Maman, papa, je sais que je n’ai pas toujours été à la hauteur de vos attentes – ‘pas toujours’ étant un euphémiste – mais j’espère vous rendre un tantinet fiers dans ma mort : à l’issue d’une ronde en compagnie de Jyn Dawkins. Eh, au moins je suis préfet les pops! Et fidèle au poste en plus, j’assume mes responsabilités. Honnêtement, on pourrait penser que je suis gryffondor. N’importe quel homme (ou femme je distingue pas) sensé aurait pris ses jambes à son cou en bon couard pour se perdre dans les cachots et éviter de faire une ronde avec la plus sauvage et dangereuse des belettes. C’est bon, j’ai cherché sa colère, je l’admets – même si c’était un accident, juré - , mais même au calme elle me fou un peu la trouille. Je marche tellement près du mur – pour me tenir le plus loin possible de Jyn : laisser son espace aux créatures sauvages – que je n’arrête pas de m’y cogner l’épaule. Ma robe se salie. J’ai les doigts qui pianotent. J’ai peut-être peur pour ma vie, mais je suis étrangement content qu’on me force à passer un moment seul avec elle. Le fait est que j’ai de sales excuses à lui présenter, genre vraiment, et je les ai mâchées tout l’été, je les pense sincèrement. Il manque plus qu’à ce que j’arrive à les lui déballer. C’est là où ça coince, mais je vais trouver le courage. On doit contrôler les étages deux et trois, alors j’ai encore le temps. On vient seulement de terminer le deuxième. Ouais, je sais, je procrastine.

Je lui coule un regard et me mordille la langue. En pensant à mes excuses je me rappelle le bisou qu’on échangé bien malgré nous et mon visage s’empourpre. Une fois qu’on met de côté le fait que j’ai été un total imbécile et qu’elle n’était pas consentante (oh, je sonne vraiment comme le plus grand des grands cons), c’était pas si mal comme premier bisou. Elle doit se mettre régulièrement du baume à lèvre, puis, elle s’embellie avec les années la Dawkins. J’ai même l’impression que le blond de ses cheveux est plus clair, ça lui fait bien, ce doit être le soleil. Merlin. Focus Diggory. Sérieusement, il ne reste que l’aile droite du 3e, car l’aile gauche est interdite et barré à double-sortilège. On commence donc à monter les escaliers et je décide de m’éclaircir la gorge – super je sonne comme un hippogriffe étranglé – et je plonge « euh, Jyn…euh, je… » VACARME, les escaliers décident de bouger et avec mon équilibre remarquable (je suis trop grand, j’ai pas conscience de mes pieds) je vacille et me retient maladroitement sur la rampe de son côté. Évidemment je la bouscule, mais au moins je pense à lui agripper le capuchon pour pas qu’elle ne tombe dans le vide et dès que le stupide escalier a terminé sa course je la lâche et monte quatre-à-quatre pour rejoindre la terre ferme. « Je déteste ces trolls d’escaliers » je marmonne dans ma barbe (ou dans mes quatre-cinq poils blonds dont je suis très fier) juste avant de remarquer qu’on est à l’entrée de l’aile gauche et bah que la porte est barrée. On est donc coincés sur le pallié jusqu’à ce que l’escalier daigne de regagner sa place. Joie. Je me gratte la tête. « Euh…va falloir attendre » Inutile Diggory, inutile. L’imprévu m’a décontenancé et j’ose pas lui livrer mes excuses tout de suite. Je suis un dégonflé.

