L’Auror Dawlish était assis dans le coin de la salle, les bras croiser, ne daignant même pas prendre de notes. Il était crevé, cette enquête s’éternisant, leurs effectifs étaient bien trop bas. Il n’avait pas l’énergie de feindre devoir prendre des notes. John était vif d’esprit, il avait une mémoire grosse comme un troll – que des O à ses ASPICS qu’on le rappelle. Il était taillé pour ce métier. Taillé, mais crevé. C’est pourquoi il supervisait le jeune Robards, une recrue douée pour qui on avait accélérer le processus de stage afin de donner un coup de baguette au département. L’ainé des Dawlish n’était pas facilement impressionnable, mais il fallait dire que la qualité des comptes-rendus des dépositions que l’apprentis avait préparé avait était de très haute qualité. Il était donc certain que cet interrogatoire allait bien se dérouler, et si problème il y avait, il interviendrait. Il espérait que non, vu qu’il n’avait pas eu une seconde pour préparer cette période de questions. Il soupira.

Il arqua un sourcil ennuyé en direction du gamin, comme pour lui dire qu'il était temps de se lancer.

Quand l'Auror Dawlish lui avait proposé de mener un interrogatoire, il n'en avait pas cru ses oreilles. Il avait regardé l'homme avec des yeux ronds, stupéfait.

C'était déjà quelque chose, d'avoir été appelé en renfort, comme d'autres étudiants de la section Auror, sur l'enquête du Tueur au Diffindo. Certes, ce n'était que pour des tâches administratives. Éplucher des dossiers ou, comme c'était le cas de Gauwain, procéder à des relectures et écoutes de dépositions de témoins, afin de les résumer et d'apporter un regard complémentaire.

Bref, des tâches basiques.

Un interrogatoire, c'était autre chose. Ils n'avaient même pas eu de cours là-dessus...! Pourtant, pas question de laisser passer cette chance. On lui donnait l'occasion de montrer qu'il valait quelque chose, qu'il méritait sa place...

....ou on le faisait tourner en bourrique.

C'était la première chose à laquelle il avait pensé en découvrant l'identité de la personne à interroger. Pitié, Merlin...

Il refusa de reculer, cela dit. Il allait affronter ça dignement. Il réajusta sa cravate, se recoiffa, et récapitula les questions qu'il avait et les éléments à charge, avant de rentrer dans la salle d'interrogatoire, de l'air le plus neutre possible. Il s'installa aux côtés de l'Auror, et à son signal, prit la parole.

"Bonjour, Monsieur Boardman."

Il en savait à présent bien plus sur le chanteur que lorsqu'il l'avait rencontré fortuitement cet été. Il avait, d'après le dossier, refusé de répondre aux questions qui lui avaient été posées concernant la découverte des cadavres découvert la mi-août. Ne pas le brusquer plus.

"Nous vous remercions pour votre collaboration aujourd'hui. Tous les éléments qui permettront au Ministère de faire cesser ces meurtres seront utiles."

Le regard brun se riva à celui du chanteur, sondant sa réaction, étudiant chaque expression.

"J'aimerais qu'on reparle de ces deux mois d'été. Ca a dû être un moment exceptionnel, pour vous et votre groupe. Une occasion inouïe de marquer l'histoire de la musique."

Pour ça, oui, on pouvait dire que le festival, ou du moins sa clôture, avait défrayé la chronique.

"Vous étiez très impliqué dans l'organisation du festival. Vous parliez avec de nombreux personnels, régisseurs et... personnels de sécurité. A votre avis, comment deux corps ont-ils pu refaire surface, la nuit qui marquait le point d'orgue de cet événement? Malgré la surveillance et les procédures mises en place..."

Ne pas l'accuser directement. Chercher à comprendre et à rassembler des éléments. Il lui laissait la possibilité de leur parler d'individus louches, comme l'avait fait Svetlana. On en viendrait ensuite à Stubby Boardman en particulier.

