'avait pas eu le choix. Le Choixpeau déterminait ce qui était le mieux pour l'élève lorsque celui-ci arrivait, mais cela n'excluait pas du tout que ce qui était le mieux pour l'élève de 11 ans ne le restait pas ad vitam aeternam. Cela n'excluait pas les changements de voie. Elle imaginait aisément le jeune Desiderius arriver à Poudlard la tête farcie de préjugés et soucieux de ne pas déshonorer la famille Selwyn en atterrissant ailleurs que chez les Verts. Puis grandir, et évoluer vers quelque chose de différent : certains Poufsouffles dans l'épreuve se révélaient de véritables têtes brûlées dignes des plus hardis Gryffondor, certains Serdaigles étaient finalement aussi retors que des Serpentard, et n'agissaient qu'à la lumière de la froide raison. Et certains Serpentards pouvaient définitivement avoir du coeur.

Tu n'as peut-être pas choisi d'être Serpentard, reprit-elle doucement en cherchant soigneusement ces mots, pourtant tu as choisi de m'aider cet été. C'est la seule chose que je retiens. Mais j'essaye quand même de comprendre, tu ne peux pas me le reprocher. Tu ne peux pas nier que tu n'es pas comme les autres.

La Gryffondor avait insinué cela avec un grand sourire, soucieuse de ne pas le froisser d'avantage. Il n'avait pas semblé apprécier ses réserves, mais Anne ne parvenait pas à s'en vouloir. Elle devait se montrer prudente, ne pas accorder sa confiance à n'importe qui. Déjà qu'elle lui avait déjà quasiment avoué qu'il y aurait des représailles, elle n'osait penser aux conséquences qui ne manqueraient pas de lui tomber dessus si d'aventure Desiderius décidait d'aller partager cette information avec d'autres élèves de sa Maison...

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Un léger blanc s'installa entre eux, et Anne en profita pour dévisager ouvertement le Serpentard : ce dernier paraissait plongé dans de sombres pensées, et ne lui prêtait soudain plus la moindre attention. Une aubaine pour elle, qui s'empêchait depuis des semaines de trop regarder dans sa direction pour ne pas attirer son attention. Son visage d'albâtre avait pour elle quelque chose de fascinant, et sans doute même d'effrayant pour quelqu'un qui, contrairement à la Gryffondor, n'aurait pas viscéralement cru en sa bonne foi. Là où certains devaient conclure que sa lividité en faisait l'égal de la licorne en terme de pureté, Anne se plaisait à croire que cela n'était que la preuve que son coeur, et non son sang, était plus noble que les autres. C'était idiot, mais elle ne voulait pas croire que c'était sans doute un effet secondaire du fait de dizaines de générations d'unions entre cousins germains, l'idée lui était assez insupportable.

Elle laissa sans protester Desiderius insonoriser la pièce, mais toujours sans le quitter de son regard soudain plus attentif que jamais : une part d'elle-même, celle qui avait le plus souffert cet été, restait sur le qui-vive et ne se détendit que lorsque le Serpentard rangea sa baguette dans sa poche sans autre forme de procès. Il lui était difficile d'accorder sa confiance aux inconnus, aujourd'hui plus que jamais, que ceux-ci soient Serpentard, Serdaigle ou même Poufsouffle. Sans aucune distinction. Le mal venait désormais de partout, de tout le monde, tout le temps. C'était là la leçon la plus utile (mais pas la plus agréable) qu'elle avait tirée de cet été. Et elle avait encore tellement à perdre, à le laisser ainsi entrer dans sa vie. A le laisser ainsi affirmer fougueusement qu'il prendrait de nouveau sa défense si le péril la menaçait de nouveau. La Gryffondor sentit le rouge lui monter aux joues, et baissa les yeux pour n'avoir plus à soutenir le regard de Desiderius lui affirmant qu'il avait confiance en elle. Bien sûr qu'il pouvait avoir confiance en elle, elle avait une dette envers lui. Et qui mieux qu'une Gryffondor pouvait être manipulée par ce biais ? Anne n'avait pas de réponse...

