Noël était passé et Luzia s'était remise de la maladie qui l'avait affectée comme tous les autres élèves qui n'avaient pas un sang-pur. Des cernes soulignaient encore ses yeux, mais son teint avait repris sa couleur naturelle, reposée. La bonne humeur faisait étinceler son regard car Luzia était enchantée à l'idée de retrouver Evan à Pré-au-Lard. Qu'il lui eût fixé un rendez-vous si vite après les réjouissances de Noël prouvait sa hâte de la revoir, et c'était pour l'Espagnole une excellente nouvelle.
Elle se prépara donc, coiffant avec soin ses longs cheveux qu'elle avait décidés de laisser en liberté sur ses épaules, noua autour de son cou le collier en flocon de neige que le Serpentard lui avait offert par l'intermédiaire de son Calendrier, et se maquilla un peu. Enfin, après avoir eu la bénédiction de Hestia, Luzia s'enveloppa dans son épaisse cape d'hiver, enfila ses gants, attrapa son sac avec le cadeau qu'elle avait prévu pour Evan, et se rendit à Pré-au-Lard, à pieds.
Il lui avait donné rendez-vous à la Tête de Sanglier. Certes, ce n'était pas l'endroit rêvé pour un rencard – mieux valait le salon de thé de Madame Piedodu ou, à la rigueur, les Trois Balais – mais Luzia savait que Evan souhaitait être, pour le moment, discret, et elle respectait cela. Le temps n'était pas encore venu pour lui de s'exposer au regard de tous ; Luzia était patiente.

C'est frigorifiée qu'elle fit son entrée dans le pub miteux et sombre. Il y avait peu de monde. Des sorciers sordides buvaient autour d'une table, les dents jaunâtres s'entrechoquant contre leur verre, une longue silhouette encapuchonnée se tenait au bar, tandis que le barman rangeait des bouteilles sur les étalages du fond.
Aucun signe de Evan. Avisant l'escalier qui montait à l'étage, Luzia se dirigea vers le bar et commanda un thé.
▬ Savez-vous si un élève de Poudlard est déjà arrivé ?, demanda-t-elle.
Comme il lui répondait par la négative, elle lui indiqua qu'elle s'installait en haut. Ce qu'elle fit sans tarder, trouvant le vieil homme louche, et prit place dans une sorte d'alcôve, non loin d'une cheminée allumée, espérant que Evan ne tarderait pas. Elle avait tellement envie de le retrouver et de lui raconter les incidents du Bal de Noël. Luzia comptait ainsi faire comprendre à Evan les injustices profondes que faisaient subir aux autres certains élèves. Des bruits de pas se firent entendre dans l'escalier, mais ce n'était que le barman qui lui apportait une tasse de thé fumante, autour de laquelle Luzia s'empressa d'enrouler ses mains pour les réchauffer.

Luzia frissonnait encore et avait resserré ses doigts autour de la tasse. Elle avait des scrupules à commencer à boire alors qu'Evan ne l'avait pas rejointe - mais un énième frisson la convainquit de porter le thé à ses lèvres. N'avait-on pas coutume de dire que les retardataires arrivaient quand on commençait les réjouissances ?

La boisson chaude lui fit un bien fou, la réchauffant de l'intérieur, et la Poufsouffle cessa bientôt de trembler. S'appuyant sur la banquette, elle se redressa cependant soudainement quand elle entendit le bois des escaliers craquer. Evan !
Luzia passa ses doigts dans ses cheveux pour apparaître sous son plus beau jour, et essaya de prendre une pose naturelle - elle ne voulait pas que Evan pensât qu'elle l'attendait droite comme une baguette !

Mais ce n'était pas Evan. Il s'agissait d'une jeune femme, songeait Luzia en étudiant sa démarche. Élégante, et montant l'escalier comme si elle arrivait en terrain conquis, la nouvelle venue observait Luzia avec dédain. Cette dernière la salua d'un signe de la tête, avant de baisser les yeux vers sa tasse de thé, ravalant son espoir de voir le bel Evan.

