Vous savez, certains sorciers sont dotés d'un très bon instinct. Phil Crook avait atteint le presque demi-siècle précisément parce qu'il avait un très très bon instinct. Parce que bon, il traînait quand même dans des ruelles bien mal-famées, l'ancêtre, et il avait manqué de se faire balafrer son charmant visage à coup de Diffindo plus d'une fois ! Ainsi donc, Phil avait l'instinct du vieux briscard. Aussi, à peine avait-il entre ses mains la bourse volée du grand dadais qu'il savait qu'on l'avait vu. Et il sentait de la même façon, alors qu'il s'éloignait l'air de dire que rien n'était bizarre, qu'on le suivait. Il accéléra le pas pour s'éloigner un peu de la foule et se perdit à l'orée de la forêt. Caché derrière un gros arbre centenaire, le regard fourbe de Phil Crook se posa sur un jeune homme sans doute à peine diplômé. Et lorsqu'il passa proche de son arbre... BOUM.
Un croche-patte. Et le nez dans l'herbe.
« Quand tu suis quelqu'un sois plus discret, mon garçon » le conseilla-t-il de son ton de Grand-Père Feuillage, « elle est bonne, la terre ? ». Sa blague le fit rire. Son humour était pathétique.

Le bide que fit le sortilège du gamin arracha un rire gras à Phil Crook qui fit même mine de s'essuyer une larme. « Allez c'est pas grave, les sortilèges réussis ça vient avec le temps » lui dit-il d'un ton moqueur, « par exemple, c'est facilement à mes trente-cinq ans que j'ai enfin réussi à produire un Avis. C'est fou, non ? ». Par mesure de précaution, l'ancêtre sortit sa baguette. Des fois que le gosse, en plus de ne pas être très doué, soit également particulièrement stupide...
Voyant qu'il ne se relevait pas, Phil continua : « Alors, tu comptes rester par terre toute la soirée ? Ce serait dommage de ne pas retourner en profiter ». Un moulin à parole, l'ancêtre. Son sourire désolant devait être insupportable autant que sa voix qu'il ne pouvait s'empêcher de faire résonner pour torturer le gamin : « Tu t'appelles comment ? Et pourquoi diables suivais-tu un vieil homme ? ».

Quelle horreur...

Desmond aurait préféré se faire avaler tout cru par une goule plutôt que de participer aux festivités d'usage. Durant tout le Festi'Witch, il avait mis un point d'honneur à se faire aussi discret qu'une ombre. Insaisissable, absent, inaccessible. Certains journalistes en avaient même cassé leur Plume à Papotte. D'autres avaient commis des indiscrétions afin de mettre la baguette sur un scoop inexistant, allant jusqu'à l'importuner dans sa loge. Pourquoi les gens sont-ils aussi avides de choses sans importance ? Comment leur vie pourrait-elle prendre un sens nouveau en apprenant que, par exemple, leur idole ne dormait que trois heures par nuit et bien souvent, la joue sur le piano ?

Desmond étouffa un soupir las à cette pensée. Les cernes épaisses sous ses yeux témoignaient de ses nombreuses insomnies. Son manager lui avait presque ordonné de faire acte de présence à la soirée de clôture du festival. Sous prétexte que le groupe en était plus ou moins l’emblème. Rien que ça.

Le pianiste avait attendu que la fête soit déjà bien entamée pour s'y rendre. Contrairement à Boardman, il n'avait pas signalé sa présence en passant par la scène. Au contraire, il venait d'entrer par le passage "public", espérant par ce biais ne pas trop attirer l'attention.

Il se saisit d'une coupe de Champibulle et la porta à ses lèvres sans aucun entrain. Il regrettait déjà d'être venu.  

Phil afficha un grand sourire au gamin. Ainsi donc, il l'avait vu voler une bourse. Soit. Il était un homme dont le nom avait été changé pour que cela corresponde davantage à ses activités. Avait-il honte ? Non, il paraît qu'il est né avant elle. « C'est un talent que j'ai, il paraît, que celui de savoir mettre la main à la poche pour offrir des cadeaux il est vrai » décida-t-il de prendre au pied de la lettre les mots du jeune homme pour le provoquer un peu plus, avant de continuer en affichant son éternel air goguenard, « mais sinon, je pensais plutôt à une bonne soirée pour s'enfiler des hot-dogs ».
Le gamin se tordit d'une supposition qui arracha un éclat de rire à l'ancêtre. Un petit-fils ? Encore faudrait-il 1) que Glinda soit plus chanceuse que lui question coeur et ce n'était pas le cas et 2) qu'elle accepte que son gamin passe du temps avec son grand-père... Ce qui n'était pas prêt d'arriver. Loin de lui l'idée de s'attarder sur l'inexistence de sa famille, il enchaîna : « Peuh, balivernes ! J'écoute beaucoup de genre musicaux, Monsieur l'enquêteur, j'aime bien les Croques ». Se rappelant quand même que le gamin avait apparemment réussi à mettre le grappin sur une blonde il continua : « Et toi alors ? Tu es venu pour la musique ou pour trouver une fille ? ».

Shannon était tranquillement en train de boire avec Galaad lorsqu'une femme s'attarda sur leur conversation. Comme si elle avait quelque chose à dire et comme si elle avait le droit d'écouter ce qu'ils se disaient de façon privée. C'était tellement impoli, même pour lui, qu'il afficha un air ouvertement outré sans même réaliser que pour une fois, il laissait ses rougissements de côté. Cette femme venait de sérieusement l'énerver, avec son air de pimbêche, son verre, comme si le monde et ce chanteur lui appartenait. Sans doute une groupie un peu fêlée. « A votre rudesse aussi » répondit-il froidement, « pour vous mêler d'une conversation qui ne vous regarde pas pour trois pence ». Il vida son verre. Quel toupet !