Stubby se sentait fébrile. Il appréhendait. Assis depuis cinq minutes sur une chaise inconfortable, sa jambe droite ne cessait de tressauter et ses yeux voyageaient d’un bout à l’autre de la pièce, se posant sur la moindre fissure sur le mur. Il avait l’impression qu’il allait mourir là, dans cette pièce, sur cette chaise à l’assise gondolée. Un auror aussi aimable qu’un détraqueur d’Azkaban se tenait dans un coin de la pièce.
Finalement, quelqu’un d’autre entra dans la pièce. En entendant le bruit de la porte, Stubby se redressa aussitôt. Puis il fronça franchement les sourcils en voyant ce visage familier. C’était une blague ? Si c’en était une, elle n’était pas drôle. C’était vraiment lui qui allait l’interroger ? Il semblait que lui. Le chanteur ne répondit qu’un « Hm. » au bonjour du jeune homme. Il le dévisageait, l’écoutant silencieusement parler.
Ils savaient tous les deux pourquoi ils étaient là. Qu’il aille droit au but. Il avait tellement envie de lui balancer des commentaires bien sentis. Mais il n’était pas stupide. Il savait que cela risquait de se retourner contre lui s’il le faisait. L’inspecteur junior lui posa une question sur l’organisation du festival. Stubby haussa les épaules en secouant la tête.
« Je ne sais pas. »
Au regard du jeune homme, il comprit que ce n’était pas suffisant.
« Mes contacts avec les membres du staff étaient limités. Je leur donnais des directives et ils obéissaient. C’était tout. »
Il prit quelques secondes de pause pour réfléchir à ce qu’il pouvait dire qui aurait pu leur servir et l’innocenter en même temps.
« Mais les agents de la sécurité faisaient particulièrement mal leur travail. Vous saurez de quoi je veux parler. » Il faisait allusion au fait que le garçon avait réussi à entrer aisément en backstage. « Contre quelques galions ou autres faveurs, on pouvait facilement corrompre certains pour qu’ils nous fichent la paix. Je n’en ai pas eu besoin… mais je sais que ça se faisait régulièrement. » Il marqua de nouveau une pause. « Et certains endroits du festival était très mal surveillé. Voire pas du tout. Certains en profitaient. »
Lui y compris. Il pensait à un endroit en particulier. Il détourna le regard distraitement.

Bon, au moins le chanteur avait accepté de répondre : à en croire le dossier, c'était déjà une petite victoire. L'ambiance de l'interrogatoire n'avait rien à voir avec leur conversation houleuse de cet été. L'un et l'autre se tenaient à une réserve prudente, méfiante.

Sans avoir d'a priori, Gauwain tentait de garder l'esprit clairvoyant. Il ne débuterait pas sa carrière en accusant un innocent, pas plus qu'il ne la démarrerait en laissant partir un coupable.

Restait que les éléments à charge au dossier étaient légers.... et que les réponses de Stubby Boardman ne prouvaient rien. Contrairement à l'étudiante dans sa déclaration, il ne cherchait pas à accuser. Pourtant, dans son choix de mots, il était aisé de comprendre que la vedette avait également eu vent de certaines failles.

Il hocha la tête, oui, Gauwain voyait très bien de quoi il voulait parler.

Et puis, au dernier moment, tandis qu'il finissait une phrase, Stubby Boardman détourna le regard. Gauwain eut un froncement de sourcils imperceptible. Qu'est-ce qu'il ne disait pas? Etait-ce en lien avec ses 'moments privilégiés' avec le gars de la sécurité boug- gay, ou autre chose?

"Mais aucun incident en particulier ne vous revient en tête? Une personne qui vous aurait laissé une impression étrange, ou de malaise? Quelqu'un... qui aurait 'profité' particulièrement?"

La femme encapuchonnée? le type bourré? Il lui tendait une perche, là, et eut peur que son Auror référent ne le lui en tienne rigueur. Aussi, il enchaîna.

"Nous aurions également besoin de clarifier certains points de votre emploi du temps avec vous. Je sais que c'est un gros travail de mémoire, et qu'il ne sera pas aisé, mais j'aurais besoin d'avoir une idée assez précise de votre emploi du temps, jour par jour, sur les quatre derniers mois. Ainsi que d'avoir l'identité des gens qui se trouvaient avec vous."

En réalité, ils avaient surtout besoin de savoir quand Stubby Boardman s'était trouvé seul ; il fit glisser vers lui plusieurs rouleaux de parchemins, et une plume. Il réalisa in extremis que le chanteur pouvait risquer de se crisper. Vu ses fréquentations.

