Contrairement à ce qu'Octavius avait cru, les choses n'allaient pas de mal en pis. En fait, depuis qu'ils avaient accosté, il avait l'impression que leur situation avec Shannon s'était amélioré. Ils avaient été détaché, ce qui était déjà une grande avancée. En compensation, ils avaient été enfermés dans une cabine exiguë et vide. On leur avait donné à manger. Ce n'était pas grand chose : du riz pâteux car trop cuit et de l'eau. On ne leur avait pas donné de couverts et l'eau avait semblé suspecte à l'anthropomage qui avait donc décidé de ne pas la boire. Malgré tout, cela avait suffi à remplir un peu son estomac qui criait famine depuis déjà quelques heures.
Tandis qu'il avait fini de manger son riz — dont il en avait donné une partie à son acolyte, il restait silencieux et calme. Shannon aussi était calme, étonnamment. Quand on les avait emmenés dans cette petite pièce, il était en rage. Les pirates lui avaient ensuite administré une potion pour guérir sa cote cassée. Octavius les soupçonnait d'avoir rajouté quelque chose pour qu'il reste tranquille. Ou bien il avait réalisé que crier n'allait servir à rien.
« Ta cote va mieux ? » demanda l'anglais, véritablement soucieux.
Indéniablement, Shannon avait subi plus de dommages physiques que lui. Il s'estimait presque heureux de ne pas trop avoir été maltraité.
« Que va-t-il nous arriver, tu crois ? »
Il se posait réellement la question. Il avait bien une vague idée mais il ne parvenait pas à se faire à cette idée qui lui paraissait inimaginable.

Shannon était un garçon sec comme un pruneau, qui mangeait pourtant pour six. Son appétit était sans fond, ses années à Poudlard avaient d'ailleurs été glorieuses sur ce point, mais maintenant qu'il était enfermé dans une cabine exiguë avec Octavius et un bol de riz trop cuit, il regrettait amèrement ses années d'école. Il avait eu l'habitude de se priver, de mal manger, de ne pas manger d'ailleurs. Il pensait avoir tout vécu. Mais ce bol de riz semblait infesté par la peste, ou le choléras, ou les deux, et ça lui donnait envie de tout dégobiller. Pour autant, il accepta volontiers l'offrande du britannique, car la faim passait avant le goût. Il avait moins mal à ses côtes ce qui était une bonne chose, mais il se sentait étrangement assommé par la fatigue désormais. Pourtant, il avait envie d'hurler à plein poumons. La douleur lancinante qu'il avait ressenti en parlant plus tôt était toujours là dans sa tête et il ne voulait pas forcer le destin avec ses vocalises. La question d'Octave lui fit relever les yeux alors qu'il jetait son bol vide dans un coin sans plus s'en soucier : « Ils m'ont donné une potion antidouleur et un somnifère, je crois. Elles ne sont pas guéries, ils veulent juste donner l'idée que je vais bien, je suppose... ». Leur funeste destin, Shannon le connaissait d'ores et déjà et il en était profondément dégoûté. Lui qui avait juré qu'il ne serait jamais un esclave, allait être vendu comme tel. Il se fit la promesse que si tel était le cas, il veillerait à se suicider avant de devoir obéir à quiconque pour la première fois. L'idée qu'il allait bientôt mourir faisait son bonhomme de chemin dans son crâne et seule la question du britannique l'arracha à ses curieuses pensées morbides. « Ils vont nous vendre. Ils nous donnent à manger, et des potions pour qu'on ai l'air présentable, et que le prix soit plus intéressant. Peut-être même qu'ils vont nous laisser nous laver » répondit-il d'un ton las, en fixant la porte pour autant d'un air profondément furieux. Tous les noms d'oiseaux qu'il connaissait se promenaient sur sa langue et il avait envie de les hurler depuis la porte. Mais la potion le rendait plus calme et rien que pour cela, il les détestait. Que l'on bride sa liberté était quelque chose qu'il n'acceptait guère, mais que l'on bride en plus son tempérament, c'était la cerise sur le couscous.

