Carina regarda sa dernière patiente de la journée avec un sourire. Elle avait été empoisonnée par une plante lors d'un voyage à l'étranger et après plusieurs jours à l'hôpital Saint Mangouste, elle semblait presque guérie. “Eh bien, ma chère aventurière au cœur de lionne, ” Commença-t-elle en l'appelant par ce surnom qu'elle avait spécialement trouvé pour cette jeune femme. Elle affichait un sourire lumineux afin de la rassurer et lui transmettre un peu de sa bonne humeur.  “J'ai l'immense joie de vous annoncer que vous êtes sur la voie de la guérison. Je vois votre sœur demain pour l'informer de cette nouvelle et vous pourrez nous quitter dès le lendemain. ” C'était si plaisant de voir le visage réjoui des patients lorsqu'ils apprenaient une telle chose. Car c'était là tout l'intérêt de son métier : soigner les gens. Elle écrivit quelques informations et notes sur son calepin qui lui serviraient pour remplir le dossier. La sorcière en convalescence la remercia et promit de bien se reposer. Après avoir quitté la chambre, elle inspira profondément soulagée que la journée ne touche à sa fin et se rendit dans son bureau pour compléter ses derniers fichiers.

Son bureau n'était pas le plus grand du service, celui du guérisseur en chef faisait des envieux, y compris Carina. L'espace était bien rangé. Elle s'avérait parfaitement ordonnée lorsqu'il s'agissait de son lieu professionnel tout en apportant sa petite touche d’originalité. Au lieu d'un sablier, elle possédait une montre qu'elle portait à la main. La photo disposée dans un coin d'un meuble ne bougeait pas. Rien de particulièrement choquant pour un oeil non averti, mais elle savait que cela pouvait surprendre certaines personnes habituées à vivre entourés uniquement ensorcelés. Installée à son siège, elle remplissait des parchemins de phrases tout à fait académiques - pas de fioritures ou de surnoms qu'elle affectionnait tant - tout en chantonnant un air du groupe ABBA. Alors qu'elle achevait son travail de rédaction, quelqu'un toqua à la porte de son bureau et qui entra sans son autorisation. Elle releva la tête tout en pinçant légèrement des lèvres. “Carina, peux-tu venir aux urgences s'il te plait ? ” Voilà qui était inquiétant. Elle savait qu'on ne viendrait pas la déranger si près de la fin de son service si ce n'était pas important. “J'arrive de suite.”   

Après avoir achevé le classement des dossiers, elle descendit vers les étages inférieurs. La collègue qui l'avait interrompue l'attendait à l'accueil en compagnie d'une secrétaire et d'un homme. “Ah Carina, je te présente l'agent de Stubby Boardman. ” Elle ne réagit aucunement à ce nom, mais comprit rapidement aux regards que lui lançaient son interlocutrice et cet agent qu'elle devait apparemment le connaitre. “Le chanteur des Croque-Mitaines... ” Ah ! Oui effectivement. Une (grande) célébrité alors. Elle avait bien lu ceci dans un journal, la gazette probablement. Mais elle ne s'intéressait pas réellement à la musique sorcière. “Eh bien, que puis-je faire pour vous ?Que lui est-il arrivé ?” Demanda-t-elle bien plus intéressée par l'état de santé de ce dernier que de son statut social dans la communauté magique. Ils lui expliquèrent tout d'abord que la voix du chanteur avait disparu et que cela représentait un obstacle terrible pour les concerts. Elle ne dit rien, écoutant sagement, tout en notant au passage les allusions malvenues dans son esprit. Puis vint ensuite le récit de cette longue journée dans la salle d'attente de l'hôpital. Les autres médicomages avaient diagnostiqué un rhume alors que l'agent et son client insistaient pour dire qu'il s'agissait d'un empoisonnement.