Alors, elle sentit que la jeune femme prenait place en face d'elle et se débarrassait de sa capuche. Surprise, la jeune Ozores leva la tête, observa avec incrédulité le beau visage, nota une telle beauté et une telle élégance qu'elle songea que cette femme ne pouvait vraiment exister.
Luzia soutint son regard, intriguée.
▬ Si tu te demandes où est Evan, sache qu'il ne viendra pas.
Galvanisée, Luzia ne sut que dire, se demandant comment elle pouvait connaître Evan, savoir que l'Espagnole venait pour lui...
La femme, qui paraissait de plus en plus inquiétante, avoua avoir elle-même planifié le rendez-vous, avançant une histoire de chasse, avant de lâcher, brutalement :
▬ Evan est mon fiancé.

Si l'on avait jeté un seau d'eau glacé à Luzia, elle n'aurait pas réagi différemment. Ses lèvres s'entrouvrirent sur un son muet, ses yeux s'écarquillèrent. Evan, fiancé ? Elle n'en avait rien su.
Malheureusement pour la Poufsouffle, le sang vint battre à ses joues, tandis qu'elle comprenait l'absurdité de la situation. Elle se trouvait devant la fiancée de Evan dont il n'avait jamais parlé. Était-ce donc pour cela qu'il tenait à ce que chacun de leur rendez-vous restât secret ?
Pour se donner contenance - et pour gagner du temps - Luzia se contenta de boire une nouvelle gorgée de thé.
▬ Ah, fit-elle, la gorge nouée, j'ignorais que Evan était fiancé.

Elle ne put aller plus loin, ne sachant pas ce qu'elle pouvait dire. L'Espagnole se contenta d'observer les irrégularités du bois de la table, ne pouvant se résoudre à regarder la fiancée de Evan qui, elle, ne la lâchait pas des yeux.

Le visage toujours baissé, Luzia essayait de ne pas laisser voir les émotions qu'elle ressentait. Elle ne savait pas trop qui de la colère ou de la déception l'emportait, mais elle était sûr que les larmes viendraient si elle ouvrait la bouche. Or, elle ne tenait pas à paraître plus ridicule qu'elle ne l'était déjà...
Evan... fiancé... C'est-à-dire qu'il ne sortait pas uniquement avec une autre fille. Il était unie à elle par un serment. Pourquoi n'avait-elle rien soupçonné ?! C'était qu'elle avait été bien bête de le croire. Luzia s'en voulut alors, maudissant sa naïveté. Moran avait souhaité la mettre en garde et elle ne l'avait pas écouté...

Malgré le choc que provoquait la nouvelle et l'étrangeté de la situation, Luzia se rendit compte tout d'un coup qu'elle n'était pas aussi remuée qu'elle le pensait. Une brume avait envahi son esprit, embrumant ses pensées, anesthésiant un peu sa douleur. C'était comme si elle avait eu soudainement envie de dormir. Ce n'est que lorsque la fiancée de Evan lui demanda pourquoi elle ne s'était pas plus informée de la situation de Evan que la Poufsouffle releva la tête.
▬ Je ne sais pas, fit la Poufsouffle d'une voix traînante, comment pouvais-je suspecter qu'il serait déjà fiancé... à son âge.

Luzia se passa une main sur le visage, ne comprenant pas son attitude. Elle avait pourtant répondu avec sincérité. À dix-sept ans, pouvait-on être sûr de vouloir faire sa vie avec quelqu'un que l'on connaissait si jeune ?
▬ J'ai besoin que tu écrives l'aveu de votre relation, ajouta la jeune femme comme si Luzia n'avait rien dit d'intéressant, et que tu le signes de ton nom.

