Encore cinq minutes, et il allait sans doute lui falloir aller faire un tour à l'infirmerie. A chaque fois, il repoussait un peu plus loin la limite, rompait un peu plus avec l'équilibre du monde, et risquait de terminer les quatre fers en l'air. Mais la vie manquait toujours singulièrement d'adrénaline, quand venait l'heure du cours d'Histoire de la Magie, et tous les moyens étaient bons pour espérer ressentir ce grand frisson qui ne venait jamais, même quand Binns leur relatait la sanguinolente guerre des Gobelins. Et pourtant, elle était particulièrement sanguinolente, la guerre des Gobelins. Mais tel n'était pas le sujet — de toute façon, la guerre était finie, dans le cours. Nous en étions rendus aux tractations de paix entre Gobelins et Sorciers, autant dire que la fête était finie, et le maigre intérêt qu'avait pu représenter les deux derniers cours d'Histoire s'était définitivement évaporé lorsque Brulsec le Gobelin avait terminé par agiter une nappe de lin en guise de drapeau blanc de la reddition. Depuis, Bertram se balançait sur sa chaise, au péril de sa vie. Ce qui avait deux intérêts : d'une part, cela faisait glousser sa jolie voisine. D'autre part, s'il venait à se casser la figure, alors il pourrait feindre une douleur insoutenable dans les cervicales, filer à l'infirmerie, et ne jamais revenir. C'était une perspective intéressante aussi.
— Qu'est-ce qu'on s'emmeeeeeerde, soupira-t-il finalement en se laissant retomber en avant, pour poser son menton sur ses avants-bras croisés. L'aîné Aubrey était au bout de sa vie. Il se redressa pour s'adosser avantageusement au dossier de sa chaise, et jeta un coup d'oeil autour de lui. Tout le monde dormait... Ou presque. C'est alors que Bertram assista à un petit manège qui allait définitivement lui ôter l'envie de dormir !

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Je regardai ma montre rapidement et laissai un souffle désespéré s'échapper de ma gorge. Il ne me restait plus qu'une demi-heure pour finir mes révisions de botanique et j'étais loin d'avoir eu le temps de tout revoir. Je ne comprenais même pas pourquoi on continuait à nous forcer d'aller à ce cours. Quand est-ce que je pourrais enfin avoir le choix de le supprimer de mon emploi du temps ? Même l'histoire de la magie, classe dans laquelle j'étais en cet instant précis, me semblait moins compliquée. Il suffisait de ne pas écouter notre cher prof et de faire ses recherches durant son temps libre et l'examen devenait tout de suite beaucoup plus simple. Cependant, la botanique n'était apparemment pas aussi aisée à manipuler. A force de laisser Luzia faire tout le travail, je me retrouvais devant des dilemmes impossibles à résoudre. J'avais beau avoir les rapports de nos travaux pratiques à côté de moi, je n'arrivais toujours pas à mémoriser quelles plantes étaient dangereuses, ni comment m'en occuper correctement. Je ne voyais pas l'intérêt de l'apprendre, ce qui était loin de m'aider. Après un énième essai de mémorisation, j'allais vérifier dans mon livre et raturai avec fureur les mots inscrits sur le parchemin. Je laissai mon dos se reposer brutalement contre le dossier de ma chaise et passai une main énervée dans mes cheveux. Je fis le tour rapide de la salle de mon regard, mais je ne parvins pas à repérer Luzia. Avait-elle sécher le cours ? En tout cas, je savais maintenant que je ne pourrais pas passer cette classe sans elle. Il allait falloir que je la retrouve dans la soirée pour lui demander son aide et, en attendant, je n'avais plus qu'à m'ennuyer pendant quelques minutes. J'attrapai l'un de mes parchemins gribouillés et commençai à le froisser avec plaisir. Vérifiant vite fait la position du professeur, je jetai ensuite un coup d’œil à la corbeille et affichai un sourire malicieux. Je pris le reste de mes feuilles et fis de même avec elles, finissant avec un tas de petites boules de papier sur mon bureau. Je récupérai la première, jouant un peu avec elle au passage, avant de la lancer avec succès vers la poubelle. « Adieu saleté de cours ! », lançai-je avec bonheur. Je ne savais pas trop comment j'avais réussi mon coup, mais je ne m'arrêtai pas là. Quitte à ne rien faire durant les trente prochaines minutes, autant me divertir un peu. Je prenais la deuxième boulette et fis semblant de viser avant de la jeter elle aussi. Panier ! Les deux autres eurent le droit au même sort, mais je n'eus plus envie de continuer ce petit jeu. Ce n'était plus aussi drôle maintenant, alors je me contentai de faire rouler la dernière entre mes doigts, avachi sur ma chaise.  