Je veux me battre pour ce qui me semble juste, quitte à suivre un autre chemin, lui affirma à cet instant Desiderius avec intensité. La franchise évidente dont il avait imprégné le moindre de ses mots mena Anne à relever les yeux avec curiosité. Le Serpentard en avait profité pour réduire la distance entre eux, sans doute inconscient du débat intérieur qui agitait la jeune fille.

Je te crois, lui avoua-t-elle finalement avec maladresse, un peu embarrassée, mais je ne suis pas seule. Je ne suis pas la seule à convaincre. Si tu veux te battre pour la même cause que nous, tu vas devoir les convaincre eux aussi, affirma-t-elle plus fermement en fixant son regard quelque part au-dessus de l'épaule de Desiderius pour éviter de se confronter de nouveau au regard du Serpentard, et si tu veux garder cet épisode secret, ça risque d'être compliqué, conclut-elle avec réalisme.

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Anne éprouva un certain soulagement lorsque Desiderius recula d'un pas : cette proximité physique la mettait mal à l'aise, et pas seulement à cause de ce que leurs bourreaux leur avaient fait subir cet été. Cette proximité avec le Serpentard n'avait rien à voir avec un Nott ou un Lestrange, elle n'avait rien de brutal. Cette proximité l'intimidait parce qu'elle ressemblait bien plus à la proximité d'un Swann Jones, et qu'elle n'avait pas connu ça depuis de longues semaines maintenant. Qu'elle avait appris à la craindre, parce qu'elle pouvait se révéler plus douloureuse encore que tous les coups. Mais si elle avait prédit la manière dont Desiderius allait interpréter son comportement, nul doute qu'elle se serait fait violence pour vaincre cette frayeur.

Je le crois aussi, lui répondit-elle un peu plus légèrement lorsque Desiderius estima que les actions valaient mieux que les mots. Je suis sûre que tu peux tous les convaincre comme tu l'as fait avec moi, reprit-elle avec conviction en s'éloignant de quelques pas, soudain plus animée, bien sûr, ça ne sera pas facile, il y aura toujours des sceptiques, regretta-t-elle en se tournant vers lui pour lui dédier un sourire d'excuse, mais le plus grand nombre devrait t'accepter très rapidement.

Anne ne savait rien des nombreuses amitiés que Desiderius entretenait avec les autres élèves de Poudlard. Elle ignorait que le jeune homme comptait bien plus de véritables amis en-dehors de sa propre Maison qu'en-dedans. Elle avait de toute façon bien du mal à imaginer les Serpentard dotés d'un sens de l'amitié : ils étaient bien trop fourbes pour cela. L'amitié requérait un cœur, des sentiments, un besoin de partage. Des ingrédients impossibles à réunir pour une majorité de Verts, en somme.

Pourquoi tu ne me regardes pas ? Je te dégoûte ?

L'interrogation de Desiderius arracha un regard interloqué à la jeune fille, qui était profondément plongée dans ses pensées. Anne rougit. Elle n'avait pas remarqué qu'un silence gênant s'était instauré entre eux. Et Desiderius avait l'air profondément blessé...

Non, mais non, bafouilla-t-elle maladroitement, mortifiée par l'idée qu'il devait se faire d'elle, pourquoi me dégoûterais-tu, ça n'a pas de sens, je suis juste... Anne s'interrompit, soucieuse de ne pas utiliser d'expression malheureuse qui risquerait de blesser Desiderius, je n'aime pas quand les gens... Sont trop proches de moi, reconnut-elle avec difficulté, soudain au bord des larmes. Il lui était difficile de mettre des mots sur cette sensation qui lui pourrissait la vie depuis la fin de l'été, ces incontrôlables mouvements de recul, cette crainte perpétuelle que quelqu'un ne s'approche d'elle dans le seul but de la faire souffrir.

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