Octavius trouvait leur situation très ironique. La démonstration même du mauvais karma d'un peuple qui leur retombait dessus. L'arroseur arrosé, comme on disait. Les blancs avaient esclavagés les noirs pendant des siècles en toute impunité. Et à ce jour, ce peuple anciennement esclave acquerrait de façon lente et progressive des droits et une meilleure image dans la société. Des choses qu'on aurait jamais dû leur retirer à la base. Alors, d'un point de vue historique, il était tout à fait fou que Shannon et lui, d'origine européenne et caucasienne jusqu'à preuve du contraire, soient réduits en esclavages par des personnes de couleur. C'était prodigieux ! Cela semblait tellement irréel aux yeux d'Octavius.
Que devait-il penser de cela ? D'un côté, il aurait été tout à fait légitime de s'en plaindre. On lui volait sa liberté et le considérait comme un objet. De l'autre, n'était-ce pas juste, n'était-ce pas bien fait pour lui ? Mais en même temps ! Il n'y était pas né à la colonisation et à l'esclavagisme ! Ce n'était même pas comme s'il était en faveur de ces choses ignobles. Enfin bref... Il ne jugea pas nécessaire de faire part à Shannon de ses réflexions. De toute façon, il aurait parlé dans le vent.
« Une bonne toilette ne serait pas de refus... » soupira-t-il à la place. « Mais je ne sais pas si j'aurais envie de me laver avec les trucs qu'ils nous donneraient. Si c'est au même niveau que le riz, j'aurais peur d'en finir avec une sale maladie cutanée. »
L'hygiène de leurs prisonniers n'avait pas été jusque là la priorité des pirates. Alors autant dire qu'elle était à un niveau assez alarmant. Octavius s'était rarement senti aussi sale — mais il s'était estimé heureux qu'on ne les ai pas laissés se faire pipi ou autre dessus. Il rêvait de prendre une douche et d'user tout un savon à lui tout seul avant de vider un tube de dentifrice.
Il sursauta soudain quand un pirate fit brutalement irruption dans la petite pièce. Il avait à la main un seau d'eau que l'anthropomage devinait froide, avant un savon datant sûrement de Mathusalem qui flottait à sa surface. Ainsi qu'une éponge qui devait aussi servir à faire la vaisselle. « Merveilleux... » ne put-il s'empêcher de commenter dans sa barbe.

1 - 2 - 3 : Le pirate posa le seau au centre dans la pièce tandis qu'un de ses acolytes gardaient la porte pour ne pas que les captifs en profitent pour s'enfuir.
« Laver. Z'avez 15 minutes après l'cap'taine veut vous voir. »
Le pirate fut reparti aussi vite qu'il fut arrivé. Octavius lança un regard à Shannon qui bouillonnait de l'intérieur. Il réfléchit quelques secondes avant de trouver quoi dire. La situation était assez étrange.
« Euhm... Tu peux y aller en premier si tu veux. » proposa-t-il avec un léger sourire en commençant à se retourner vers le mur, pensant que son camarade allait certainement vouloir un peu d'intimité.

4 - 5 - 6 : Le pirate posa le seau près de Shannon. D'un air dédaigneux, il le lui désigna. L'irlandais était traité comme s'il était le pire des pouilleux. Octavius n'osait trop rien dire. On ne s'adressait qu'à Shannon. Quoi ? Lui on le laissait rester sale ? Enfin, le pirate se tourna vers lui.
« Toi, chez le cap'taine. »
La panique dans son regard. « N-non. »
« Si. »
L'homme aux grosses mains le releva de force par l'avant-bras. De toute évidence, il ne lui demandait pas son avis. Le regard d'Octavius lança un appel à l'aide à Shannon. Rapidement, on l'emmena à l'extérieur de la pièce qu'on referma à double tour.

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'Le dé ' : 6

Shannon s'était juré plus tôt de ne jamais devenir esclave. S'il se sentait plus colombien qu'irlandais, il était bien conscient de la manière dont étaient traités ses aïeux auparavant. Et cela lui retournait l'estomac de savoir qu'il allait peut-être vivre les mêmes choses qu'eux. Les humiliations, les coups. Ces simples pensées suffisaient à lui monter la haine. Il se mit à taper frénétiquement le sol avec son pied, stressé. Il était habitué aux espaces, la liberté et le grand air, se retrouver donc coincé dans cette petite pièce lui tapait dangereusement sur le système. Le jeune homme écouta vaguement les plaintes du britannique sur la saleté qui semblait irradier de toute chose présente sur le bâtiment : « Parole d'irlandais, on ne m'asservira jamais » fit-il d'un ton fier en jetant un nouveau coup d'oeil furieux à la porte : « Jamais, plutôt crever ! ». Et il était parfaitement sérieux sur ce point-là.
Il sursauta brusquement lorsqu'un pirate entra dans leur pièce et Shannon bondit sur ses pieds. Il regarda d'un air dédaigneux le seau d'eau froide, puis le pirate d'un air furieux. Quand il interpella Octave, il fronça les sourcils. Et devant le regard du britannique, il comprit.