On ne savait trop comment Alizea avait finalement convaincu Randolf Spudmore de venir au Festival d'été en Écosse. C'était le dernier soir qu'il passait et il fallait bien le dire, il avait hâte de rentrer, ruminer ses problèmes, hanter sa fabrique, écrire des lettres. C'était là un lieu où il était dans son élément, en contrôle permanent. Un festival ne lui offrait pas cela, la foule compacte se pressait, s'étirait, s'allongeait, s'égrainait et il détestait cela. Se sentir prit au piège dans une foule là où il appréciait tant la liberté des forêts. Mais qu'importe. L'on disait que pour sa femme, Randolf pouvait à peu près tout faire, la preuve était que c'était vrai. Il avait tellement l'impression de faire tâche qu'il cru qu'il rêvait en apercevant plus loin Addison Yaxley.
Un sourire de connivence s'étira sur les lèvres du menuisier qui s'approcha de l'homme en prenant au passage, une coupe de champibulle. « Monsieur Yaxley » le saula-t-il sommairement, « ce n'est pas là un lieu où je m'attendais à vous voir ». Il fit une pause pour tremper ses lèvres dans le champibulle. Sans doute pas le meilleur qu'il ait goûté : « Ou même un endroit où j'aurais imaginé me trouver, je l'admets ».

Phil adorait provoquer les autres, c'aurait pu être son fond de commerce s'il n'avait pas été un escroc. Il y arrivait à la perfection avec Athos. Maintenant avec ce gosse qui ne lui avait même pas dis comment il s'appelait. Quelle impolitesse ! Est-ce que lui faisait pareil ? Oui. Mais lui, il était vieux. Ca lui donnait forcément le fameux passe-droit que s'octroient toutes les personnes d'un certain âge. « Certes certes, je te l'accorde mon garçon, mais je suis unique, voilà tout ». Voilà tout. Du Phillipus Crook dans toute sa splendeur, mesdames messieurs. Il était difficile à supporter. En fait, il n'y avait guère que les personnes qui prenaient ses boutades pour ce qu'elles étaient qui l'appréciaient. Les gens, pourtant, étaient souvent susceptibles, malheureusement. A sa réponse sur la gente féminine, il explosa de rire. « C'est ce que j'ai cru comprendre avec ta demoiselle en effet, félicitation, vous êtes bien mignons » lui dit-il en poussant le vice jusqu'à applaudir pendant quelques secondes, « mais ce n'est guère mon objectif, tu m'excuseras ». Il n'ajouta pas qu'il trouvait ça un peu stupide, en fait, de vouer amour éternel et fidélité à quelqu'un. Ca ne sert à rien, on finit toujours par vous trahir. Voilà tout.
« Bon fiston, je vais te laisser se débarbouiller de la terre » lui dit-il enfin en faisant un clin d'oeil, « j'entends bien manger d'autres hot-dog avant que d'autres les mangent pour moi ». Phil ne pouvait pas transplaner dans l'enceinte de la soirée. Il jeta un regard à Gauwain pour lui faire comprendre qu'essayer de lui jeter de nouveau un sort signerait la fin de sa possibilité de reproduction.

Carina sourit au souvenir de cette soirée. Sourire qui devint une petite grimace sur la fin... Elle ne voulait pas imaginer cela. “Avec votre ténacité, je pense que vous pourriez faire céder n'importe quel fer, même le plus solide.” Ici, elle sous-entendait bien entendu les médicomages. Il - ou son agent peut-être - aurait fini par convaincre un de ses collègues pour une auscultation et ainsi prononcer un second diagnostic. Il avait après tout tenu pratiquement une journée entière. Elle le savait résolu et peut-être obstiné. Des traits qui sauvaient bien des gens dans bien des situations. “Et ne me remerciez pas, je n'ai fait que mon travail.” Elle se rappela qu'il avait vomi sur ses chaussures après l'opération. C'était quelque chose qui arrivait souvent. C'était commun. Elle avait essayé de lui expliquer, mais cela n'estompait pas entièrement la honte de rendre ses tripes sur les pieds de quelqu'un.
Elle ne savait pas réellement quels artistes s'étaient produits au festival de musique et ne se souvenait pas forcément des noms. Il était évident qu'avoir eu Stubby comme patient l'avait aidé à graver dans sa mémoire les musiques qu'ils faisaient. Et en fait, c'était assez proche de ce qu'elle écoutait habituellement. En version sorcière bien évidemment. Mais elle apprenait, depuis quelques mois, à apprécier de nouveau la culture sorcière sous bien des formes. Avant que Nora ne lui parle de sort de duplication, elle l'avait complètement occulté de sa mémoire. “J'ai pu profiter des stands fléchettes et souvenirs... et tant d'autres que j'oublie. Ma nièce m'a traîné un peu partout.” Emmener sa nièce avait été à la fois sa meilleure et sa pire idée. Elle avait vu le grand sourire de sa nièce, les étoiles dans ses yeux. Mais ses pieds lui en avaient pas remercié. “Je suis venue deux fois. Une fois pour l'un de vos concerts et l'autre pour les stands.” Elle avait l'impression que la précision était nécessaire pour des raisons qu'elle ne s'expliquait pas forcément. Peut-être parce qu'elle n'avait pas envie que les gens croient qu'elle emmenait une enfant écouter de la musique qui n'était pas pour elle...