Ronan s'était levé aux aurores ce matin-là. Allez savoir pourquoi. Il avait ouvert brusquement ses grandes billes brunes à quatre heures du matin avec une folle envie de boire ce qui allait sans doute révolutionner le monde de la médicomagie. La potion Tue-Loup n'en était qu'à ses balbutiements, mais il trouvait cela réellement merveilleux. Quoi de plus merveilleux que de maîtriser totalement ce qui était censé être une malédiction ? Quoi de plus merveilleux que d'être conscient pendant tout le processus ? Alors certes, certes, la potion à ce stade ne soulageait pas la douleur ni l'atrocité de la transformation à chaque pleines lunes. Certes, aussi, elle produisait quelques effets indésirables. Mais Ronan n'en avait pas vraiment grand chose à faire - les effets secondaires touchaient toujours les autres, pas lui. C'était sa position aux Etats-Unis qui lui avait permise de rencontrer les bonnes personnes, au bon moment, pour bénéficier avec d'autres loup-garous de ce premier prototype. Un petit échantillon de personnes pour faire avancer la science. S'il était en général beaucoup trop égoïste pour risquer sa peau de la sorte, sa fascination malsaine pour ce qu'il était au fond de lui l'avait poussé à accepter. L'espoir de ne plus souffrir, également. Mais pour ça, nous verrons plus tard. L'artiste avait salement rongé son frein en attendant l'heure de l'ouverture des boutiques sur le Chemin de Traverse. C'était lui qui faisait sa potion, personne Ô grand personne, ne ferait ça à sa place.
Et puisque c'était lui qui faisait sa potion, c'était aussi lui qui cherchait les ingrédients. Ronan aurait pu, s'il avait été meilleur potionniste, chercher à l'améliorer lui-même. Mais le talent pour mélanger la peinture n'était pas forcément le talent pour faire une potion. Et il lui avait fallu tellement d'essais avant d'y arriver correctement qu'il avait manqué de laisser tomber. Comme quoi, il faut toujours insister. Quoiqu'il en soit, il fut le premier client à entrer dans la boutique farfelue où travaillait Charlie Flores, cette étrange aveugle à qui il achetait ses ingrédients. Bizarre cette sorcière, vraiment très bizarre. Aussi artiste fut-il, Ronan jugeait parfois les gens étranges. Mais Charlie avait la bonté d'âme de lui vendre ses ingrédients sans poser trop de questions... En tout cas, pour l'instant. Ronan avait toujours l'étrange impression qu'elle lisait dans son âme et autant dire que cela ne lui plaisait pas du tout. Le carillon teinta joyeusement alors qu'il faisait passer ses grandes jambes par le pas de la porte. « Y a-t-il quelqu'un ? » s'annonça-t-il avec, vraiment, toute la politesse dont il était capable - et qui demeurait proche de zéro - « c'est l'heure d'ouverture ». La petite pique, il n'avait pu s'en empêcher, excusez-le de son culot. Sans aucune gêne, il s'avança dans l'herboristerie, les mains dans les poches et le dos droit, comme s'il était dans sa propre boutique.