“Je comprends tout à fait votre inquiétude et...” Ses yeux remarquèrent très rapidement la mine tendue de la secrétaire. Elle devait être à cran. C'est ce qui la convainquit d'allonger sa journée davantage malgré son envie de rejoindre sa maison près de Bristol. “Indiquez-moi où est votre client, je vais faire un second diagnostique. ” Dit-elle finalement au grand soulagement de tous. Elle le suivit sans rien de plus, dans un silence de cathédrale qui ne lui ressemblait pas vraiment. Puis l'agent - dont le nom lui échappait bien évidemment - lui interpella le dénommé Stubby. Elle le reconnut avec difficulté. Les gens paraissaient toujours différent dans la réalité. Sa culture musicale sorcière s'avérait quelque peu pitoyable tandis qu'elle collectionnait les vinyles de tous les groupes moldus actuellement populaire. “Bonsoir Mr Boardman, je suis Carina Hodgens, médicomage au service des empoisonnements par potions et plantes.” Se présenter, toujours se présenter le plus poliment possible malgré la fatigue qui commençait à la prendre. Il était tout de même 22 heures. “J'ai cru comprendre que vous pensez avoir été empoisonné, si vous voulez bien me suivre jusqu'à mon bureau pour une consultation, je pourrais confirmer ou non ces soupçons.” Elle ne tarda pas à se rappeler qu'il ne pouvait pas parler et se tourna alors vers l'homme de confiance de son nouveau patient : “Il serait bien que vous veniez également.”

HJ : Je peux changer la fin si tu n'as pas assez de matière pour répondre... 

Il existait toute sortes de patients et collègues avec lesquels il fallait composer. Ce n'était pas toujours facile, mais elle savait faire preuve d'une grande patience lorsqu'elle était sur son lieu de travail. Sortie du cadre professeur, elle pouvait s'avérer très différente dans les moments comme celui-ci. La fatigue avait tendance à la rendre un poil irritable, mais elle se forçait à rester polie et courtoise - probablement la seule chose avec le suédois qu'elle avait retenu de l'éducation de ses parents - face à ce nouveau patient en fin de service. Mais il ne lui parut pas aussi terrible au premier abord, fatigué, désespéré, mais au moins il avait sorti un "enchanté" ce qui signifiait, au moins, qu'il ne lui parlerait pas comme s'ils avaient élevé les cochons ensemble. Cependant, la remarque qu'il adressa à son agent modifia légèrement la première impression qu'elle avait eu de lui. Surtout ne jamais s'y fier. Il fallait toujours s'adapter aux autres. C'était parfois un exercice de haut voltige. “Très bien. ” Dit-elle avec en hochant la tête doucement. Au moins, il avait du caractère et ne semblait pas effrayé de s'exprimer. Elle se dit qu'il valait mieux ainsi sachant le métier exigeant qu'il faisait et la célébrité qu'il entraînait.

Son bureau ressemblait à tout autre : propre, rangé, les mêmes couleurs - blanc cassé - sans grande personnalité - seuls quelques objets étaient disposés ici et là. Elle n'avait rien à envier aux autres. Elle invita Stubby à s'installer sur l'une des chaises destinées aux patients avant de prendre place sur son siège habituel. Elle ouvrit un tiroir pour récupérer un parchemin afin de remplir un nouveau dossier et attrapa l'une de ses plumes. Ce qu'il dit par la suite lui fit un pincement au cœur. C'était à la fois sec et désespéré. Carina aurait presque pris cela comme une forme de vulnérabilité si elle n'avait pas été aussi fatiguée. Elle l'observa un instant avant de prendre la parole : “Je suis vraiment navrée que mes collègues vous aient donné cette impression.” Elle n'allait certainement par leur trouver des excuses, ce n'était pas à elle de justifier ou non leur comportement. Elle s'était imaginée affalée sur son canapé à écouter la radio en train de manger son reste de ratatouille.   “Je pourrais être déjà chez moi, à me reposer, mais je suis là devant vous. Et ce n'est pas pour faire semblant. Je compte faire mon travail. ” Elle ignorait totalement si cela le rassurerait ou pas.