Bertram au début songea que c'était de la chance. D'accord, l'angle était un peu traître, et surtout la corbeille située à une certaine distance, mais un tel tir ne représentait pas une difficulté particulière. Après cinq années d'Histoire de la Magie, la moitié de la classe avait trouvé le temps de s'entraîner au lançage de boulettes jusqu'à acquérir une tranquille assurance. Mais Bertram le sentait, chez ce garçon, il n'y avait pas que cela. Ne serait-ce que parce qu'il réalisait un tir direct, et non un tir en cloche, comme les autres. Sur ces entrefaites, probablement inconscient de l'intérêt que lui portait son voisin de derrière, le jeune homme réalisa un deuxième panier. C'était net, et sans bavure, et complètement naturel. Cette fois, Bertram était remarquablement intéressé. Il s'étira sur sa table dans sa direction, afin de pouvoir lui parler discrètement.
— 10 mornilles que tu ne touches pas la tête du rouquin au premier rang, murmura-t-il d'une voix que seul le garçon (un Serdaigle, s'il en croyait les couleurs de la cravate négligemment nouée autour de son cou) était en mesure d'entendre.

A peine avais-je arrêté de jouer avec mes bouts de papier que j'entendis quelqu'un derrière moi. Je me retournai pour jeter un coup d’œil à un serdaigle un peu plus vieux que moi. Il était assez connu dans notre maison, enfin il ne passait pas inaperçu comme moi en tout cas. Je fronçai les sourcils en comprenant ce qu'il me demandait et regardai un peu plus bas dans les rangées. Il n'avait pas choisi l'élève le plus perturbateur de la classe, sauf peut-être par ses ronflements. En même temps, il suffisait d'observer le reste des étudiants pour voir qu'ils étaient tous pareils. « Je ne vais pas faire ça, t'es fou ! Je n'ai pas envie de me prendre une raclée parce que je l'ai réveillé dans le pire cours de la semaine. », répondis-je dans un murmure, avant de me remettre face au tableau. Pourtant, la boulette me démangeait dans les mains et l'ennui revint sans aucun remord. Je la laissai rouler d'un bord à l'autre de ma table, essayant d'oublier cette intervention stupide. Je n'avais aucune envie de me retrouver en retenu ce soir, j'avais d'autres choses à faire.

« Okay, mais on monte à un gallion et ce n'est pas négociable. », m'exclamai-je en regardant Bertram avec un sourire malicieux. J'étais faible, je le savais, mais je ne pouvais pas dire non à un tel défi. En plus, durant ce petit temps de réflexion, j'avais eu une idée pour ne pas me faire accuser. Il suffisait simplement de faire un bon geste. Je me glissai discrètement vers la droite, cachant la vue du serdaigle et regardai avec attention les différents obstacles sur mon passage. La boulette de papier bien en main, je fis un lancer propre directement vers la nuque du première année. Je me décalai aussitôt pour me remettre bien en place et vis la tête du petit, indigné, se tourner vers nous et plus particulièrement sur Bertram. Avec un sourire de défi, je me tournai également vers lui. « Je crois que tu me dois un gallion, mais ça peut attendre la fin du cours, t'inquiète. »  

