Clare s'estimait chanceuse d'avoir un appartement. De façon générale, moins sur le Chemin de Traverse. Mais là par exemple, c'était une sorte de chance dans son malheur. Avoir un appartement alors que le Chemin de Traverse était bloqué était le moyen pour elle de se retirer dans l'intimité. De ne pas trop attirer l'attention, d'avoir la paix... Elle en voyait certains être malmenés, torturés parfois par des mangemorts et cela la désolait. Malheureusement, Clare n'avait pas l'âme d'une Gryffondor. Elle n'avait pas du tout l'âme d'une Gryffondor et ne connaissait personne, aux dernières nouvelles, qui était bloqué ici. Le monde des sorciers était plus vaste qu'elle ne le pensait. Assise à califourchon sur sa chaise, la vue donnait au dehors. Cigarette coincée entre son index et son majeur, c'était sa dernière et diable, elle la savourait. Ce n'était pas foncièrement une addiction mais elle en avait parfois simplement envie... Ou besoin pour évacuer le stress. Et si toute son attitude était présentement très désinvolte, Clare était stressée. Elle avait bien vite compris qu'il ne servait à rien de rester en boule dans un coin de son appartement minuscule et humide. Le temps à passer était long, cela durait depuis trop longtemps. L'anglaise commençait déjà à s'affiner dangereusement. Elle expira une gorgée de fumée dans les airs en regardant le bout de sa cigarette, priant pour que Cosme ne soit pas au courant. Il serait terriblement inquiet de la savoir là et elle ne voulait pas que ça le tourmente. Ses yeux bleus accrochèrent un habit à lui, un haut, qu'elle regarda un moment. Elle s'était considérée longtemps comme indépendante après avoir quitté Anthony. Des années de célibat, pour finir mariée, comme c'est prévisible ! Et toutes ces années seule ne changeaient rien à son insupportable sensation de mal-être qui la rongeait, cette peur panique qu'on lui fasse du mal, qu'on la fasse souffrir et qu'elle ne le revoit jamais. C'était incroyable ce besoin qu'elle ressentait de le voir, de savoir si ça allait, de juste recevoir de ses nouvelles et de lui en donner.
La cigarette s'écrasa au sol alors qu'elle entendait des pas dans son escalier. Sa chaise se renversa. Dépourvue de baguette, elle se précipita pour se saisir stupidement d'une poêle, comme dans les films moldus, comme si ça allait pouvoir empêcher un sortilège de la toucher et comme si un accio ne règlerait pas l'affaire. Acculée derrière sa table, elle regardait la porte d'entrée, les yeux écarquillés. Et elle s'ouvrit brutalement, rejoignit le mur dans un bruit sec. « Qu'est-ce que vous me voulez ?! ». Elle n'avait même pas essayé de se cacher, à quoi bon ? Un revelio dirait tout ce qu'il voulait savoir au propriétaire de la baguette qui jetterait ce sortilège. Là, avec sa poêle, eh bien... Au moins, ses intentions étaient claires.

Quand Augustus revêtait sa cape noire et son masque, il avait le sentiment de devenir un nouveau sorcier. Une autre version de lui-même. Il ressentait un regain de liberté. Le masque lui offrait le pouvoir de l’impunité. Qui pouvait se douter de qui se cachait derrière ? Celui qui détenait le secret détenait le pouvoir.
En ce matin d’août, les mangemorts avaient quelques plans, justifiant le sombre apparat d’Augustus. Ils allaient à chaque porte quérir les otages qui s’y cachaient comme des rats apeurés. On bousculait, on menaçait, on malmenait les plus récalcitrants. Ou, parfois, juste pour le plaisir. Ce qu’Augustus n’approuvait pas nécessairement. Mais il comprenait comme cela participait à imposer le respect. Le langue-de-plomb n’avait qu’à faire usage de beaucoup d’autorité pour se faire obéir. Jusqu’à ce qu’il arrive à cette porte…

Augustus gravissait les escaliers avec énergie pour arriver à cette porte. Elle était verrouillée. Il frappa brutalement. Quelques secondes plus tard, en l’absence de réponse, il la défonça. Elle donnait sur un petit appartement miteux à rendre claustrophobe. Il capta vite l’habitante, poêle à la main, dans une vaine position défensive de ménagère apeurée. Le mangemort ne pouvait pas prendre cette menace au sérieux. Il la connaissait, cette petite dame. Une emmerdeuse de première. Guère dangereuse. Mais fort agaçante quand même. Il ne se prédisait pas beaucoup de patience. Il la regarda comme la petite chose ridicule qu’elle était.
« Lâche ça et descends. Je ne te le dirai qu’une seule fois. » ordonna-t-il.
Pour donner un coup de pression, d’un geste de blaguette, il fit péter un verre qui se trouvait juste en face de la jeune femme. Souvent, cela suffisait à vite les faire obtempérer. Augustus aimait se considérer comme un gentil mangemort car il préférait employer des méthodes douces au lieu de directement montrer les crocs. Les gens ne savaient juste jamais ce qui était bon pour eux.

