Ce n'était pas une vraie aurore, bien sûr. Aucune magie ne saurait jamais reproduire le frisson qui vous parcourt le dos quand les lueurs boréales se mettent à danser, dans un rythme totalement indépendant de la brise polaire qui vous gèle jusqu'aux os. Agitées par un vent qui leur est propre - celui des étoiles elles-mêmes. Et ainsi, le plus cartésien des esprits se laissait mystifier par ce spectacle. Il était parfois bon de savoir que la magie avait ses limites. Mais cette aurore-là n'en restait pas moins magnifique. Pas de la beauté transcendante dont il avait été témoin cet été. D'une beauté plus intime, plus douce. Le dos de Neolina contre lui, ses cheveux qui chatouillaient son menton ; voilà qui pouvait détrôner même le plus spectaculaire des phénomènes naturels. Et les frissons qui courraient sur sa peau n'avaient rien à voir avec le vent du pôle nord. Neolina s'était calée contre lui dans un mouvement si naturel qu'on aurait pu oublier à quel point tout ceci était nouveau. Comme si leurs corps s'étaient déjà habitués à leur proximité, bien plus vite que les esprits timides qui les habitaient.

En écho à cette idée, la jeune femme s'était retournée et, sur la pointe des pieds pour tenter de compenser leur différence de taille, rapprochait son visage du sien. Leurs lèvres se joignirent de nouveau. Une part de Natanaël voulait la serrer contre lui, fort, jusqu'à en faire décoller ses pieds du sol. Comme si elle pouvait se changer en brume, disparaître aussi facilement que les tissus de lumière qui se faisaient et se défaisaient au-dessus de leurs têtes. Comme s'il pouvait ainsi s'assurer qu'elle resterait toujours là, contre lui. Mais il s'abstint, avec cette sagesse teintée de regret qu'ont ceux qui ont possédé trop de choses, au point de s'y perdre. Il ne savait pas trop où ces évènements allaient les mener, et pour une fois, ne désirait pas s'en inquiéter. Juste profiter de l'instant présent, conscient qu'il serait sans aucun doute éphémère. Alors il se contenta d'entremêler ses doigts aux siens tandis que son autre main se glissait dans sa nuque, délicatement.

Il finit par la laisser s'écarter de lui, à regret, quand leur baiser s'interrompit. Sans pour autant abandonner sa main, qu'il garda prisonnière dans la sienne. Leurs visages n'étaient qu'à un souffle l'un de l'autre, et cette distance ne demandait qu'à être comblée de nouveau. Natanaël se perdait dans la contemplation du visage de Neolina. Cette simple vue était un bien meilleur spectacle que tout ce que le planétarium avait pu leur offrir ce soir. Sa question lui arracha donc un petit sourire, aussi fugace que les lueurs boréales.
- Je préfère savourer l'instant.
Réponse sibylline qui ne l'était pas tant. La plus grande surprise de la soirée n'était pas vraiment venue de lui, et, à vrai dire, il ne tenait pas tant à savoir où elle les mènerait. Natanaël avait beau paraître confiant, la réalité était toute autre. Il s'estimait trop chanceux pour le moment, trop pour faire des plans sur la comète. Se laisser mener n'était pourtant pas dans ses habitudes, lui qui préférait contrôler chaque aspect de son existence, sans laisser l'imprévu s'y glisser. Trop risqué. Certains risques valaient-ils la peine d'être pris, alors ? Ce soir, il se sentait prêt à prendre ce pari. Et il espérait que Neolina aussi. Voilà pourquoi il ne lui laissait pas apercevoir ses doutes.

Quelques voix se firent entendre dans une pièce voisine, venant perturber la sérénité du moment. Ils étaient si absorbés l'un par l'autre, par ce qui naissait entre eux ... ils auraient oublié que les vies autour d'eux continuaient de suivre leur cours. Tout ce qu'ils avaient à se dire - et tout ce qui n'aurait pas besoin d'être dis - méritait d'être mené dans un endroit un peu plus tranquille. Et même s'il regrettait de devoir quitter la danse des lueurs boréales, ce fut lui qui prit l'initiative de l'entraîner vers la sortie. Puis de lui proposer de poursuivre la soirée chez lui. Aucune intention mal placée, attention. Natanaël n'avait en tête qu'une bonne tasse de thé, peut-être quelques nouveaux baisers. Rien de plus. Il aurait volontiers cédé son lit à la demoiselle et dormi sur le canapé, plutôt que de se permettre des propositions mal placées - heureusement, le transplanage existait.