"Ces éléments sont collectés uniquement dans le cadre de l'enquête. Dans l'intérêt des femmes qui risquent d'être victimes.... Prenez votre temps. Et n'hésitez pas à nous partager chaque élément qui pourrait vous paraître étrange. Atypique."

Il jeta un oeil à l'Auror, avant de se lancer dans une petite impro. Il assurait le rôle du Gentil-Auror, non? Et il venait de demander à un suspect de lui faire un bilan sur les quatre derniers mois, ça pouvait prendre des heures.

"J'irai nous chercher des cafés, si besoin."

Stubby savait qu’il avait tout intérêt à docile et coopératif. C’était le seul moyen dont il disposait pour vite sortir de là et surtout être sorti d’affaire. Cette affaire n’aurait pas plus mal tomber. Le label des Croque-Mitaines retenait son souffle.
Il demeura silencieusement à la demande précise de l’enquêteur junior, ayant saisi la première bouclette lui étant tomber sous les doigts, au niveau de sa nuque. Il tirait légèrement la boucle pour l’étendre puis relâcher la pression, la faisant s’enrouler de nouveau sur elle-même tout en écoutant la suite de la demande. Il écarquilla légèrement les yeux. Donner son emploi du temps n’était pas ce qui le dérangeait. Pomelo étant une pépite, il lui avait recommandé de prendre son agenda avec lui au cas où ce genre de question serait posée. Mais il s’agissait de son agenda professionnel, majoritairement. Il acquiesça cependant. Il prit la plume et le parchemin. Il prit également son agenda qu’il avait posé sur ses cuisses.
« Je veux bien un café avec du lait et deux sucres. »
Il s’attela à la tâche, se servant comme point de repères ses rendez-vous professionnels qu’il ne prenait pas la peine de reporter sur le parchemin. En faisant cela, il activait ses neurones. Ce fut alors que quelque chose lui revint en tête.
« Dans les bois bordant le festival… Très tôt le matin de la grande soirée du Festi’Witch… J’étais allé… Fumer un pèteuforik avec un ami. Sur le chemin du retour, j’ai croisé une personne très étrange. Je n’ai pas vu son visage… En entendant des pas, je m’étais caché derrière le premier buisson venu. Ses pas, ils étaient très réguliers… Dans ces bois, c’était pas possible qu’ils soient aussi réguliers. La personne semblait connaître les lieux sur le bout des doigts. J’ai eu des sentiments très contradictoires. D’un côté, je ne me sentais pas en sécurité. De l’autre, j’étais comme rassuré. Quand je me suis retourné, je l’ai vu mais seulement de dos. La personne portait un des sweats vendus sur le Festival avec la capuche sur la tête, il était très très grand sur elle. J’imagine qu’elle avait pris la plus grande taille. Elle portait aussi un pantalon et des baskets. »
Au sein du bois, il y avait cette règle tacite que tout devait y rester. Et tâcher de croiser le moins de gens possible. En même temps, il tâchait de se souvenir au mieux de son emploi du temps des derniers mois. Quand on jetait un coup d’œil à son agenda, on pouvait d’abord constaté qu’il était énormément occupé professionnellement depuis quelques mois. Après avoir terminé un premier jet, il montra l’ensemble à Mr. Robards.
« Les rendez-vous barrés sur l’agenda sont ceux que je n’ai pas pu honorer. » précisa-t-il.
Sur le parchemin, il avait retransmis ce qu’il se souvenait des rendez-vous personnels. Des choses banales dans le cadre d’une enquête telles que « Anniversaire de maman » ou « Soirée pizza avec Neolina ». C’était un emploi du temps très lacunaire. Il apparaissait qu’il était sensé arriver au Festi’Witch de 2 juillets 1978 aux alentours de 13h. Le 27 ou 28 ou 29 août, il avait passé l’après-midi et la soirée avec Gemini Deshpande. Le 15 septembre, rien n’apparaissait. Le 19 septembre, il devait se rendre à 8h30 à un rendez-vous professionnel. Le 18 octobre, de nombreux autres rendez-vous professionnels mais la soirée de libre. Le 25 octobre, beaucoup de rendez-vous le matin et au début d’après-midi et le reste de la journée passée avec Jacob Braddock. De manière générale, beaucoup de noms d’hommes apparaissaient sur cet emploi du temps. Que ce fut ses collègues Croque-Mitaines, de la familles ou des amis.

