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Manoir Travers
Un dimanche après-midi pluvieux ~

La pluie tambourinait vigoureusement contre les fenêtres du Manoir Travers en ce dimanche après-midi de vacances scolaires. Le temps était d'une morosité à la hauteur de l'humeur de Niclas, ravi de voir leur demeure se remplir de plus d'occupants qu'elle n'en comptait déjà — savoir, beaucoup trop à son goût.
Le déjeuner avait été animé grâce à tous les enfants de Forsyth, réunis sous le toit familial en une bruyante cacophonie de reproches, de cris et de griefs coutumiers. Qu'il était bon d'être de nouveau tous ensemble à la maison...
Nick avait effectué un repli stratégique au grand salon après avoir quitté la table. Il ne travaillait pas au Ministère ce jour-là, s'étant octroyé gracieusement un jour de congé, lui qui, il fallait le reconnaître, y occupait ce que l'on appelait dans le jargon « un emploi fictif » afin de préserver les apparences. Son père y était parti furieux, et cela faisait déjà un Travers de moins à respirer le même oxygène que lui. Restait cependant les autres.
Assis dans le large sofa, la cheville droite posée sur le genou gauche, il lisait la Gazette du Sorcier étalée sur ses jambes, un verre de bourbon posé sur l'accoudoir à côté de lui, concentré sur les petits caractères imprimés à s'en brouiller la vue, tant il était désireux de rester imperméable à toute intrusion de l'extérieur. Malgré cela, il avait bien sûr était rejoint, leur living-room étant une des plus grandes pièces à vivre du Manoir, avec ses hauts plafonds voûtés et son immense cheminée, dont l'âtre était sans doute l'élément le plus chaleureux de leur résidence.
Comme le miel attire les abeilles, il eut soudain l'impression d'être au beau milieu d'une ruche et regretta amèrement de ne pas avoir choisi plutôt leur chambre, à Fluvia et lui, au détriment du salon, toujours si fréquenté.
Cependant, tel un chat impérieux et paresseux, il était si bien installé face au feu, calé dans les épais coussins de soie, qu'il n'aurait pas bougé pour tous les gallions de Gringotts. Qui plus est, il était là le premier, et jouissait du droit d’aînesse dont il usait et abusait à sa guise, autant qu'il s'en abrogeait lorsque la situation n'était plus à son avantage.
Levant ses yeux d'onyx vers les occupants de la pièce, il jeta un regard peu amène à chacun d'entre eux, ce genre de regard qui signifiait clairement qu'il n'était pas d'humeur à ce qu'on le dérange, encore moins d'humeur à faire la conversation...

C’est avec un soupir que Christian quitta la table de la cuisine, lasse de tant de bruit qui parvenaient brutalement à ses oreilles. On ne pouvait pas rester tranquille cinq minutes, dans cette maison. Toujours quelqu’un pour chercher l’autre. En général, c’était plutôt ses deux frères et sa sœur qui cherchaient les histoires, Christian, lui, ne faisait que répondre. Que le même sang coule dans leurs veines, de cela ils pouvaient en douter. Le musicien était tellement différent d’eux que plusieurs s’étaient souvent demandés si leur mère n’avait pas trompé Forsyth avec un autre. Et pourtant non, il avait un air de son père, au grand dam de son frère Niclas.
Voulant étudier dans le grand salon, Christian avait pris ses quelques affaires et livres de l’ESM avant de se diriger vers cette pièce principale qui était certainement la préférée des enfants Travers, pour leur plus grand malheur. En mettant un pied à l’intérieur, le musicien put voir que son frère aîné s’y trouvait déjà. Il fit comme s’il n’était pas là et continua naturellement son chemin avant de s’installer sur la grande table face au sofa sur lequel Nick était paresseusement installé. Toujours à rien faire celui-là, juste à s’amuser de sa baguette. Il ne savait faire que ça.
Accompagné de la musique des gouttes d’eau qui s’écrasaient contre les vitres, le regard las et neutre de Christian rencontra celui un peu plus – si ce n’est carrément plus – noir de l’aîné de la fratrie. Sans lui porter la moindre attention, Christian commença à feuilleter les pages de son manuel.