Qu'on coltine Reginald à Jyn était déjà un problème en soit, en cela qu'elle devait le supporter dans la salle commune, dans la Grande Salle, dans la plupart des cours et maintenant, pendant les rondes auxquelles ils étaient assignés. Naturellement, la jeune femme faisait une tête de six pieds de long. Depuis que cet odieux garçon avait osé faire verser un filtre d'amour dans son verre, la galloise avait de farouches envies de meurtre. Et pour cause. Il lui avait volé SON PREMIER BISOU. Alors Jyn n'était pas une adolescente sentimentale - c'était le moins que l'on puisse dire - mais l'humiliation qu'elle avait ressenti après coup et après la terrible réalisation de ce qui s'était passé, ça lui avait fait un choc. Et elle avait beaucoup pleuré, peut-être trop pour ce que c'était. Mais elle était une gamine qui s'identifiait comme libre elle ne voulait pas être privée de son libre-arbitre, jamais. Qu'on lui ait fait ça, c'était comme si on lui avait coupé les ailes - et bien que la métaphore soit sanglante, c'était bel et bien ce qu'elle ressentait au fond d'elle. Reginald était le seul coupable de cette machination et la Poufsouffle n'était pas d'humeur à bavarder avec lui. Ils empruntèrent les escaliers ensemble, à défaut de pouvoir se séparer.
Les escaliers récalcitrants commencèrent à bouger et la jeune femme marmonna quelques injures contre "ces sales choses magiques qui ne servent qu'à tuer les élèves". Elle se sentit saisie par le capuchon et si elle n'avait pas tant perdu l'équilibre, Jyn se serait probablement retourné pour lui coller une droite. Arrivés sur le mauvais palier, la mauvaise humeur de la galloise revînt au grand galop et elle jeta un regard courroucé au jeune homme comme s'il avait quelque chose à voir avec cette histoire. C'est que, depuis leur bisou, elle se demandait si ce sauvage n'avait pas des vues sur elle. « Jure » répondit-elle avec une pointe d'exaspération mêlée à de l'agressivité. Inutile de rester debout si les escaliers ne se pointaient pas de nouveau. La galloise s'assit au bord du palier, les jambes dans le vide, nullement inquiète de finir écrabouillée en bas des étages. Elle priait pour que Reginald n'ait pas la merveilleuse idée de parler pour dire une quelconque bêtise supplémentaire, mais bon, ça relèverait du miracle.

Je jure que je pense entendre les secondes s’écouler tellement le silence est pesant. J’entends le temps. J’entends également mon propre malaise, qu’on se le dise. Je me suis éloigné de quelques grandes enjambés de ces maudits escaliers et surtout du trou béant qui me retourne l’estomac. Je n’ai jamais aimé les hauteurs – oé je sais c’est surprenant venant de la bouche d’un joueur de Quidditch. Primo, je joue, car c’est ça ou faire partie du club d’échec version sorciers et j’ai pas les méninges pour jouer aux échecs, puis c’est connu que les nanas aiment les mecs sur balais (j’aime aussi faire du sport, je ne pense pas qu’aux filles); Deuzio, c’est vachement différent être dans les airs quand on sait que Dumbledore agitera sa baguette pour empêcher une chute mortelle – pas vrai? C’est obligé. Ce doit être écrit dans les livres d’obligations des établissements d’enseignement. En tout cas, j’aime pas l’idée de tomber de trois à quatre étages, puis y’a les chances que Dawkins me pousse en bas. Ce qui me ramène à mon objectif de la soirée : présenter mes plates, mais sincères, excuses à mon homologue féminine. Je regarde mes souliers. Je sais pas trop comment les lui présenter. Je monte un peu les yeux pour fixer son dos. Elle est courageuse la belette quand même à se balancer les pieds dans le vide comme ça. Autant vomir, c’est moi qui vous l’dit. Puisque y’a aucune chance que je ne m’emmêle pas dans mes mots ou ne commette pas une bourde, je décide de m’y lancer – dans mes excuses je veux dire, pas en bas des marches. Je pousse un bon soupir et j’ouvre la bouche. Après tout, c’est pas Amelia qui m’a dit que si des excuses sont sincères, elles seront bien comprises, même si elles sont teintées d’une once de maladresse? Aller, je m’éclairci la gorge pour la chance : « Juré, j’ai pas voulu que tu m’enfonces ta langue dans ma bouche. »