Aller chercher quelques cafés ne lui parut pas dommageable ; le chanteur restait avec l'Auror, et cela lui permettrait de faire une demande d'intervention d'un photographe au passage, pour disposer d'une copie des pages de l'agenda, à placer au dossier. …..ou pouvaient-ils le conserver ?

Le chanteur l'avait amené, après tout, c'était sans doute pour le leur confier, au moins momentanément.
Quand il revint, distribuant les cafés, et s'en gardant un, pour ne pas donner l'impression d'avoir juste joué les serveurs, l'homme avait fini sa prise de notes. Il ne s'attendait pas à ce que le chanteur leur fasse le récit d'une rencontre étrange. Le jour de la découverte des corps au Festival. Il sentit son esprit s'aiguiser, tout à coup.

« Cet individu.... même sans avoir vu son visage, vous a-t-il semblé qu'il s'agissait d'un homme ou d'une femme ? »

Ca pouvait être la femme à l'accent étrange dont avait parlé Svetlana ? Le jour correspondait. En revanche, Gauwain ne s'expliquait pas les sentiments contradictoires décrits par l'artiste. Avait-il été victime d'un sort ? D'un Impardonnable ?

« Essayez de vous concentrer sur ce moment.... Est-ce que quelque chose peut expliquer que vous avez été effrayé, puis rassuré ? ….quelque chose de familier ? Ou une sensation d'esprit brumeux ? »

Pour le reste, l'agenda était clair, détaillé.

« Merci de votre coopération. C'est particulièrement précieux. Nous recouperons ces éléments avec les témoignages des personnes que vous nous avez citées. »

Gauwain avait espéré y trouver des éléments qui auraient écarté l'homme de la liste des suspects. Le chanteur était très grand, plus que Gauwain. Ca ne cadrait pas avec la description que la première victime avait fait de son agresseur.

Il en fut pour ses frais. A certaines dates stratégiques, l'emploi du temps était désespérément vide. Par exemple, le matin de la première agression. Ou la veille du meurtre de Monsieur Bones.... ce qui pouvait inclure le matin du crime, vu l'heure à laquelle il s'était produit. Il échangea un regard avec l'Auror Dawlish, avant de se reconcentrer sur le chanteur.

« Si.... d'autres éléments vous reviennent, pour les dates suivantes.... Il faut nous le dire. C'est important. Quoi que ce soit. Par exemple.... Le 2 juillet au matin : ce que vous faisiez, où vous étiez.... Même si vous étiez chez vous, quelqu'un peut peut-être en attester ? Un livreur humain ? Je ne sais pas, un commerçant? »

Il désigna le 15 septembre, de la même manière.

En coopérant, Stubby espérait sincèrement pouvoir se sortir d’affaire. Il y mettait de la bonne volonté. Hélas, sa mémoire était faillible et il était capable d’oublier les choses aussi rapidement qu’il les avait faites. Particulièrement quand il était dans le rush comme actuellement.
« A la démarche… Je dirais un homme. Ou peut-être une femme. Une femme pas très féminine. »
En fait, il n’en était pas tout à fait sûr et ça se voyait. Il ne s’était pas posé la question sur le moment. Ses souvenirs étaient flous. Il ne pensait pas avoir reçu de sortilège. C’était juste le matin et il avait à peine dormi de la nuit.
« Non… J’ai d’abord eu peur qu’on me voie… Donc je me suis caché. Puis les pas que j’entendais, j’ai trouvé quelque chose qui sonnait mal dans cette régularité. Vraiment quelque chose qui instaure le malaise. Vous savez, le malaise qui vous fait frissonner et un peu inquiétant. Mais en même temps, je ne me sentais pas en danger. Je me suis dit que c’était juste encore une personne hyper bizarre. Il y en avait beaucoup. »
Cela n’avait aucun sens, il lui semblait. En ayant fini sa tâche, Stubby donna à Gauwain son emploi du temps. Ce dernier lui posa une question à laquelle il prit le temps de réfléchir.
« Pomelo, mon elfe, peut en attester pour le 2 juillet. A part ça, je ne peux pas vraiment prouver que je dormais seul ce matin-là. »
Il avait conscience qu’on pouvait aisément remettre la parole d’un elfe de maison en cause. Par définition, ces créatures étaient serviles envers leur maître. Pomelo, même en tant qu’elfe libre, était très loyal à Stubby et n’aurait jamais rien fait, en tout cas volontairement, quoique ce soit qui lui aurait porté préjudice.
« Le 15 septembre… Je crois que j’étais allé chez mon beau-frère. Mais je ne suis vraiment plus sûre. C’était peut-être un autre jour. Le soir, j’étais avec Cheers. Enfin, Massimo… Il est parti dans la nuit. Mais s’il vous plait, ne l’impliquez pas dans ça… »