Elle avança un parchemin ainsi qu'un nécessaire à écrire.
▬ Un aveu ?, demanda mollement Luzia, qui pourtant s'était saisi de la plume.
Elle exécutait machinalement les gestes, ne se rendant pas compte que, en temps normal, elle aurait été bien plus méfiante. Et puis, la dame ne lui avait-elle pas dit que rien de mal ne lui arriverait ?
Alors, trempant la plume dans l'encre, la jeune Ozores noircit le parchemin en racontant tout : la rencontre à l'infirmerie, les séances de botanique, les rondes menées ensemble, ainsi que le début de leur relation, leur correspondance... Aucun filtre ne venait censurer l'écrit de Luzia.
▬ J'ai envie de dormir, disait-elle de temps à autres, un peu lasse.

Ses paupières étaient lourdes et, par instants, elle peinait à se concentrer. Pourtant, elle termina sa missive et signa.

L'autre, en face d'elle ne l'avait pas lâchée du regard. Luzia nota sa froideur et se dit qu'elle devait lui en vouloir.
▬ J'ai terminé.

Néanmoins, alors qu'elle n'avait opposé aucune résistance auparavant, la Poufsouffle ne tendit pas de suite le parchemin noirci à l'encre.
▬ Vous êtes vraiment fiancée avec Evan, demanda Luzia, vraiment, officiellement ?

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Longueur : 505 mots

Dans son brouillard, Luzia percevait les explications méprisantes de la jeune femme qui lui faisait face. Explications dont elle ne comprenait le sens qu'au bout de quelques instants. Elle réalisait que les vies qu'elles menaient étaient bien différentes. Jamais Luzia n'aurait de fiancé avant plusieurs années, et ce serait le résultat de son choix, pas de celui de son entourage.

L'Espagnole n'aimait pas la façon dont la femme s'adressait à elle. Certes, Evan s'était bien moqué d'elle, et elle-même s'était montrée bien naïve, mais elle ne méritait pas cette condescendance.
▬ Y-a-t-il des fiançailles qui ne sont pas officielles ?, répliqua la brune en face d'elle.

Trop assommée, Luzia ne répliqua rien. L'autre pouvait lui définir les fiançailles autant qu'elle le voulait, cela ne la touchait pas vraiment, car ce n'était pas une réalité palpable. Elle était intriguée par son état général. Une petite voix lui disait que ce n'était pas normal, cette léthargie. Cela ne lui ressemblait pas du tout.
Cette méfiance, même si en sourdine, l'encourageait à ne pas donner le papier à cette mystérieuse femme. Cependant, cette dernière tendit une main vers elle et le mot "antidote" raisonna avec force aux oreilles de Luzia. Malgré son état, elle comprit une chose :
▬ Vous m'avez empoisonnée ?
▬ Tu as froid. Tu es fatiguée et lasse. Tu es empoisonnée. Donne moi cela avant que tu ne ponctues cette mascarade de ta mort.

Voilà donc la cause de son étrange attitude ! Le cœur de Luzia se mit à battre plus fort quand elle comprit la situation dans laquelle elle se trouvait. Le sentiment de peur enveloppa son désir de résister et elle céda, avançant la main pour placer le parchemin dans celle de la brune.
Des larmes perlaient aux yeux de Luzia.
▬ Comment pouvez-vous faire ça, eut-elle seulement la force de demander.

Il y eut un changement, à peine perceptible, dans l'attitude de la jeune femme devant elle. Cette dernière recula dans son siège, retirant sa main sans saisir finalement le parchemin.
Luzia avait froid à présent, et eut juste la force de tirer sur ses genoux sa cape d'hiver. Malgré son état, l'Espagnole comprenait que la jeune femme regrettait son geste. Du moins était-ce ainsi qu'elle saisissait son silence soudain.
Désormais, de véritables larmes coulaient le long des joues de Luzia. Comme dédoublée d'elle-même, son corps agissait indépendamment de son esprit, résistant comme il pouvait au poison qui se diffusait en lui, tandis que cerveau analysait le guet-apens et n'y trouvait qu'injustice à redire. Bien que sensible, Luzia n'était pas du genre à pleurer. Ses parents avaient vécu le régime franquiste et leur migration jusqu'en Angleterre n'avait pas été de tout repos. Savoir que ses parents avaient été menacés et obligés de quitter famille et foyer vous faisait relativiser les simples aléas de l'existence. Mais ce jour-là, sentant sa vie s'éloigner peu à peu, les nerfs de la Sixième année lâchaient.
C'était nécessaire ? Un nouveau frisson parcourut une Luzia qui devenait de plus en plus livide au fil du temps.
▬ Un veritaserum aurait suffit, souffla-t-elle entre deux sanglots.
▬ Donne moi ce parchemin, je te donne l'antidote, et on en parle plus.