Tu vois, c’est dit, félicitations Diggo…tantôt j’entendais le silence, là je sens les couleurs se retirer de mon visage alors que ma phrase entre par l’une de mes propres oreilles. Helga! Godric! Rowena! Salazar! Mais qu’est-ce que j’ai dis là? Par le caleçon usé de Merlin! Dit comme ça, c’est moi la victime et c’est à elle de s’excuser. J’aurais difficilement pu faire pire. Je me mets à bégayer sous les regrets et l’angoisse, alors que je recule le plus loin possible d’elle, jusqu’à ce que mon dos touche le mur de pierre. Je sens que je vais vomir des limaces. Je l’aurai mérité. « Non, c’est pas ce que je voulais dire, promis, je suis désolé, je sais bien que tu… je sais que c’était pas…je veux dire, je suis désolé, je sais que t’as pas voulu, euhm, je – j’ai la main qui passe frénétiquement dans mes cheveux trop long au goût de ma mère – m’embrasser je veux dire, moi non plus hein. Euh, pas que…pas que tu sois pas, euh, tu sais, pas que tu sois pas à mon goût, mais euh, c’était euh, un accident, ouais, voilà, c’était un accident, je suis très désolé, j’ai jamais voulu que tu m’embrasses – MERLIN, je veux dire j’ai jamais voulu que tu sois forcé à m’embrasser, je suis désolé. » Je pense que j’ai fermé les yeux à quelque part au milieu de ma tirade, soit pour ne pas la regarder, soi pour tenter de ne pas être témoin de ma propre descente aux enfers. Dans tous les cas, je les garde fermés et je mords l’intérieur de mes joues. Seul Merlin sait, maintenant, ce qui m’arrivera. En toute honnêteté, j’ai envie de m’asseoir au sol, de me recroqueviller et de verser une larme, car vous savez, les échecs j’ai l’habitude. J’ai l’habitude de merder, mais je tenais réellement à donner à Jyn les excuses qu’elle méritait tant, et de la meilleure manière possible, car j’ai honte de ce moment, il me hante, je me dégoute et je m’en veux sincèrement.

Jyn leva effrontément les yeux vers le haut, comme pour signifier à Diggory d'arrêter de s'enfoncer plus qu'il ne l'était déjà. Il était enfoncé dans la boue jusqu'au cou mais il semblait déterminé à y enfoncer aussi sa tête. La jeune femme, quant à elle, n'avait même pas envie de l'aider à creuser. Au contraire, la situation l'ennuyait, lui rappeler le mauvais souvenir de cette humiliation publique alors qu'elle s'arrangeait désormais pour n'aller à la Grande Salle qu'en tout début de repas, lorsqu'il y avait moins de monde - et plus de tarte meringuée. « J'sais pas ce que t'as voulu Reginald, mais c'était stupide » répondit la cinglante adolescente sans une once de pitié. Mettre une potion dans le jus de citrouille d'une autre fille pour que cette autre fille l'embrasse à pleine bouche, mais enfin, où était donc sa fierté ? Il ne pouvait pas aller déclamer à la fille en question tout son amour ? Non ! Trop lâche ! « T'es clairement pas un gryffondor » continua-t-elle à distiller son venin alors qu'en réalité, Reggie faisait ici preuve d'un admirable courage, bien que ses mots maladroits auraient pu blesser la poufsouffle si Jyn avait eu un quelconque intérêt dans la gente masculine. Ce n'était pas nécessairement le cas. Les soucis abrutis des adolescents - bisous, sorties, amusements - ne l'intéressaient pas, elle les jugeait même avec la plus grande sévérité, elle, la petite sauvage de la forêt. Elle ne vivait que pour la fin de ses études à Poudlard, plus qu'un an et demi et elle serait libre, enfin, du carcan que cette école lui imposait. Elle pourrait commencer sa vie sur de nouvelles bases et de nouvelles connaissances, tisser un lien avec son père qui semblait tenir à cette idée. Jyn avait besoin de renouer avec ses racines et si l'Ecosse était toute indiquée, l'école ne l'était pas. La jeune femme avait besoin de savoir d'où elle venait pour savoir où elle allait. Et ce n'était certainement pas quelque part où il y aurait la présence de son homologue préfet. « Tu mérites que je te fasse tomber dans les escaliers » dit-elle d'un ton menaçant sans pourtant le penser, « sérieux, mettre une potion dans le verre d'une nana pour la choper ! ». Elle était outrée. Et ces foutus escaliers qui ne bougeaient pas... Jyn finit par se relever et remarqua qu'il était contre le mur comme s'il voulait se tenir le plus loin possible d'elle. « J'vais pas te faire tomber » dit-elle, blasée, « mais l'envie est là, t'en fais pas pour ça ».