Son voisin de devant se retourna immédiatement, visiblement étonné par le défi lancé par Bertram, les sourcils froncés par la désapprobation.
— Je ne vais pas faire ça, t'es fou ! Je n'ai pas envie de me prendre une raclée parce que je l'ai réveillé dans le pire cours de la semaine. Bertram roula des yeux avec effarement et se redressa tandis que son camarade se tournait de plus belle vers le tableau, comme pour mieux lui signifier que la discussion était définitivement close.
— Okay, comme tu voudras ! décréta-t-il d'une voix un peu mécontente, le terme de "poule mouillée" lui titillant le bout de la langue. Comme si ce pathétique rouquin était en mesure de foutre une raclée à qui que ce soit. En tous les cas, les Serdaigle n'avaient pas besoin de trouillards dans leur équipe : si déjà ce type était effarouché par la perspective de se prendre une bourrade de la part d'un de ses camarades, il risquait de faire dans son pantalon à la simple idée d'être touché par un Cognard. No way.
— Okay, mais on monte à un gallion et ce n'est pas négociable, s'exclama soudain le jeune homme en se tournant de nouveau vers Bertram. Ce dernier, qui n'y croyait déjà plus, sursauta légèrement — en désespoir de cause, il entrait en phase de somnolence.
— Tu es sûr que ça n'est pas trop dangereux ? s'enquit-il d'une voix faussement inquiète, amusé par la revendication du Serdaigle. Comme s'il avait un Gallion à gaspiller pour des foutaises pareilles ! Il ne répondit cependant rien, partant du principe que qui ne disait mot, ne consentait pas non plus. Son acolyte ne se méfia pas du tout de l'absence d'assentiment de Bertram et commença ses petites manœuvres pour faire régner le chaos dans la classe d'Histoire. Son aîné l'observa avec une grande attention, sans s'inquiéter de voir son cobaye du jour agir avec assez de prudence pour viser le rouquin, le toucher... et que celui-ci se retourne, la bouche ouverte d'indignation, pour croiser immédiatement le regard amusé de Bertram. Il sentit son camarade de devant lui lancer un regard goguenard, probablement fier de sa petite blague. Bertram l'ignora royalement et dédia un sourire carnassier au rouquin du premier rang, le mettant silencieusement au défi de se plaindre. Le pauvre garçon rougit jusqu'à la racine des cheveux, et se retourna vers le tableau sans dire un mot, la nuque cramoisie de contrariété.
— Je crois que tu me dois un Gallion, mais ça peut attendre la fin du cours, t'inquiète, intervint à cet instant le terroriste du jour, l'air très satisfait de lui. Bertram lâcha un petit éclat de rire moqueur et fit semblant d'écrire quelques mots tandis que Binns regardait dans leur direction.
— Je crois surtout que je n'ai jamais accepté de te filer un Gallion pour si peu. Tu as accepté ce marché tout seul, mon grand, lui rétorqua-t-il tranquillement avant de reposer sa plume, je suis Bertram Aubrey, fieffé menteur. Et toi ?
 

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Je me sentais un peu stupide en voyant Bertram faire peur à ma petite victime avec son simple regard. J'aurais pu le faire moi aussi, j'en étais certain. Je n'avais juste pas envie de me faire surprendre dans mes bêtises alors que je m'en étais toujours sorti indemne toutes ces années. Pourtant, ma fierté en prit quand même un coup. Pourquoi ne pouvais-je pas assumer mes blagues ? Pourquoi devais-je me cacher à chaque fois ? Le rire moqueur qui suivit n'était pas pour renforcer ma confiance. Qu'avait-il encore en tête ce foutu serdaigle ? Comptait-il m'embêter pour le reste du cours ? Ça ferait une sacrée distraction, mais je ne voulais pas passer deux heures de plus avec le fantôme qui nous servait de prof. Et voilà qu'il enlevait son pari en plus, ça en valait vraiment la peine. Peut-être aurais-je mieux fait de l'ignorer royalement plutôt que de perdre mon temps. J'ouvris mon livre d'histoire à une page quelconque pour éviter une remarque inutile. « Et les 10 mornilles, tu comptes me les refiler ou tu vas me sortir une excuse merdique encore ? », m'exclamai-je, un peu grognon. Si je pouvais me consoler avec le peu qu'il avait proposé, je ne dirais pas non.

« Pour si peu ? Et qu'est-ce qui me fait croire que tu sais viser toi ? Prouve-le-moi et on verra si je rajoute mauvais perdant à ta description pas très glorieuse. » De nouveau, un air de défi illuminait mon visage. J'avais cru comprendre qu'il était dans l'équipe de quidditch, ce n'était sans doute pas terrible de l'accuser de ne pas savoir viser pour un sport pareil. Enfin, s'il était nul, je pourrais le faire virer et donner ainsi plus de chance à notre équipe de gagner la coupe. Pas que je veuille sa place, je ne saurais pas tenir sur un balai, mais mon côté rancunier n'aimait pas trop ce début de conversation. « Au fait, moi c'est Sean McLloyd, celui qui n'aime pas qu'on se moque de lui et encore moins aller en retenue. Mais j'attends toujours de voir tes talents incroyables. » Je pris un parchemin à peine gribouillé, le chiffonna jusqu'à former une petite balle et la lui lança sans le prévenir. En même temps, j'essayais de repérer une nouvelle cible pour lui prouver que j'étais meilleur que ça. Sans comprendre comment, il avait touché pile sur mon côté challenger. Je valais plus que 10 mornilles, je le savais et j'allais le faire comprendre.