1.2.3 | « Eh moi j'veux bien aller dans la cabine de votre capitaine-là, laissez le tranquille ! » s'exclama-t-il en s'approchant du pirate. Ce dernier ouvrit sa bouche de laquelle s'évapora une odeur putride et il se mit à rire en le poussant brusquement. Shannon ne s'y attendant pas, il tomba au sol alors qu'Octavius disparaîssait derrière la porte : « Eh ! » - il se mit à tambouriner à la porte comme un furieux - « ouvrez moi bande de salauds ! ».

4.5.6 | Lorsque le pirate empoigna Octavius, Shannon l'attrapa par les épaules pour le retourner et lui coller un coup de poing dans la mâchoire. Une dent s'envola dans son seau d'eau. En rage, le pirate jeta un sortilège à Shannon pour l'immobiliser, et il ne pu rien faire d'autre que de voir Octavius être emmené de force. Quelques secondes à peine plus tard, on lui retira son seau. La propreté, ce n'était pas pour maintenant.

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'Le dé ' : 5

Pourquoi ? Pourquoi ce genre de choses n'arrivait qu'à lui ? Qu'avait-il fait pour mériter un tel traitement ? Certes, il était parvenu à échapper à la vigilance des pirates et leur avait donc indirectement désobéi. Mais il avait déjà payé pour cela une première fois. Pourquoi devait-il le subir une deuxième fois ? Quand le pirate aux grosses mains se saisit de son bras, il lança un regard désespéré à Shannon. A sa grande surprise, son appel à l'aide fut entendu. L'irlandais, qui avait bondi sur ses deux jambes, s'interposa entre lui et le pirate. Il avait saisi ce dernier par l'épaule pour lui asséner un violent coup de poing, causant la perte d'une dent qui s'égara dans le seau d'eau savonneuse. Le pirate fut forcé de relâcher sa prise sur Octavius qui était un peu sous le choc et avait eu un mouvement de recul. Mais on maîtrisa vite la fureur de Shannon à l'aide d'un sortilège, qu'Octavius reconnut, d'immobilisation.
Il s'y attendait à cette intervention. Mais il eut tout de même le sentiment d'avoir vu un espoir se briser en mille morceaux. Le pirate lui reprit le bras et l'anthropomage ne pouvait que se laisser faire. Il sentait que c'était la meilleure chose à faire pour limiter les dégâts. On l'amena alors de nouveau à la cabine du Capitaine Danger.

Une trentaine de minutes plus tard, Octavius fut ramené dans la petite pièce où se tenait encore Shannon. Il était propre comme un sou neuf. On lui avait donné des vêtements plus présentables, les anciens étant rendus trop sales, que les pirates avaient pris de ses affaires personnelles. Néanmoins, l'anthropomage avait réussi à conserver son imperméable grâce à des mots bien choisis.
Mais si son allure était dorénavant nettement plus vendeuse, son expression laissait quelque chose à désirer. Son teint semblait délavé, n'avait plus du tout cet aspect bonne mine habituel. Ses traits affichaient un sentiment de malaise profond. Le sourire qu'il adressa à Shannon en entrant dans la pièce était plus crispé que jamais. Le pirate qui raccompagnait Octave avait à la main des vêtements appartenant à Shannon — ou peut-être à Octavius étant donné que leurs affaires avaient été mélangées lors de la fouille. Il les lança dans la direction de l'irlandais comme s'il s'agissait de vieux linges sales.
« Change toi bouseux. »
Sans plus de cérémonie, il repartit en claquant et fermant à double tour la porte. D'un pas hésitant, Octavius vint se rasseoir, silencieux. Le silence se prolongea quelques secondes. Il déglutit péniblement.
« Ils disent que d'ici la fin de l'après-midi, on ira sur le marché. »
Il était déjà quatorze heure. Pendant qu'Octavius était à l'extérieur de cette cellule, il avait tenté de saisir quelques brides de conversation.

