Les fêtes de fin d'année approchaient en cet automne de l'année 1977, et avec elles les arrivages de nouveaux grimoires issus de la rentrée littéraire destinés à terminer sous les sapins des sorciers lecteurs. Derniers romans à la mode, biographies de sorciers célèbres, encyclopédies sur des lieux et des créatures dont Thelma n'avait jamais entendu parler jusque-là s'amoncelaient dans l'arrière-boutique de chez Fleury et Bott's à tel point qu'il était devenu impossible de les ignorer, sans toutefois que personne ne trouve le temps de les présenter au public. Mais cet après-midi la boutique était vide de clients, et Thelma décida de profiter de cette occasion rare pour se lancer dans l'aventure du renouvellement des rayons du magasin, et le garnissage de la section spéciale consacrée aux fêtes de fin d'année. Les décorations viendraient plus tard (elle laissant son patron se charger des sortilèges de fausse neige artificielle, qu'il maîtrisait maintenant à la perfection), et surtout les entêtants chants de Noël qu'elle n'était pas prête à supporter jusqu'au mois de janvier prochain, mais déjà les ouvrages flambants neufs commençaient à sortir de leurs emballages pour garnir les rayons de la librairie la plus célèbre du Chemin de Traverse. C'était un travail éreintant toutefois, et Thelma au bout d'une demi-heure de labeur s'accorda une pause bien méritée au sommet de son échelle pour prendre connaissance de la quatrième de couverture du dernier roman de Larc Mevy, dont ses collègues lui disaient le plus grand bien... Et si elle n'entendit pas le carillon de la porte de la boutique sonner, trop plongée dans la lecture, le courant d'air froid qui en résulta ne manqua pas de lui arracher un éternuement tonitruant qui manqua de la faire tomber de son perchoir. Si Thelma parvint à se raccrocher à l'étagère in extremis, en revanche l'imposante pile d'ouvrages de Larc Mevy bascula dans le vide et un cri échappa à la jeune Greengrass en réalisant qu'il y avait quelqu'un en bas.
— Oh Merlin je suis désolée ! s'écria-t-elle en posant son ouvrage pour entamer la descente de son échelle, vous n'avez rien j'espère ? s'enquit-elle en posant un pied à terre.

Thelma n'eut que le temps de poser son deuxième pied par terre que l'infortuné qu'elle venait de tenter d'assommer lui répondait que tout allait bien en l'appelant par son prénom : la jeune femme posa un regard interrogatif sur le visage du personnage qui lui faisait face, les traits un peu crispés par la colère ou la douleur (elle n'aurait su dire), et sentit un début de panique s'emparer d'elle. Elle n'avait pas la moindre idée de qui ce sorcier pouvait bien être ! Il ne s'agissait pas d'un habitué, c'était certain, étant donné qu'elle travaillait ici depuis déjà plusieurs mois et qu'il l'ignorait manifestement. S'agissait-il d'un ancien collègue, un vieux camarade de Poudlard, un quelconque rencard foireux qu'elle avait préféré oublier ? Elle ne connaissait pourtant pas tant de monde que cela... Et pour le coup, il n'avait clairement pas eu le moindre doute la concernant ! Un sourire contrit aux lèvres, Thelma avait récupéré l'ouvrage que le sorcier lui avait gentiment rendu, avant de se décider à assumer son ignorance crasse.
— Vous... Tu... Je suis désolée, on se connait ? osa-t-elle finalement demander, les joues rosies par la honte. Elle avait beau le dévisager d'une manière presque impolie, elle ne parvenait vraiment pas à replacer cet homme... Quand bien même ses yeux noisette ne lui paraissaient pas totalement inconnus !