Luzia n'était guère en position de négocier et donna le parchemin, tandis que la mauvaise lui assurait qu'elles ne se verraient plus jamais, sur un ton qui se voulait presque bienveillant.
▬ Voilà, répondit la Poufsouffle dont la respiration était devenue sifflante.

Pouvait-on offrir de tableau plus pathétique ? Était-ce donc cela, mourir ? Sentir son corps s'engourdir et hésiter à peine à suivre l'élan vers le grand sommeil ?

Aussitôt, la jeune femme devant elle rangea le parchemin dans son sac. Elle en sortit ensuite une fiole minuscule, contenant un liquide violacé, l'ouvrit, et la posa devant la Poufsouffle. Tandis qu'elle lui intimait de boire, Luzia sentit les effluves agréables de l'antidote. Pas de doute, c'était bien ce qu'il lui fallait pour combattre le mal qui la rongeait de l'intérieur.
La Sixième année vit la femme se lever et enfiler ses gants avec soin, comme si ce qui venait de se passer relevait d'une conversation polie et non d'un abominable chantage. Elle trouva la force de hocher la tête quand sa rivale lui conseilla de faire attention aux hommes, à l'avenir.

Ses pas s'éloignaient dans l'escalier, et Luzia était toujours assise devant la fiole, hébétée par ce qu'il venait de se passer, engourdie par le poison. Puis, l'instinct de survie reprit le dessus, et dans un sursaut herculéen, Luzia attrapa la fiole et en goba le contenu, avant de la reposer sans délicatesse sur la table. Cet effort lui avait coûté beaucoup, et elle s'adossa à la banquette, fermant les yeux. Heureusement, les effets de l'antidote ne tardèrent pas à se faire sentir - une chaleur s'alluma dans son estomac et se communiqua à tous ses membres. Sa respiration retrouva son calme, son rythme cardiaque gagna en ardeur, la couleur revint à ses joues - la vie l'habitait de nouveau désormais.

Songeant qu'elle ne pouvait pas rester plus longtemps dans cet endroit, Luzia se leva, enfila à la hâte sa cape et descendit au pas de course les escaliers. Sans regarder le commerçant, elle jeta un galion sur le comptoir - tant pis si son thé ne valait pas cette somme, elle ne voulait pas s'embarrasser avec la monnaie. Ouvrant la porte avec fracas, l'Espagnole courut au dehors et gagna le château à toute vitesse. Dans sa course effrénée, les sanglots lui vinrent de nouveau, et elle ne se sentit en sécurité qu'une fois dans le Hall d'entrée.

S'appuyant contre le mur de pierre, cachée par une imposante statue, Luzia prit le temps, pour la première fois depuis son départ de Pré-au-Lard, de réfléchir. Evan Rosier s'était donc moqué d'elle depuis le début ? Elle n'avait été qu'un passe-tempe ? Et elle avait cru à ses belles paroles, et elle avait fait durer la mascarade pendant sept mois ?!
▬ Tonta, s'exclama-t-elle en enfouissant son visage dans ses mains.
Mais était-elle vraiment stupide ? Comment aurait-elle pu résister au charme de Evan, à ses attentions, à ses lettres ? Qui n'aurait pas été bernée ? Plus jamais elle ne pourrait se retrouver face à lui. La honte et la colère - la peur, aussi - la retenaient.
▬ La madre que le..., jura-t-elle.

À cause de tout cela, elle avait failli mourir... À cette simple idée, l'estomac de Luzia se retourna, et elle eut juste le temps de s'enfermer dans les toilettes des filles pour vomir.

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