« Mierda » marmonna-t-il lorsqu'il fut libéré du sortilège, seul, dans sa cellule sans seau d'eau savonneuse. Octavius avait disparu pour subir il ne savait quoi - bien qu'il avait une idée assez claire de la chose - et lui, il était toujours coincé, sale, en silence, dans une cellule miteuse. Machinalement, il se mit à faire les cent pas, comme si marcher allait lui imposer une solution divine. Ce n'était bien sûr pas le cas. Au bout de dix minutes, il se rassit, le regard en colère fixé sur le mur. Il était tellement concentré sur une fissure qu'il sursauta légèrement lorsque la porte s'ouvrit sur Octavius, propre comme jamais. Mais le regard du britannique ne s'illuminait pas de sa lueur habituelle, et Shannon eu mal pour lui. Malgré le sourire qu'il lui adressa, l'irlandais n'était pas dupe. Il se reçu des vêtements dessus et il se releva à deux doigts de faire un geste obscène au pirate. L'insulte lui était presque passé au dessus de la tête, et il observa son compagnon de galère entrer complètement dans la cellule, malaise. Il tenait ses vêtements comme s'il s'agissait d'un porc-épique et constata bien vite à leur vu que si le haut était bien à lui, le bas, était celui d'Octave. Mais il n'avait pas d'autre choix que d'enfiler ça. Ce qu'il fit promptement alors que le britannique reprenait la parole. L'irlandais n'osait pas lui demander si ça allait. Retourner le couteau dans la plaie était-il utile ? Finalement, il se sentait un peu responsable de sa situation, c'était lui qui lui avait proposé ce voyage. « Tu seras mieux vendu que moi » eut-il un rictus ironique en disant cela, « tu... Tu veux en parler ? ». Shannon ne parlait pas de la vente mais du Capitaine Danger. Il ne se souvenait pas d'avoir vu cet homme à bord, sans doute était-il barricadé dans son bureau comme un pleutre. Il tourna un regard prudent vers le professeur, incertain quand à la manière d'agir avec lui. Il doutait qu'il dise quoique ce soit de toute manière. Octave et lui n'étaient pas amis, et cette situation était assez dérangeante comme cela. En dire davantage était stupide.

Spoiler:

Octavius n'en voulait même pas à Shannon. Comment aurait-il pu deviner que cela allait arriver ? Aucun d'eux n'aurait pu. Ainsi étaient faits les aléas du voyage. Une telle éventualité avait toujours occupée son esprit. Mais il ne l'avait jamais véritablement considéré comme quelque chose pouvant survenir. Pour lui, cela appartenait au domaine de la fiction. Il avait tort. En plus, cela ne ressemblait guère à ce qu'il avait pu lire. Cela vendait beaucoup moins de rêve.
Dans la cabine du Capitaine Danger, il ne comprenait pas pourquoi cela lui arrivait à lui. Il interrogeait le Ciel. De retour dans la pièce isolée, il fut assailli d'une sombre pensée. C'était de sa faute. Il l'avait peut-être bien mérité. Au fond, ne l'avait-il même pas voulu et cherché ? Être impur qu'il était ? Il devait avoir honte. Il ressentait de la honte sous le regard inquiet de Shannon tandis qu'il allait s'asseoir. Il aurait voulu être une toute petite souris. Une minuscule souris.
« Je serais vexé si j'étais vendu moins cher que toi. » répondit-il d'une petite voix bancale sur le ton de l'humour.
Il détourna le regard sans se départir de son sourire. Il essayait de garder la face mais force était de constater son manque d'efficacité puisque Shannon s'enquit de son état. Octavius comprit bien qu'il ne parlait pas de la vente mais bel et bien du Capitaine Danger.
« Je vais bien, Shannon. Ce qui s'est passé là-bas, on s'en fiche. Le plus important, c'est que nous allions bien tous les deux. »
Il lui fallait se ressaisir, trouver la force d'affronter ce qui allait suivre. Pour avoir la force, il fallait l'incarner. Il ne devait pas succomber à ce moment de faiblesse. Non, ce n'était pas sa faute.
« Tout va bien se passer. »

Quelques heures plus tard, Shannon et Octavius se retrouvèrent sur le côté d'une allée commerçante animée. C'était un jour de marché. On s'échangeait des provisions, divers produits ménagers... Il s'opérait également d'autres commerces à la nature plus que douteuse. L'anthropomage regardait au loin un pirate au charisme indéniable avoir une conversation animée avec une femme. Cette femme, qui devait avoir la grande trentaine à tout casser, avait un visage intimidant et un port altier. Les deux personnes s'approchèrent alors des captifs, particulièrement de Shannon. Octavius détourna le regard aussitôt.