Cela allait prendre le temps qu'il faudrait. Si cela devait durer une heure et bien soit. Ce ne serait pas la première fois qu'elle faisait des heures supplémentaires. Ses patients étaient une part non négligeable de son existence, certes pas autant que sa nièce, mais elle leur accordait une grande importance. “Avant de vous ausculter, j'aimerais vous pouvez des questions sur les symptômes. Avez-vous rencontré des difficultés  pour parler soudainement ou cela s'est dégradé petit à petit ? Dites moi tout ce qui vient à l'esprit, tout est important. ” Elle était prête à prendre des notes, mais se rendit compte qu'il préférait peut-être écrire afin de ne pas monopoliser sa voix davantage. Elle lui tendit une plume ainsi que du papier. “Un empoisonnement peut être accidentel... ou volontaire. Alors j'aurais également besoin de savoir ce que vous avez mangé. Vous pouvez rédiger tout cela si vous le préférez.” Elle lui offrait les deux possibilités comme pour lui donner une forme de contrôle sur le déroulé de la consultation.

 

Carina avait eu toute sorte de patients dans sa vie et elle ne savait pas trop dans quelle case, il fallait classer Stubby Boardman. Il lui semblait coopératif, mais méfiant. Ce qui était compréhensible dans un sens. Il avait attendu pendant des heures et était particulièrement fatigué. Mais maintenant il jouait avec la plume et son papier. Pendant un éclair de secondes, cela la fit penser à sa nièce quand elle n'avait pas envie de faire quelque chose. Mais la médicomage chassa rapidement cette comparaison pour se focaliser sur ce que son patient pouvait bien dire. “Très bien, je vous écoute. ”  S'il préférait utiliser sa voix plutôt que ses mains, eh bien soit. Elle ne pouvait pas le forcer non plus. Elle attrapa également une plume afin de noter les informations importantes. Elle avait besoin de quelques précisions afin de cibler ses recherches.

Elle demeura silencieuse, tout en hochant la tête pour l'encourager à continuer. Son mode de vie semblait à des années lumières du sien. Tout d'abord, à commencer par l'elfe de maison. Ses parents donneraient n'importe quoi pour en avoir un. Carina, pour sa part, elle préférait faire tout toute seule. Se faire servir était quelque chose de très désagréable - sauf lorsqu'elle allait dans un restaurant ou une boutique bien entendu. De toute façon, elle n'usait que très rarement de magie pour les tâches ménagères et ce même si cela lui permettrait de gagner un gain de temps considérable. C'était donc arrivé subitement le matin même. Il était assez difficile de juger d'après cette seule information s'il s'agissait d'un rhume ou d'un empoissonnement. Mais il ne décrivit aucun autre symptôme après cela, ce qui avait tendance à valider la seconde solution. Elle écoutait tranquillement, ce n'était donc pas l'ami non plus. Même si ce n'était pas une possibilité à écarter. Son patient aurait très bien pu faire une allergie.

Puis finalement, il lui parla de quelque chose qui attisa son attention. Une voisine lui avait apporté une part de cheesecake. Elle haussa un sourcil quand il lui donna l'âge de cette bonne femme. Bien évidemment l'âge de cette femme n'empêchait certainement pas qu'elle soit une empoisonneuse. A vrai dire, c'était même carrément une bonne couverture. Qui pourrait soupçonner une vieille dame ? “Rotula Bersbek ? Oui, je connais. Elle était une auteure prolifique à un moment. ” S'il était un chanteur célèbre, elle imaginait qu'il vivait parmi d'autres personnalités de la société sorcière. Elle posa sa plume pour lui poser d'autres questions sur cet événement en particulier. Il était facile d'empoisonner une part de gâteau, d'y ajouter un petit quelque chose après l'avoir séparée du reste. “Bien. J'aimerais savoir quelques petites choses. Est-ce la première fois qu'elle vous propose quelque chose à manger ou à boire ? ” Les allergies n'étaient tout de même pas totalement à exclure. Donc elle ne manqua pas de lui demander cela aussi. “Est-ce que vous faites des allergies ? Et enfin, est-ce que le cheesecake avait un gout particulier ? Vous savez comme un arrière goût qui vous donnait l'impression que ce ne devrait pas être là. ” Elle avait étudié suffisamment les poisons pour savoir qu'il en existait qui étaient "invisible" pour le palais et l'odorat, mais certains ne l'étaient pas toutefois...