Depuis ce matin, Azelma guettait fébrilement le ciel dans l'attente d'un hibou. Des résultats d'examen ? Que nenni, c'était bien plus important que cela. Les divertissements étaient bien peu nombreux en ces vacances d'hiver pluvieuses, sans le droit de pratiquer la magie et affublée de tous ses insupportables frères. La benjamine Travers, qui avait pour objectif de devenir une femme, une vraie, avait de plus en plus de mal à vivre la situation. Heureusement, Fluvia était là pour redresser la barre, mais à dire vrai, en la présence de Niclas, les deux jeunes femmes se gardaient bien de paraître trop proches. Plus les mois passaient et plus son détestable frère aîné se révélait imbuvable, si cela était seulement Merlin possible... Tant et si bien qu'Azelma, depuis le début des vacances, essayait tant bien que mal de se maintenir à distance du courroux fraternel. Du moins celui de Niclas. Christian et Warren, c'était une autre histoire. Mais les histoires, les Travers étaient les meilleurs pour les écrire.
Un cri de joie échappa à Azelma lorsqu'elle discerna depuis la fenêtre de sa chambre un point noir qui tremblotait dans le ciel grisâtre, chahuté par le vent. Les conditions climatiques désastreuses cependant eurent l'air de désorienter le hibou, car ce dernier ne vola pas jusqu'à elle mais parut s'engouffrer dans une fenêtre du rez-de-chaussée. Sans attendre, la jeune fille jaillit en courant de sa chambre et dévala les escaliers à la recherche de la précieuse bestiole, qu'elle localisa très vite à l'une des fenêtre du grand salon. Tout trempé, l'animal s'apprêtait à taper du bec contre la vitre quand Azelma fit brusquement irruption dans la pièce, sans prêter la moindre attention du monde à ses frères qui s'y trouvaient.
— Enfin ! roucoula-t-elle en ouvrant la fenêtre pour débarrasser le hibou de son colis My little Witch box du mois de mars. Pooky, appela-t-elle son elfe de maison, occupe-toi de l'oiseau, ordonna-t-elle à la créature qui se matérialisa à côté d'elle tandis qu'elle ouvrait fébrilement son paquet, à la découverte de ses petits produits de beauté du mois.

Puisqu'on lui reprochait très souvent toutes ses tares, Niclas se demandait on ne peut plus sincèrement pourquoi ses parents avaient-ils jugé utile de reproduire le schéma trois fois à sa suite. Pourquoi ne s'en étaient-ils pas cantonné à un second enfant, s'il n'était pas déjà suffisant à lui tout seul ?
Non, il avait fallu qu'ils se reproduisent, pas une, pas deux, mais trois fois. Trois fois !
Et à croire qu'il n'était qu'une ébauche, à son goût les suivants étaient encore plus demeurés qu'il pouvait être tordu.
Ah vraiment, qu'on se le dise, les Travers portaient divinement bien leur nom.
De toute l'immensité vaniteuse du living-room du Manoir, il avait fallu que Christian choisisse la chaise pile en face de son spot sur le canapé. Et voilà qu'il le regardait. Les sourcils de Nick se froncèrent, tandis qu'il sondait son frère du regard, l'air de dire « qu'est-ce tu m'veux ? J'suis pas d'humeur », et le Mangemort but une gorgée de son bourbon qu'il fit tourner plusieurs fois dans sa bouche pour en apprécier la saveur corsée. Chris détourna le regard et s'en remit à sa lecture, au moment où Nick baissa les yeux sur sa Gazette et qu'un tremblement de terre nommé Azelma fit irruption dans la pièce en gueulant plus fort qu'une beuglante. La bougresse ouvrit la fenêtre pour faire entrer la chose volante qui lui servait d'animal de compagnie, et un froid glacial s'engouffra dans la pièce. Faisant sèchement claquer les pages de son journal pour signifier très clairement son mécontentement, il grogna ;
— La fenêtre, Alicia ! Mais elle ne l'écoutait pas, bien trop occupée à défaire bruyamment le contenu de son colis. Nick leva les yeux au ciel si fort qu'il en eut une migraine foudroyante. Il se renfonça dans les coussins du sofa, plus orageux que jamais. Qu'on l'achève, et vite !

