La tante de Faye pousse son dernier soupir et je baisse la tête, le regard dans le vague, les yeux rivés sur une lame de plancher. Les minutes passent, elles me semblent durer des heures. Le silence est oppressant, aussi oppressant que tout le poids que je ressens sur mes épaules. J'ai l'impression que quelque chose est coincé dans ma gorge, j'en ai presque la nausée. Si Faye est soulagée, moi je me sens accablé.
Faye s'empare de ma main, doucement et la serre dans la sienne. J'inspire profondément en me tournant vers elle, comme si je venais de me réveiller d'un très long sommeil. La comparaison n'est pas bonne, je le sais. Pourtant c'est bien là l'impression que j'ai.
Je lâche sa main et sans un mot, je remets le bouchon de la fiole que je range ensuite dans le sac. Puis je me relève, ne sachant quoi dire pour rompre ce silence de mort.
« Je vais y aller... dis-je enfin au bout d'un moment. Si tu as besoin d'autre chose... »
Ne m'appelle pas ? Je m'abstiens et ne termine pas ma phrase. J'espère que Faye ne me contactera plus, je n'ai pas envie de voir l'image de sa tante à chaque fois que je croiserai son regard.

Je le regarde ranger ses affaires et je le sens tendu, froid, lointain. Absorbée par ma tristesse et ma volonté aveugle de soulager nos souffrances, je n'ai pas vu que que ça le touchait. Il était mon outil de ta délivrance, mais il est bien plus que cela. Il a toujours été dévoué, toujours présent. Même ce soir. Il aurait pu nous laisser nous débrouiller. Au delà de son métier, c'est un homme bon à qui j'ai demandé le pire, assassiner son patient. Je le réalise un peu tard. Je me lève et je lui fais face lorsqu'il me dit qu'il va partir. Je lui suis si reconnaissante.

- Je suis tellement désolée.

J'amorce un mouvement vers la porte pour l'y guider, le libérer, puis soudain le pragmatisme me gagne. Que dois-je faire après ?

- Qui dois-je appeler ? A qui dois-je signaler son décès ?

Je balaye d'un geste de la main les excuses que me présente Faye et me force à lui sourire pour la rassurer. Je ne veux pas qu'elle s'en veuille, je ne veux pas qu'elle culpabilise, estimant déjà assez dur pour elle de devoir dire adieu à sa tante après des semaines de souffrance. Pourtant, une petite partie tout au fond de moi lui en veut mais je me fais violence pour la faire taire.
Faye s'apprête à me raccompagner jusqu'à la porte mais arrête son geste alors que je ramasse mon sac sur le sol et l'accroche à mon épaule.
« Qui dois-je appeler ? dit-elle. A qui dois-je signaler son décès ?
— Il faut que tu fasses constater son décès par un médicomage, je répond, la mine grave. Il identifiera la cause du décès et t'indiquera la démarche à suivre quant à la suite. »
Et soudain, je réalise que si un médicomage vient dans l'appartement constater la mort de cette pauvre dame, il va probablement réaliser qu'elle est décédée suite à une surdose de potion de sommeil. Ce qui pourrait avoir des conséquences très graves, une enquête pourrait être ouverte.
J'inspire profondément et m'approche rapidement de la petite table à manger qui trône au milieu de la pièce. J'y dépose mon sac, l'ouvre et me met à fouiller à l'intérieur, sous le regard intrigué de Faye.
« Il faut que je déclare sa mort moi-même, dis-je pour explication. Si un autre médicomage s'en charge, il y aura une enquête et ce n'est pas ce que nous voulons. Tandis que si je le fais, tu n'auras plus qu'à contacter le service funéraire. »
Je sors de mon sac un dossier que j'ouvre et y extirpe un formulaire écrit sur un parchemin. J'attrape également une plume dans le fond, entre les fioles et autres médicaments, puis je me retourne vers Faye.
« Tu dois me donner quelques informations concernant ta tante. Son nom, son prénom, sa date de naissance, tout ça. Après, ça sera fini. »
Enfin j'espère que ça le sera.

J'écoute la réponse d'Adrian avec attention. Dans de terribles circonstances, rien de tel qu'un bon document administratif pour vous sortir de l'émotion. Me recroquevillant dans mon cardigan, je lui donne les informations manquantes :

- Gertruda Bones – 21 janvier 1930 à Londres – Agent administratif au service de gestion des loups-garous – Célibataire - sans enfants – Numéro de Sorcier : 2 30 25 96 875 695 – Baguette : Bois de sorbier, 24,56 cm, plume de phénix...

En jetant un œil sur le document, je complète mes réponses. Voilà c'est terminé.

J'écoute les informations que me donne Faye et les retranscris sur le parchemin. J'y ajoute également la date du décès, l'heure et la cause présumée, à savoir que la patiente est morte durant son sommeil. Je signe, vérifie une dernière fois que tout est rempli puis tends le parchemin à Faye.
« Voilà, dis-je simplement. Maintenant, tout est en règle, tu n'as plus qu'à contacter le service funéraire et à leur donner ce parchemin. »
J'hoche la tête puis me dirige moi et mon sac vers la porte d'entrée du studio. Je pose la main sur la poignée et me retourne une dernière fois vers Faye.
« Je te souhaite bon courage pour la suite, dis-je et, ne sachant pas vraiment comment prendre congé dans ce genre de situation —une bise ? une accolade ?—, je me contente d'un léger signe de la main. Prends soin de toi. »
Puis j'ouvre la porte et m'engouffre dans la cage d'escalier, soulagé de pouvoir enfin quitter cet appartement.

Je prends le parchemin et jette un coup d’œil machinalement. Quand il m'indique ce que je dois faire ensuite, j'acquiesce d'un mouvement de tête. J’appellerais le service oui, mais avant j'ai envie de rester un peu avec elle. Je regarde Adrian quitter notre studio en plissant les lèvres et en me recroquevillant un peu plus dans mon cardigan.

- Toi aussi. Réponds-je tout simplement à sa dernière phrase.

Nous n'avons rien de plus à nous dire de toute façon. Je referme la porte et file auprès de ma tante. Je pose le document administratif vaguement sur le lit et me laisse aller à toute ma tristesse. Il est temps de te voir partir. Il est temps de te dire adieu. Je t'aime.