La petite plaque dorée placardée à sa porte « Directeur de la Justice Magique » dissimulait un colossal merdier. Les dernières gazettes, encore ficelées, étaient entassées dans une tour à l’équilibre précaire sur un coin de son bureau. La Coopération Magique Internationale - saisie par le Magenmagot ou plus directement par Melody Fawkes - avait récemment ordonné la libération de Kierán Aloysius Graves. La versatile communauté magique qui l’avait acclamé hier le conspuait aujourd’hui. Et comme les prochaines élections pour devenir Ministre de la Magie auraient lieu demain, l’humeur de Croupton Senior était massacrante. « Aucune visite » avait-il sèchement indiqué comme seuls mots à la nouvelle secrétaire moins empotée que ses prédécesseurs en passant le seuil de son bureau ce matin-là.

Le sorcier était occupé à rédiger lettre sur lettre à ses alliés les plus farouches pour adresser leur soutien à la mesure qui serait prochainement votée : le droit pour les aurors d’user de sortilèges impardonnables dans l’appréhension des mangemorts. Lorsqu’il était obnubilé par une tâche - et l’homme l’était par mille depuis la prise de sa nouvelle fonction - le temps devenait un concept abstrait. Il n’avait aucun empire sur son esprit, tout au plus se contentait-il d’étirer les cernes sous ses yeux bruns. Ce fut dans cette position que le trouva Janet Barksdale et sans doute lui apparut-il comme un drôle d’animal sauvage lorsqu’il leva d’un seul coup son visage harassé - et mal rasé comme rarement - vers elle. Sa vieille amie, autrement plus rayonnante, lui apparut au contraire à la manière d’une créature céleste. « Janet … » émergea-t-il de sa caverne, et il remarqua également son fils qui l’accompagnait. La secrétaire ponctua leurs retrouvailles en s’exprimant à toute vitesse pour justifier cette intrusion qui aurait pu lui coûter son poste dans d’autres circonstances. « Monsieur Croupton, elle est entrée avant que … » « Cela ira » congédia-t-il son embarras, en même temps que sa présence, d’un bref mouvement de main. Et il se leva finalement de son fauteuil, le fin sourire campé sur ses lèvres réveillant des muscles oubliés, pour se diriger vers la petite famille Barksdale. « Beaucoup trop longtemps, je le crains ! » la salua-t-il enfin en déposant une main amicale sur son épaule pour observer ses traits qui lui paraissaient pourtant inchangés. « Et tu dois être Marcus » récupéra-t-il sa main pour mieux la tendre vers le garçon qui était maintenant devenu un adolescent. Il se souvenait qu’il était à peine plus âgé que Junior … mais autrement plus brillant. Il avait rejoint la maison des bleus et bronze. Il se sentait d’humeur un peu groggy comme ses visages lui rappelaient un passé - pourtant peu lointain - ravagés par un intense travail. Lui, si ce n’était son dos à la posture toujours diablement droite, ses rides et cheveux grisonnants sur les tempes paraissaient l’avoir vieilli de plus de dix années. « Apportez nous de quoi nous sustenter, un café pour moi » adressa-t-il à son employée multifonctions avant qu’elle ne disparaisse dans l’entrebâillement de la porte. « Eh bien ... - regarda-t-il encore son ancienne camarade d’études les bras croisés - Que deviens-tu ? Et ton époux ? » les invita-t-il à lui emboîter le pas pour s’asseoir près de son bureau. Il y mit de l’ordre d’un coup de baguette en rendant notamment invisibles les parchemins et annotations confidentielles avant de se rasseoir à son tour en ajustant la position des manches amidonnées de sa robe de travail.

Les dossiers encombraient tous les bureaux du département de la justice magique et les aurors n’échappaient pas à la règle. Les sorciers de leur communauté continuaient à disparaître et à se faire assassiner. Basil Carrow et Lucresia Londubat n’étaient que les dernières victimes qui chassaient de la presse le nom des précédentes. Combien de temps avant que leur nom ne se trouve également remplacé ? Les futures victimes préoccupaient plus Bartemius et il ne souhaitait certes pas que son ancienne amie en fasse partie. « Envisage cela comme une manière de coopérer et de leur fournir de nouveaux indices, qui sait si ton corbeau ne se trouve pas corréler à une autre affaire ? ». Senior se faisait une mission toute personnelle d’arrêter les mages noirs avant qu’ils passent à l’acte. Il donnait des coups de pieds dans leur institution - encore ankylosée dans ses procédure de paix - pour se faire. Perquisitions surprises, autorisation des impardonnables par les aurors, etc. La vérité était que, pour l’instant, tous se faisaient battre. Ses bras à lui étaient enfoncés jusqu’au coude dans le cambouis et il ne les en sortirait pas tant qu’il n’aurait pas trouvé la pépite de la victoire. Il ne répondit pas au conseil de son amie, à quoi bon ? Elle savait mieux que personne qu’il était têtu comme un murlap et incapable de lâcher prise. Les propos relatifs à son fils, il ne parut pas même les entendre.

Bartemius ne sortit de sa torpeur que pour répondre à la question que lui posa encore la mère. « Depuis l’attentat de la nouvelle année, le service psychomagie est au moins aussi affairé que le département de la justice. Je ne suis pas sûr que tous les trois nous nous doutions parfaitement de la portée que prendraient nos métiers plus tard … La guerre avait l’air d’appartenir à l’autre côté de la mer ». Senior se souvenait très bien de ce jour, au cours de sa cinquième année, où il avait appris la victoire de Albus Dumbledore sur Gellert Grindelwald. Il se souvenait aussi que sa mère née Black avait pleuré en l'apprenant et que certains de ses camarades Serpentards s'étaient trouvés vert de rage. Le recul de l'histoire faisait aujourd'hui distinctement apparaître que leur communauté n'était déjà alors qu'une poudrière. Il n'avait fallu qu'un fou autoproclamé Lord Voldemort pour y mettre le feu. « Sixième année … » répéta-il les propos de Marcus, il aurait aimé qu’il apprenne également au cours de sa scolarité la victoire de leur Ministère sur Voldemort. Senior croyait dur comme fer en cette victoire mais ni demain ni l’année prochaine. « Tu as déjà une idée de ce que tu voudrais faire après l’école ? ».