Toute cette histoire l'étonnait. Elle ne comprenait pas très bien où toutes ces réponses les menaient. Elle était pourtant à peu près certaine qu'il ne s'agissait pas d'un rhume. Les symptômes ne collaient que très partiellement. Cependant, la voisine Rotula avait apporté à son patient d'autres choses par le passé. Alors pourquoi maintenant ? Qu'est-ce qui avait pu convaincre cette vieille femme fort aimable - mamie gâteau selon les dires de son patient - de passer à l'acte ? Elle écrivit le nom de la voisine sur son parchemin et dessina un point d'interrogation à côté. L'ami en question n'avait rien eu et pourtant, il avait mangé et bu la même chose que lui. Elle se mordit la langue. Bon elle n'allait pas avoir d'informations supplémentaires. Elle devait soit poser une autre question soit tout simplement passer à l'auscultation. Elle notait néanmoins toutes les informations qu'il lui donnait, dont notamment ses allergies : les fruits de mer.   “Effectivement.” Dit-elle en hochant la tête. Toutefois, ce n'était pas une possibilité à exclure. “Elle ne sait pas que vous y êtes allergique ? ” C'était difficile de cacher le goût d'une huître - voire de plusieurs - mais pas entièrement impossible pour une bonne pâtissière, elle supposait. Toutefois, si elle ne le savait, elle voyait mal quelqu'un mettre des huîtres, des moules ou du thon dans un cheesecake. Enfin Carina n'y connaissait pas grand-chose en dessert, mais tout de même.

Un goût amer dans le cheesecake ? Elle nota également l'information, mais il précisa qu'elle avait mis un zeste d'orange dans le gâteau. Bon, tout cela était suspect, mais ça n'avançait pas vraiment sa réflexion. Il restait l'elfe de maison qui lui devait connaître tout son régime alimentaire. Elle écrivit le nom sur le parchemin, mais sans s'y attardait davantage. “Je n'ai plus de questions pour le moment, on va passer à l'auscultation, si vous voulez bien passer à côté.” Lorsqu'il se leva, elle se rendit tout à coup compte qu'il était beaucoup plus grand que la moyenne de ses patients. Elle fit baisser le lit afin qu'il puisse s'installer. “Vous pouvez vous asseoir maintenant.” Elle se lava et s'essuya les mains alors qu'il prenait place sur le lit médicomagique.  “Est-ce que ça vous fait mal quand je mets les mains là ? ” Au niveau de la gorge afin de vérifier les ganglions. Après cela, elle attrapa un bâtonnet afin d'inspecter l'intérieur de la gorge. “Pouvez-vous ouvrir la bouche s'il vous plait ? ” Demanda-t-elle finalement.  

Carina nota la réponse à sa question avec incertitude. C'était une possibilité... étrange certes, mais rien n'était à mettre de côté dans une telle situation. Elle listait les potentiels coupables, les informations qu'il lui donnait au fur et à mesure de cet échange sans qu'elle puisse poser un diagnostic. L'auscultation allait bien évidement confirmer ou infirmer certaines de ses hypothèses ou craintes. Il disait ne pas avoir d'autres symptômes. Ce qui était à la fois inquiétant et rassurant. S'il s'agissait d'un empoisonnement, ses cordes vocales étaient évidemment visées. Il avait dit qu'il ne pouvait plus chanter ou crier. Elle supposait qu'il devait être un voisin bruyant, mais ce n'était pas une raison pour un empoisonnement. L'auscultation se passa relativement bien si on prenait en considération que son patient se laissa faire sans discuter. Si l'on prêtait réellement attention, il faisait presque penser à un condamné à mort hésitant et inquiet. Cependant, comme tous les autres malades de Carina le précédant, il n'avait pas vraiment le choix s'il voulait vraiment connaitre la raison de la disparition de sa voix. “Une gêne désagréable...” Murmura-t-elle pour elle-même. Cela coïncidait avec le léger gonflement qu'elle avait pu sentir avec ses doigts. L'inspection de la gorge apporta les dernières réponses aux questions qu'elle pouvait bien se poser, confirmant la suspicion d'empoisonnement. Elle nota dans un coin de sa tête de tirer les les cloches de ses collègues aux urgences. La substance blanche qu'elle pouvait entrevoir n'avait absolument rien à faire là et il aurait suffit de faire ce simple geste pour le croire. Le premier médicomage avait donc faire perdre du temps à tout le monde. Elle s'écarta à nouveau de ce patient pour se laver les mains et jeter le bâtonnet.

