Ne pas abandonner. Voilà une idée qui, si elle semblait aussi simple et primaire, offrait une nouvelle perspective à Abe. Trop longtemps, justement, il s’était abandonné à ses démons, au désespoir de ne pas se voir être la personne qu’il voulait être, à se flageller d’une différence qu’il n’arrivait pas vraiment à qualifier. Il n’était pas le garçon sans reproches qu’il pensait devoir être à cause de ses parents si brillants et si exemplaires mais à trop se complaindre sur son sort, il ne cessait de s’enfoncer dans les ténèbres et de s’éloigner de cet espoir, cette rêverie. A se perdre dans un pessimisme destructeur, il en avait oublié que, même s’il n’arriverait jamais à être de la trempe de son ministre de père, ce n’était pas une fatalité. Ce ne devait pas être une barrière infranchissable mais bien un objectif ultime, un phare dans l’obscurité.
« En tout cas, il faut essayer. Que peut-on faire d’autre pour l’instant, » relativisa Svetlana.
Cette fois, Abraham fit preuve de bien plus de conviction et il hocha vivement la tête avec un air résolu. S’il regrettait toujours d’avoir été si odieux avec son amie, son amertume s’évanouissait peu à peu comme elle lui offrait une nouvelle vision des choses. Dans ce moment hors du temps, nimbé de l’irréel voile argenté de la pleine lune, ils s’étaient peut-être frappés avec les pires mots mais surtout, ils s’étaient retrouvés. Et Abe ne pouvait en être plus heureux.

Svetlana se leva alors, déclarant qu’il était temps pour elle de passer la main à l’un de leurs homologues préfets. Elle avait raison, il se faisait tard et Abe savait que s’il n’allait pas se coucher rapidement, il n’aurait pas le courage de quitter le lit le lendemain pour se rendre en cours. Il resta toutefois, quelques instants sur le banc, la tête rejetée vers les nuées nocturnes, à contempler l’astre lunaire.
« Tu rentres avec moi ? »
« Oui ! » répondit-il avec vivacité, un sourire franc et grandiose s’étirant sur son visage. Déjà il avait quitté le banc et rejoignait son amie.

On disait que la nuit portait conseil.
Jamais jusqu’à présent Abe n’avait éprouvé la justesse de ce dicton.

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