1- 2 - 3 : « 20 pièces d'or pour celui-là ? Vous plaisantez, regardez-le ! » fit la femme, scandalisée. Elle se mit à tâter le buste de l'irlandais d'un air scrutateur. « Il a une cote cassée ! Oh ! Et cette odeur ! » Elle se pinça le nez en signe de désapprobation olfactive.
« L'odeur ce n'est rien ! Un petit bain et il sera propre comme un nouveau-né, je vous le garantis ! C'est qu'on a eu quelques difficultés pour le faire faire sa toilette. Sa cote cassée, comme vous l'avez bien remarqué, ne nous a pas facilité la tâche. Nous avions peur de causer plus de dégâts. Pour ces désagréments, je peux vous proposer un prix de 17 pièces d'or au lieu de 20. » Du pipot du pipot !
« 14 pièces d'or. »
« 16. »
« 15. C'est mon dernier mot. »
« Vous êtes dure en affaire ma'am ! Je vous laisse celui là pour 15 pièces d'or. Mais pour 2 pièces d'or supplémentaires, vous pouvez avoir ses affaires. »

4 - 5 - 6 : La femme observa attentivement Shannon, le tâtant au passage ça et là pour constater de son état.
« Quel âge a-t-il ? »
« 25 ans ma'am. » C'était un mensonge.
Elle continua son investigation.
« Il mange beaucoup ? »
« Comme un jeune homme de 25 ans ma'am. »
Cela donnait matière à réflexion. Les traits de ce Shannon n'avaient rien de bien exotique. Yeux marrons et cheveux bruns, c'était assez courant. Néanmoins, il semblait bien fait et en bonne forme physique. Quoique à l'hygiène un peu douteuse. Mais un bon bain, cela ne mangeait pas de pain.
« 23 pièces d'or est un prix qui vous conviendrait ? » demanda-t-elle.
« Si l'on peut monter jusqu'à 25... »
« Je n'irai pas au-delà de 24. »
« Alors vas pour 24 ! Je vous offre ses affaires pour 1 pièce d'or de plus. »

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'Le dé ' : 4

L'humour badin d'Octavius ne fit même pas sourire Shannon qui, en temps normal, se serait insurgé d'une telle plaisanterie. En fait, il avait de la peine pour lui, et l'explication du britannique le conforta dans l'idée qu'il valait mieux ne pas insister. L'irlandais pouvait être lourd, mais pas sur un tel sujet. Pas maintenant.
Plusieurs heures plus tard, ils avaient retrouvé l'air saturé de chaleur dehors, pour être dans un espace commerçant. Toutes sortes de choses étaient vendues et échangées. Dont des hommes. Il aperçut au loin des individus, sans doute comme eux des marins, mais aucun qui provenaient de leur équipage anglais. Cela le renforçait dans l'idée qu'on les avait trahi. Il vécu mal d'être regardé sous toutes les coutures, mais étrangement, il ne se sentait pas plus intimidé que cela par cette bonne femme. En fait, il était immensément en colère d'être traité comme un poisson et il avait envie d'hurler sa haine. Il ne comprenait rien aux paroles qui étaient échangées, ni même au prix qu'il valait. Il eut juste l'impression qu'il était quand même sous-estimé. Le tour d'Octavius arriva vite, en réalité. Une fois la transaction le concernant payée, la femme se retourna vers le britannique en se tenant le menton d'un air soucieux. Octave la salua et Shannon eut envie de se taper la tête contre le mur.