Elle eut un sourire malgré elle à la question de son patient. “Ne vous en faîtes pas la faucheuse ne vous prendra pas demain. Vous avez encore de beaux jours devant vous. ” Enfin évidemment à condition qu'il accepte de faire une petite opération, car ce n'était pas des potions qui allaient lui rendre l'usage de ses cordes vocales. “A vrai dire, vous pourrez retrouver votre jolie voix et enchanter à nouveau les cœurs et âmes de vos fans. ” Si son nom apparaissait si souvent dans la gazette et à la RITM, elle imaginait qu'il devait avoir de très nombreux admirateurs. Elle l'invita à s'installer à nouveau sur une des chaises face à son bureau. Elle inscrivit rapidement la gêne très désagréable et l'élément visqueux dans le fond de la gorge. Lorsque ce fut fait, elle reporta toute son attention sur son patient. “Je suis au regret de vous annoncer que vos doutes étaient fondés. Quelqu'un a essayé de vous empoisonner et visait vos cordes vocales. Mais comme je l'ai dit tantôt, ce n'est pas irréversible, nous pouvons tout à fait arranger cela.” Elle marqua alors une pause, ne sachant pas vraiment comment il prendrait la seconde information. Elle tapa légèrement le bois du bureau avec son pouce avant de reprendre la parole : “Voilà la partie délicate que je dois aborder avec vous... Une substance s'est logée dans votre gorge, mais pour la retirer, nous devons faire une opération. J'ai bien conscience qu'avec le métier que vous faites, il est difficile d'envisager de vous arrêter, mais si vous souhaitez chanter à nouveau, il faut en passer par là. ” Elle avait parlé de manière posée, mais essayait de se faire rassurante également. La pilule n'était pas facile à avaler, elle s'en rendait bien compte, mais ils n'avaient pas vraiment le choix.

Carina comprenait évidemment que le mot "opération" puisse faire peur et provoquer autant d'interrogations chez quelqu'un. Certains patients lui faisaient entièrement confiance et ne stressaient pas plus que nécessaire. D'autres posaient tout un tas de questions et elle ne savait pas vraiment par quoi commencer. Et il y avait bien évidemment ceux qui refusaient totalement l'opération. Stubby était entre la deuxième et la troisième catégories. Il semblait naviguer entre "je veux pas" et "et si ?". Elle était habituée, avec les années, à s'adapter à toutes sortes de personnes. L'une des plus grandes exigences du métier de médicomage était de s'adapter au patient. Il s'agissait là de quelque chose qu'elle avait appris sur le tas plutôt que durant ses études. Certains de ses collègues ne comprenaient pas encore cela. Pour sa part, Carina avait décidé d'écouter toutes les inquiétudes de son malade sans l'arrêter une seconde. Il valait mieux que cela sorte tout d'un coup, aussi bien pour lui que pour elle. Mais elle imaginait qu'il finirait pas en noter d'autres à l'oral.  “Croyez moi si une potion pouvait vous retirer la substance qui bloque vos cordes vocales, je vous la proposerais. ” Dit-elle le plus calmement possible. Malgré la fatigue, elle parvenait à rester concentrée sur la conversation qu'elle entretenait. Dans le cadre de son travail, elle était réellement différente que dans le privé. Ce qui était assez impressionnant en soi. “Il s'agit d'une opération simple en vérité. Il ne s'agit pas du tout d'ouvrir votre gorge, mais nous aurons en effet besoin d'un bâton ensorcelé qui attirera la substance à lui. ” Dit comme cela... ça sonnait incroyablement barbare, un peu comme les échecs version sorciers.