Azelma avait toujours voulu se faire bien voir de leur grand-frère à tous. C’était ainsi et Chris ne s’en plaignait pas vraiment. Qu’elle reste loin de lui. Il désespérait suffisamment d’avoir une famille telle que la sienne, alors que sa petite sœur n’en rajoute pas trop merci. Le second Travers n’aimait pas que sa fratrie lui traîne dans les pattes, alors il était bien content qu’Azelma aille voir ailleurs. Ce qui était pour déplaire à Niclas qui, plutôt préoccupé par ses affaires de Mangemort ou de feignant qui se prélasse sur le canapé, l’envoyait paître de temps à autres. Et cette pauvre petite qui ne voyait rien. Mais bon, cela arrivait d’être aveugle dans ses années de jeunesse. Cela arrivait aussi d’être aussi bruyante que le Poudlard Express. Décidément, il aurait dû aller étudier dans sa chambre comme il le faisait tous les jours. Seul Merlin savait pourquoi ses pas l’avaient guidé jusque-là.
Il eut un regard assez las sur son frère et sa sœur lorsque Nick se trompa – ou plutôt fit exprès de se tromper – sur son prénom. Alicia. Non mais sincèrement. Il aurait pu trouver plus original. Christian soupira intérieurement en tournant une page. Azelma allait sûrement s’énerver pour la bévue de leur aîné et le musicien ne voulait en aucun cas s’interposer entre eux. Premièrement, ce n’était pas son affaire. Deuxièmement, il n’y voyait nul intérêt. Troisièmement, il avait tellement mieux à faire. Son manuel de droit captivait toute son attention et il ne voulait pas perdre son temps dans quelque chamaillerie de la sorte. Il valait mieux que ça.

Après le déjeuner, Fluvia était restée en compagnie de sa belle-mère pour discuter d'un aménagement qu'il leur fallait absolument faire dans le parc du Manoir Travers cet été - du moins selon Mrs Travers. Fluvia s'en moquait, à vrai dire, de la taille de l'étang. Il y avait deux ans, elle aurait accordé à cette discussion une attention capitale, sachant que le standing d'un parc reflétait le rang de ses propriétaires. Désormais, depuis qu'elle savait que son mariage avec Niclas était une erreur, elle s'en moquait.
Elle avait d'autres préoccupations, mais écouta patiemment Mrs Travers imaginer les travaux à faire, hochant la tête quand c'était nécessaire, formulant un commentaire quand elle sentait que sa tante attendait un assentiment.

Les pensées de Fluvia dérivaient. Elle accusait un retard dans ses menstruations et espérait que cela était une bonne nouvelle. Alors qu'elle se demandait comment - et quand - elle annoncerait la nouvelle à Niclas, Mrs Travers décida que tout était planifié et libéra Fluvia. Justement, cette dernière entendait Azelma descendre très rapidement les escaliers.
Comme de nombreuses épouses, Fluvia en était venue à attendre impatiemment les vacances scolaires. Le retour des autres ramenait un peu de vie dans la demeure. Depuis sa discussion estivale avec sa cousine, Fluvia s'entendait à merveille avec Azelma, mais, tacitement, elles avaient décidé d'être discrètes...

La blonde héritière suivit Azelma qui venait de pénétrer dans le grand salon. Alors qu'elle-même passait la porte, elle entendit Niclas reprendre sa jeune sœur.
▬ Alicia ?, répéta Fluvia, incrédule. J'ignorais que tu avais changé d'identité, Azelma...
Fluvia sentait Niclas nerveux, mais était décidée à ne pas le laisser martyriser davantage sa cousine.

Azelma étant en train d'ouvrir le colis qu'elle venait juste de recevoir, Fluvia traversa la pièce et ferma la fenêtre pour éviter que la pluie n'abîma le parquet parfaitement ciré.

Azelma se demandait si Niclas l'avait réalisé. Depuis quelques mois maintenant, la benjamine Travers avait gagné en confiance... et par là en impertinence. Était-ce le résultat de la rupture de ses fiançailles avec Evan Rosier, ou simplement cet été de l'horreur passé en Transylvanie qui l'avait vue enterrer un cadavre au fond du domaine familial, bien aise aurait été celui à pouvoir l'affirmer. Dans les faits toutefois, il devenait évident qu'Azelma Travers avait gagné en toupet, et que Niclas avait perdu de son ascendant sur elle. La jeune fille n'était pas encore complètement prête à s'opposer frontalement à lui, mais quand il s'agissait de le contrarier, en revanche, elle ne manquait plus une occasion. C'est pourquoi elle l'ignora royalement lorsqu'il lui enjoignit de fermer la fenêtre d'une voix fort désagréable : le croup pouvait bien grogner depuis le fond de son canapé, il ne lui faisait plus aussi peur qu'avant ! D'autant plus que la présence de Christian et de Fluvia, nouvellement arrivée dans la pièce, ne pouvait que lui assurer de relatifs soutiens dans le cas où Niclas se déciderait à mordre.
— Mmmmmh je n'ai rien changé du tout, répondit-elle distraitement à sa cousine et belle-soeur en examinant de plus près une fiole de potion anti-boutons, ce pauvre Niclas a toujours eu des problèmes de diction c'est pas vraiment de sa faute, prétendit-elle en lançant à son frère un sourire railleur démenti par un regard féroce. Tiens regarde, n'est-ce pas un peu la même teinte que celle que portait Narcissa lors de son mariage ? demanda-t-elle en découvrant un rouge à lèvre qu'elle ouvrit pour s'en tracer une ligne sur la main.