Si un client avait eu la bonne idée de surgir dans la boutique à cet instant, il aurait sans nul doute trouvé particulièrement cocasse la scène qui se déroulait au milieu de cette marée de grimoires, car le malaise qui planait à présent dans la librairie était si lourd qu'il paraissait à Thelma que n'importe qui pouvait en sentir le poids sur les épaules... Pour le coup, elle le sentait parfaitement bien, et se sentait par conséquent parfaitement mal : réaliser qu'elle ne le reconnaissait pas avait l'air d'avoir encore plus troublé le sorcier en face d'elle, et voir son trouble si évident suffisait à accentuer la honte de la jeune femme de n'être pas capable de le replacer. C'était à qui serait le plus rouge, jusqu'à ce que l'inconnu qui n'en était pas un fasse allusion à leurs années communes à Poudlard et que Thelma se sente blêmir : Merlin, avait-il passé tant de temps qu'elle n'était même plus capable de reconnaître un camarade d'école ?
— Shannon... répéta-t-elle immédiatement d'une voix fébrile en récupérant les bouquins qu'il lui tendait pour les reposer sur une marche de l'escabeau, s'efforçant de réfléchir à toute vitesse pour se souvenir de qui il pouvait bien s'agir, et de quel cours ils avaient bien pu avoir ensemble, jusqu'à ce que... oh ! Ses yeux s'écarquillèrent de surprise puis un sourire ravi étira ses lèvres tandis qu'enfin, elle commençait à remettre en place les pièces du puzzle. Shannon, bien sûr, c'est toi qui... Thelma s'interrompit en portant une main à sa bouche, comme pour s'empêcher de lui rappeler cet épisode un peu gênant qui, s'il l'avait profondément vexée à l'époque, l'amusait aujourd'hui beaucoup. Peut-être après tout ne s'en souvenait-il pas lui-même, et n'apprécierait pas qu'elle le ridiculise une fois de plus. C'est la barbe, c'est moins facile de... Bref, peu importe, je suis heureuse de te voir ! Tu vis à Londres ? s'enquit-elle en prenant délibérément la décision de laisser le passé derrière eux pour se concentrer sur eux deux, ici et maintenant.

Maintenant que Thelma était parvenue à se souvenir de qui était son interlocuteur, de nombreuses images de ses années à Poudlard lui revenaient en tête et force était de constater que Shannon n'était pas présent sur beaucoup d'entre elles. A dire vrai, à part ce fameux épisode du bal de Noël d'elle ne savait même plus quelle année, jamais elle n'avait véritablement posé une quelconque attention sur ce gamin bizarre et peu populaire. Il avait beau avoir évolué en un adulte qui n'avait pas vraiment l'air moins bizarre, en témoignait la manière dont il paraissait fuir son regard, la curiosité l'emportait aujourd'hui sur l'indifférence.
— Les matchs de la Ligue ? s'exclama-t-elle avec enthousiasme en se rapprochant par réflexe de celui qu'elle découvrait particulièrement attirant depuis qu'il était joueur de Quidditch de notoriété nationale, tu joues pour quelle équipe ? La jeune femme fit machinalement dans sa tête l'état des lieux de toutes les équipes qu'elle connaissait, en partie grâce à Orion, et pria pour ne pas passer pour une idiote... mais redescendit d'un étage lorsqu'il lui rappela sa condition de simple vendeuse chez Fleury et Bott's, douchée.
— Oui, c'est bien, répondit-elle rapidement en jetant un oeil à la boutique, mais c'est juste pour payer mes études, je n'ai pas du tout l'intention de rester pourrir ici... Bonjour Monsieur Tuft ! s'exclama-t-elle d'une voix joyeusement commerçante tandis qu'un habitué entrait en faisant tinter la cloche, avant de se reprendre et reposer son attention sur Shannon. Alice ? s'étonna-t-elle en piquant un léger fard, euh bien sûr. Nous avons reçu plein de nouveaux romans, en plus de ceux que tu t'es déjà pris sur la tête évidemment...   Thelma dédia une grimace désolée à Shannon en passant devant lui pour se diriger vers la section relative aux sorciers illustres, mais peut-être préféreras-tu quelque chose d'un peu plus... intellectuel, ou culturel, bref... Tu vois souvent Alice ? s'enquit-elle d'une voix qu'elle espérait légère et totalement désintéressée. Thelma avait souvent voulu reprendre contact avec sa vieille amie, mais n'avait jamais vraiment osé depuis son retour à Londres de peur d'être mal reçue par celle qu'elle avait plantée du jour au lendemain à leur sortie de Poudlard.