Elle aurait aimé lui dire que oui ils pouvaient opérer de suite, que oui, dans deux jours tout serait fini. Mais même l'opération passée, il allait avoir besoin de repos, au moins deux à trois semaines si ce n'était plus... Elle reprit alors la parole sachant pertinemment que la nouvelle aurait des conséquences et effets terribles. “L'opération aura lieu demain à 9 h 30. J'ai besoin de plus de personnels et il faut préparer l'opération en amont, je ne peux pas faire ça en dix minutes.” Elle se pinça légèrement le lobe de l'oreille avant d'ajouter presque immédiatement pour éviter les effusions de colère entre deux annonces : “Vous pourrez reprendre le travail dans trois semaines, mais il faudra environ une semaine avant que vous puissiez parler aussi bien qu'avant.” Ce n'était pas très joyeux, mais elle était persuadée qu'il pouvait comprendre s'il faisait un effort. Il ne lui avait pas semblé un patient particulièrement difficile, mais l'angoisse et l'inquiétude pouvaient se lire dans les traits de son visage. Il faudrait être aveugle pour ne pas le voir. Et même si elle éprouvait parfois des difficultés à comprendre ou deviner ce qui pouvait bien se passer dans la tête des gens, elle n'était pas non plus totalement dupe.

Elle n'avait pas espéré que la nouvelle d'une opération soit accueillie avec un sourire, bien au contraire. Mais le comportement de son patient dépassait tout ce qu'elle avait bien pu envisager. Il fallait dire qu'elle soignait habituellement des personnes plus ordinaires, moins connues. Des gens qui ne pétaient pas plus haut que leur cul ou qui ne se comportaient pas comme des enfants... Elle n'avait donc eu aucune autre expérience à laquelle se référer pour répondre à toutes ces remarques plus que désobligeantes. Alors elle se contenta de garder le silence sans hausse un sourcil. Lorsqu'il eut fini, elle déposa sa plume sur le bureau et se recula dans son siège.  “ Vous croyez peut-être valoir plus que mes autres patients... Que je vous retire de suite cette idée de la tête, ce n'est pas le cas.” Elle n'avait aucune envie de le ménager. Il était peut-être lui aussi exténué, mais elle-aussi. Et elle avait besoin d'une bonne nuit de sommeil afin de s'engager dans une opération. “Au fil de ma carrière, j'ai traité des personnes de tout âge et de toute classe sociale. Des enfants, des personnes âgées, des nourrissons même et je n'ai jamais fait de traitement de faveur. Je ne compte pas commencer aujourd'hui parce que vous avez décidé qu'en tant que chanteur, vous aviez le droit à plus d'attention que les autres.” Il agissait clairement comme une diva, ou du moins comme elle pouvait l'imaginer. Elle le regarda droit dans les yeux afin de deviner la réaction qui allait suivre. De toute façon, elle ne connaissait pas assez son nom pour savoir s'il était si important pour ses fans.

Mais elle décida de reprendre la parole pour enfoncer le clou ou pas... “Pour ma part, je suis là depuis huit heures du matin et j'ai accepté de vous recevoir alors que j'avais largement fini mon service. Je suis aussi fatiguée que vous et j'ai pris la peine de vous poser les questions nécessaires et de vous ausculter. Alors oui, croyez-moi, je vous prends au sérieux... quand vous n'agissez pas comme un enfant de dix ans. ” Même sa nièce aurait eu plus de maturité que lui. Elle ne pouvait clairement pas l'opérer au beau milieu de la nuit sans le personnel nécessaire. Il fallait préparer la salle, le matériel et cela lui prendrait plus de temps. Ce qui ne ferait que lui rajouter de la fatigue et rendre son travail moins précis et il suffisait d'un mauvais geste pour rater l'opération. “Oui trois semaines, c'est long, j'en ai bien conscience, mais je pense que votre santé est beaucoup plus importante que votre carrière et ce peu importe ce qu'en disent vos fans.” Dit-elle finalement décidant de reprendre les questions les plus essentielles de leur conversation. Si seulement on pouvait appeler cela une conversation. Il s'agissait à présent plutôt un échange de piques mal placées. “Vous avez besoin de repos, alors je vais vous attribuer une chambre et vous fournir des potions afin de calmer la toux et la douleur pour la nuit.  ” Sauf s'il comptait rentrer chez lui et s'adresser à un autre hôpital, mais ça elle en doutait...