Bon. Ce n’était pas concluant. Qu’est-ce qu’ils avaient ? Un autre signalement d’une personne louche, homme de petit gabarit, ou femme à la démarche masculine. Rien ne reliait cette présence aux meurtres, cela dit. Il espéra que les Aurors allaient interroger l’organisateur du festival, à propos de la femme étrange qu’avait mentionnée l’ancienne serveuse.

« Vous seriez prêt à déposer ce souvenir en pensine ? Ce n’est pas nécessairement un suspect, mais si c’est le cas, ce serait déjà de premiers éléments. »

Ce serait un témoignage visuel assez précis. Il y avait également la question de l’étrange impression que cette rencontre avait laissée à l’homme ; autant Gauwain jugeait normal que le chanteur ait été alerté par les circonstances et la démarche étrange, autant…. Le fait qu’il ait ensuite été rassuré continuait de lui poser question. Peut-être pourraient-ils déceler un éventuel usage de magie, dans la façon dont se jouaient les souvenirs du chanteur.

Il le remercia d’un hochement de tête.

« Je suis désolé ; les témoignages d’Elfes de Maison ne sont pas recevables dans une enquête diligentée par le Ministère. »

Ces créatures étaient trop loyales à leurs maîtres. Elles auraient menti même sous la torture pour les protéger et leur fournir un alibi.

En revanche, il se rappelait l’homme, patibulaire, le gorille du festival. Et plissa les yeux. Il ne l’avait pas senti, durant le festival. Et s’il était impliqué, le fait est qu’il avait été avec le chanteur quelques heures avant un crime…. Mais qu’ensuite, l’homme et le chanteur s’étaient retrouvés libres d’agir. Il aurait été aisé de mentir un peu. De se fabriquer un alibi, en prétendant être restés ensemble plus que nécessaire. Les deux hommes partageaient quelque chose que Gauwain n’était pas sûr de bien qualifier, mais…. Il lui semblait que ce lien aurait été suffisant pour que l’un accepte de couvrir l’autre. Or, le chanteur n’avait pas essayé de se protéger. Ou de protéger son compère.

Il ne s’avança pas sur le fait de ne pas impliquer le gorille. Il serait interrogé, comme les autres, pour recouper les informations, savoir si le chanteur avait agi d’une façon particulière… Gauwain aurait donné cher pour assister à la conversation que les Aurors auraient, avec l’homme du Festival.

Alors qu’il refermait l’agenda de l’artiste, une question lui traversa l’esprit.

« Pourquoi avoir eu peur qu’on vous voie ? Ce fameux matin, dans la forêt ? »

Après tout, Stubby Boardman était une personne publique. Il n’avait pas paru embarrassé d’être approché par des fans, au festival. Etait-ce parce que son service d’ordre n’était pas présent ? Pour sa réputation ? Ou….. par crainte d’autre chose ? Il ne voulait pas accuser sans preuve, mais la possibilité n’était toujours pas écartée.

Il lança un regard à l’Auror Dawlish, pour savoir s’il avait raté quelque chose, s’il devait conclure, si l’Auror expérimenté souhaitait ajouter quelque chose.