Qu'Azelma soit une petite peste n'était pas nouveau, loin s'en faut, la gamine avait toujours été du genre à ouvrir la bouche pour qu'un flot d’âneries ou de caprices n'en sorte. Mais que Fluvia, sa Fluvia, ne la considère au point de s'oppose à lui, cela, cela ne lui plaisait pas du tout.
Comme beaucoup d'hommes de leur milieu et de leur allégeance, Niclas aimait avoir de l'autorité et du contrôle, beaucoup, sans limite, sans obstacle. Il n'aimait pas en revanche que l'on envoie cela valser comme un coup de pied dans un château de cartes.
— Et moi j'ignorais que vous aviez accordé vos violons, toutes les deux, grogna-t-il sans même les regarder, encore moins en ce qui te concerne Azelma que tu réussisses désormais à aligner deux phrases sans pleurnicher ou parler de futilités...
Puis sa sœur s'extasia sur la couleur d'un rouge à lèvres, dont elle barbouilla sa main, semblant dire qu'il était le même que celui de Cissy Malfoy lors de ses noces.
— Je me disais bien, aussi... Nick lui jeta un regard éberlué, agacé, qu'il tourna par la suite vers Fluvia, dont il désapprouvait le ton ironique. Était-ce une once de défiance qu'il sentait à son égard, dans son comportement ? Que cet esprit de rébellion ne lui donne pas plus de confiance qu'elle en avait déjà, car Nick était bien décidé à une chose : le tuer dans l’œuf. Après tout, c'était quelque chose dont elle était déjà intimement coutumière...

Et voilà maintenant que toute la famille Travers venait à s’inviter dans le salon familial. Il ne manquait plus que les parents pour remplir le parfait tableau. Le musicien se dit qu’il aurait dû rester dans son bureau et écouter son instinct, mais au lieu de cela il se retrouvé au milieu d’un début de dispute entre son aîné et sa cadette. Pour changer de leurs caprices habituels. Christian se considérait comme étant le plus mature de la fratrie et c’était peut-être bien pour cela que leur père l’aurait choisi comme héritier digne si ses idéologies avaient été quelque peu différentes des Travers. Il y avait chez le musicien quelque chose de mesuré, de réfléchi, une pensée un brin sage à contrario des trois autres qui suivaient tout bêtement leurs impulsions. Cette comparaison concernait surtout Nick, qui était de loin le pire des quatre enfants. Il était l’aîné, celui qui montrait l’exemple. Azelma voulait à tout prix lui ressembler, ce n’était pas de sa faute. Waly tentait vainement de se faire une place respectable aux yeux de son père, peine perdue. Et d’un autre côté du tableau, il y avait Fluvia, cousine et belle-sœur à présent. Rien de mieux pour ajouter encore plus à la tension.
Chris tourna la page d’un geste las sans prendre garde au ton sarcastique que prit sa jeune sœur pour commenter la diction défaillante du Mangemort. On ne pouvait jamais laisser ces deux-là ensemble sans qu’ils ne finissent par se chamailler. De véritables enfants. La seule personne dans cette pièce que l’héritier pouvait un minimum apprécier était Fluvia, et c’était bien parce qu’elle s’attirait les foudres de son époux que l’étudiant la prenait en pitié. Niclas était d’humeur exécrable chaque jour qui passait et pas un ne passait au travers de ses filets de reproches.
Toujours aussi silencieux, le musicien extirpa un parchemin d’un de ses cahiers et commença à écrire l’introduction de son début de dissertation. Ça ne rigolait pas, à l’Ecole Supérieure de Magie.