1.2.3 | Elle tourna autour du britannique d'un air connaisseur : « Il a l'air frêle celui-ci... » rouspéta-t-elle en le poussant pour voir s'il réagissait. Elle n'avait pas répondu au jeune homme concernant son salut. « Non non, enfin voyons ! Il est jeune, vingt-deux ans à peine. En pleine fleur de l'âge, il ne fatigue même pas ! Une endurance... Incroyable ! ». « Mmh... » fit-elle en passant la main dans les boucles d'Octave comme s'il était son fils ; « regardez la blondeur de ses mèches ! C'est rare dans le coin, soyez-honnête. Alors, je vous le fais à cinquante pièces d'or ! ». Il y eut un silence pendant lequel la femme ne dit rien, avant d'éclater de rire : « Quarante pièces, pas plus. Vous ne trouverez personne pour l'acheter beaucoup plus » fit-elle d'un ton implacable, « quarante cinq, vous voulez vraiment pas ...? » ; « Puisque vous insistez, trente-cinq, monsieur le pirate ? ». Il eut un air horrifié : « Quarante alors... » ; « et les affaires comprises » ordonna-t-elle.

4.5.6 | Elle prit un air plus avenant avec Octavius en répondant vaguement à son salut. « Il est bien blond celui-ci en comparaison... » ; « oh oui ! » s'écria le pirate en pliant Octavius en deux pour qu'elle voit mieux l'état de son crâne, « cette blondeur, ces cheveux si fins, on en voit pas deux dans ce marché, regardez autour de vous ! ». La femme ne bougea pas d'un cil et fit se relever Octavius : « Comment s'appelle-t-il ? » demanda-t-elle, les yeux plissés, « Melchior ! » s'écria l'autre, « un nom bien anglais ! Je vous fais un prix cassé à quarante trois pièces d'or ! ». La femme prit le temps de la réflexion, « Trente-huit... » négocia-t-elle. la sachant dure en affaire, le pirate capitula : « Fort bien... Mais les affaires sont en supplément de deux pièces d'or ».

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'Le dé ' : 2

Octavius ne comprit pas grand chose de l'échange entre la femme et le pirate concernant Shannon. Il avait rapidement saisi qu'ils essayaient de s'entendre sur un prix convenable, chacun voulant que cela soit à leur avantage. Ce n'était pas plus mal. Il n'était pas sûr de vouloir connaître les critères de vente d'être humain, même s'il avait quelques idées. Il lança un regard à Shannon.
Trop rapidement à son goût vint son tour. Octavius leva alors un regard timide vers la femme qu'il salua poliment d'une petite voix. Il baissa aussitôt le regard quand elle se mit à l'observer sous toutes les coutures. C'était un peu humiliant. Elle le poussa un peu comme pour voir s'il était vivant. Il sut tout de même opérer un minimum de résistance mais pas trop de peur de l'énerver par quelque chose pouvant passer pour de l'insubordination. Puis elle passa une main dans ses boucles, ce qui le crispa. Un geste si familier !
La vente fut conclue assez rapidement. Shannon et Octavius furent donc confier à cette femme qui se saisit de leur corde. Elle était vraiment intimidante. Elle les invita à avancer et à la suivre. L'anthropomage s'exécutait. C'était elle ou retomber entre les mains des pirates. Elle les emmena dans une petite ruelle. Puis elle s'arrêta pour leur faire face. Son regard semblait sonder leurs âmes.
« Vous vous appelez comment ? » demanda-t-elle avec autorité en anglais.
Octavius, dans le doute, lança un regard hésitant à Shannon. Rapidement, une manifestation d'impatience s'échappa de la bouche de la femme. Il retourna son regard vers elle.
« Auguste, Madame. » répondit-il sans ciller. « Comme l'Empereur. »
Il ne savait pas si mentir sur son identité était vraiment utile. Mais dans le doute, il préférait faire ainsi. Et puis historiquement parlant, ce n'était pas vraiment un mensonge. Si ? Elle acquiesça et attendit la réponse de Shannon.