Stubby montra une discrète mais pas moins visible expression de réticence à l’idée de déposer un souvenir en pensée. Il acceptait déjà de faire l’effort de leur dérouler tout son emploi du temps et de mettre entre leur main son agenda professionnel. Et puis quoi encore ? Les autoriser à aller fouiller dans ses sous-vêtements ? Leur confier un souvenir leur paraissait être de trop.
« Je ne pense pas, non. »
Son avocat l’avait brièvement briefer sur ce que les forces de l’ordre avait le droit ou pas de faire. Parce que, oui, il avait vu un avocat avant de venir (son premier réflexe). Ainsi, ils n’avaient pas le droit d’avoir recours au véritasérum ni à la légilimencie – de même que les impardonnables, bien entendu. Et ils n’avaient pas le droit non plus de récolter le souvenir de quelqu’un sans son consentement. D’autant plus qu’il fallait prendre les souvenirs avec des pincettes : ils pouvaient être trafiqués. Les enquêtes sorcières paraissaient infiniment plus complexes que celles des moldus. La magie ne facilitait rien.
Ca dérangeait profondément Stubby de devoir parler de sa vie privée. Surtout à ce gars-là ! Mais il savait qu’il n’avait pas vraiment le choix. Alors, quand il le pouvait, il mentait sur ses activités, pensant que de toute façon cela n’allait pas être utile pour l’enquête. Qu’est-ce que ça changeait qu’il joue au Monopoly ou qu’il souffle de la poudre lunaire tant que c’était au même moment, au même endroit et avec la même personne ?
Il croisa les bras en entendant la nouvelle question du jeune homme. Il haussa même les sourcils.
« Parce que je ne voulais pas qu’on m’y voit. Il se passait des trucs trop bizarres, là-bas. Vous savez qui on y trouvait ? Il n’aurait pas été dans mon intérêt, en tant que personnage public, que l’on m’associe à ces illuminés, ces lunés, ces vendeurs de champifleurs hallucinogènes, ces bougres… Juste pour pèteuforik semi-nocturne avec un ami. »
C’était à peu près la vérité. Au moins pour la première partie.
« Vous comptez garder mon agenda ? Parce que j’en ai besoin. Pour le travail. »

Le chanteur se referma aussitôt. Gauwain réprima une grimace. Ce souvenir aurait pu être infiniment précieux. Ils auraient pu l'analyser, y détecter peut-être des incohérences ? Mais il en savait assez pour savoir qu'il ne pouvait pas insister, si l'homme refusait de leur livrer.

Il lança un regard rapide à son Auror référent.

« C'est une décision qui vous appartient. Mais si cette personne est impliquée dans cette série de meurtres, ce sont des vies que vous pourriez sauver. N'importe quelle femme de votre entourage  pourrait être victime. Pensez-y. C'est pas une belle manière de partir. »

Il mit dans cette phrase toutes ses tripes. Les sentiments de culpabilité et frustration qu'il avait ressentis tout cet automne. Son sérieux et sa détermination à vouloir changer les choses.

Il espéra que ce serait suffisant ; si ce n'était pas le cas, sans doute l'Auror Dawlish relancerait-il. S'il ne le faisait pas, c'était que l'élément ne serait de toute façon pas déterminant, aux yeux du Département de la Justice Magique, et qu'il ne fallait pas en faire une croisade.

Ou que, il le sentait, le chanteur s'était définitivement fermé et insister était inutile.

La réponse qu'il obtint à sa question finale en était une autre preuve. La façon dont il croisa les bras et le toisa. Les éléments d'explications, semi-convaincants, pour une raison évidente : l'emploi du mot bougre, comme une pique destinée à Gauwain, ou un message subliminal. Ne pas vouloir être catalogué comme Gauwain l'avait fait. Restait quand même un élément important. Pourquoi ne pas être resté dans sa tente, dans sa loge, pour profiter d'une drogue douce ou d'autre chose ? S'il était inquiet pour sa réputation, pourquoi avoir pris des risques en se promenant dans cette forêt ?

Il hocha la tête néanmoins. Il le mentionnerait à l'Auror et verrait ce que l'agent expérimenté en penserait.

« Notre photographe va prendre des clichés des différentes pages. Votre agenda vous sera restitué dans la journée, par hibou. »

Après, sans doute, un examen approfondi, pour révéler potentiellement des annotations cachées. Mais il paraissait peu probable que l'agenda recèle ce genre de choses ; le chanteur n'aurait pas couru le risque de leur amener, si ça avait été le cas.

« Merci d'avoir répondu à nos questions, Monsieur Boardman. Si nous avons besoin de plus d'informations, vous recevrez une convocation. »