Ils furent vite emmenés une fois la transaction conclue. Shannon était à deux doigts de tirer sur la corde pour déguerpir, mais la femme était sans doute une sorcière et il ne ferait pas trois pas avant d'être rattrapé par un sortilège. Se la mettre à dos maintenant n'était peut-être pas une bonne idée. Aussi la suivit-il en se contentant d'afficher un air austère sur le visage. Ils débouchèrent bien vite dans une ruelle sombre et on leur demanda leurs noms. Octavius mentit éhontément. Shannon se demanda bien pourquoi il faisait ça, mais n'afficha ni un air surprit, ni un air scandalisé. Il se contenta de fixer la femme qui se tournait maintenant vers lui d'un air investigateur : « Javier » croassa-t-il sans détourner le regard. Vu la couleur de ses cheveux et de sa peau, cela lui allait sans doute beaucoup mieux que Shannon de toute manière. Elle tira sur leur corde pour qu'ils arrivent au bout de la rue, ils prirent à gauche et se retrouvèrent dans un cul-de-sac : « Nous allons transplaner » fit-elle toujours de son air autoritaire, « c'est beaucoup trop sale ici... Bien que cela ne doive pas trop te changer, Javier ? ». Shannon cru s'étouffer devant la provocation mais il mordit sa langue. On lui avait retiré son seau et son savon mais de toute façon, en aurait-elle quelque chose à faire ? Il n'eut pas le temps de penser à la réponse qu'ils avaient transplané.
L'air humide nauséabond de la ruelle laissa place instantanément à l'odeur du soleil qui frappe sur l'eau et surprit, l'irlandais mit sa main en visière pour ne plus être aveuglé par le brusque changement de luminosité. Ils étaient... Sur une plage. Octave avait l'air au moins aussi surprit que lui. « Hors de question de rester sur le continent » continua la femme, « je vais vous confier à des gens ». Misère. Shannon déglutit, il voyait ses opportunités de fuite diminuer, « vous allez aller là-bas ». Elle pointa un point à l'horizon, une île de toute évidence, pas si éloignée de la côte que ça, mais tout de même assez loin pour dissuader certains curieux de s'y rendre. Il avait l'impression qu'il s'agissait d'une vaste mascarade, et il ne savait ni quoi dire, ni quoi faire, pour les sortir de là.

C'était un euphémisme que de dire qu'Octavius redoutait ce qui allait leur arriver. La femme se montrait beaucoup trop conciliante pour ne pas dissimuler autre chose. Cela ne pouvait durer, n'est-ce pas ? Elle les emmena jusqu'à un cul-de-sac dans une rue insalubre. Elle ne manqua pas de faire une remarque dédaigneuse quant à l'hygiène approximative de Shannon. Enfin, « Javier ». Il n'eut pas le temps de répliquer quoi que ce fut — Dieu soit loué, ils transplanèrent.
Le Soleil ne manqua pas d'agresser les yeux beaucoup trop bleus d'Octavius pour cette lumière solaire. Il lui fallut de longues secondes pour voir où ils étaient. Ils se trouvaient sur une plage. La femme leur annonça qu'ils allaient être confié à d'autres personnes et surtout sur une île. Elle alla chercher dans un coin de plage une vieille barque en bois. Elle les fit monter et ramer jusqu'à l'île, leur donnant des coups de bâton si elle les trouvait trop mollassons.
Il leur fallut une bonne demi-heure, qui parut des heures à Octavius, pour arriver sur la rive de l'île. Quand ils eurent débarquer, la femme ne les laissa pas souffler une seconde et les emmena profondément à travers des bois jusqu'à une clairière lumineuse où se trouvaient des petites maisons qui avaient l'air tout à fait confortables. Elles évoquaient à Octavius une architecture classique avec des colonnades de taille modestes mais somptueuses. Il lança un regard choqué à Shannon.
Mais ce qui le perturbait le plus, c'était les femmes se prélassant près d'une source d'eau claire enveloppées dans des drapés élaborés. Des femmes d'une grande beauté, presque céleste, de tous types. Ces naïades, dont l'ennui semblait les lasser, étaient intriguées par la venue des deux hommes qu'elles regardaient avec hauteur.
Son cerveau lui jouait-il des tours ? Non. Il s'agissait de vélanes.
La femme vint toquer à la porte d'une demeure d'où sortit d'une de ces vélanes. Elle avait des cheveux noirs aux boucles serrées magnifiques, de grands yeux noirs envoûtants et une peau métisse sans aucun défaut. Les deux femmes parlèrent. Puis leur guide revint vers eux, portant des vêtements propres de couleurs claires élégant mais moins que les habits des vélanes. « Enfilez ça là-bas. » Elle désigna les sous-bois.
Trop perturbé pour répondre quoique ce soit, Octavius acquiesça et se dirigea vers l'endroit désigné avec Shannon. On les surveillait de loin.
« C'est complètement fou. » commenta l'anthropomage à l'adresse de son acolyte.