La peur autant que l’adrénaline lui paralysaient les membres. Comment cela pourrait-il ne pas être le cas ? Un mangemort venait de pénétrer dans son appartement et la jeune femme lui jetait tout de même un regard féroce. Comme s’il pouvait avoir peur d’une petite sorcière dépourvue de la seule chose qui la rendait spéciale : sa baguette. Armée de sa poêle, elle était ridicule, tellement qu’elle même s’en rendait compte. Peut-être Clare aurait-elle dû courber simplement l’échine, acquiesçer timidement et le suivre. Mais elle était un chapeauflou Gryffondor et à cet instant, elle se sentait bien plus fille de Godric que fille de Rowena. Même si bon, le verre qui éclata devant elle lui arracha un cri qu’elle se fustigea silencieusement d’avoir poussé. Du nerf !
"Vous pouvez toujours courir" ronchonna-t-elle, "vous ne croyez pas que vous nous traumatisez assez à nous affâmer, il faut en plus nous parquer maintenant ?". Clare ne savait pas du tout où elle avait trouvé le cran de lâcher ça mais c’était d’une stupidité sans nom. Cynique et stupide, bravo Delarco ! Elle déglutit et ajouta : "Pourquoi faut-il descendre ?". Quitte à devoir obtempérer, elle voulait au moins avoir l’impression qu’elle avait le choix d’accepter ou de refuser. Une chimère de liberté dans un Chemin de Traverse qui ne l’était guère plus. Le coeur battant à tout rompre Clare fixait le moindre de ses mouvements, de sa respiration à sa baguette, menaçante à souhait. Elle allait regretter son sursaut de courage...

On le menaçait avec une poêle. Très bien. C’était inédit. Mais cela lui faisait moins peur que la crise économique. Un petit coup de pression allait sûrement finir à lui faire baisser son « arme ». Il les connaissait, les Gryffondor à deux noises. Ils en montraient beaucoup pour ensuite fuir la queue entre les jambes dès que le vrai danger approchait. La jeune femme poussa un cri beaucoup trop aigu aux oreilles d’Augustus alors que ce dernier fit exploser un verre se trouvant sur la table. Mais comme prisonnière de sa poussée d’hardiesse, elle n’en lâcha pas sa poêle pour autant. Le mangemort, derrière son masque, haussa les sourcils d’un air lasse et méprisant.
« Je crois que tu n’as pas compris les règles, ici. »
D’un coup de baguette sec, il arracha la poêle des mains de la pauvresse. L’ustensile valdingua à travers la pièce et passa à travers une fenêtre en un grand fracas. Quelques secondes plus tard, on entendait des gémissements presque agonisants venant de la rue. Bon, ce n’était pas volontaire, ça. Mais c’était juste un dommage collatéral. Au moins le rendre utile…
« Ecoute, par ta faute… Pauvre homme. » dit-il avec détachement. « Tu as fait assez de vague comme ça. Je suis sûr que tu n’as pas envie de causer d'autres dommages. Ni de pousser les mêmes gémissements... »
Le mangemort s’approcha lentement de la jeune femme mais d’un pas définitivement menaçant. Ce n’était qu’une question de secondes avant qu’il ne la saisisse.

Clare avait l'horrible sensation de s'enfoncer dans une situation qu'elle ne maîtrisait absolument pas. Et elle aurait voulu qu'on la laisse tranquille, qu'on la laisse profiter de sa dernière barre de nicotine, qu'on la laisse se lamenter. La vie de Clare n'avait jamais été de tout repos, et maintenant qu'elle avait la stabilité d'un emploi et d'un mariage où elle était heureuse, des hommes encapuchonnés venaient détruire tout cela. Tout ce qu'elle avait essayé de construire à la force de ses maigres bras. Tout ceci, toute sa stabilité donc, ne tenait que dans cette poêle qu'elle agrippait comme si sa vie en dépendait. Dépourvue de baguette, que pouvait-elle faire d'autre ? Abdiquer sans répondre lui paraissait hors d'option : qui sait ce qui lui arriverait en bas ? Peut-être viendrait-on la prendre, lui faire du mal, la tuer...? Clare ne voulait pas mourir. Elle ne voulait pas mourir comme ça, dans un attentat, sans avoir eu l'occasion au moins de dire au revoir à son amour. La jeune femme ne le montrait peut-être pas, mais elle avait en réalité les larmes au bord du cœur et aux bords des yeux. Elle voulait se rouler en boule dans un coin, les mains sur ses oreilles et oublier, oublier, oublier. Oublier qu'elle vivait tout cela, mettre fin à son propre trauma. Si elle en sortait vivante, dans quel état serait-elle ?

La voix froide de l'homme lui déclencha un frisson glacé et Clare essaya de détendre sa nuque, sans grand succès. Elle déglutit, bien entendu qu'il y avait des règles qu'eux seuls avaient édictées. Ils faisaient ce qu'ils voulaient d'eux. Qu'est-ce qu'ils pourraient bien lui infliger comme supplices si l'envie leur prenait, hein ? Hein ? La poêle lui fut violemment arrachée des mains en même temps qu'une larme finalement quittait la barrière de ses paupières pour glisser sur sa joue pâle. Elle sursauta au bruit en contrebas et une deuxième larme s'échappa de ses paupières alors qu'elle se tenait à la table, maigre défense qu'elle avait contre ce monstre-là. « Laissez-moi... » dit-elle en s'écartant pour garder toujours entre elle et lui la table salvatrice, « ils n'en sauront rien... ». Comme si ce type en avait quelque chose à faire de ça, tiens ! Comme s'il avait envie de la laisser tranquille, alors que c'était beaucoup plus amusant de la faire souffrir et de la traumatiser à vie. Clare n'arrivait plus qu'à dormir heure par heure, toujours réveillée en sursaut par des sons étranges provenant du Chemin de Traverse. Enroulée dans un pull qui appartenait à Cosme, son odeur réconfortante pourtant ne semblait lui être d'aucune aide face à cet ange de la mort.

Souvent, quand ses enfants le poussaient dans ses retranchements pour savoir jusqu’où ils pouvaient aller avant d’être sévèrement punis, Augustus avait envie de leur faire du mal. La violence apaisait après s’être déchaînée, la violence était une catharsis. Le fait qu’il aimait beaucoup plus ses enfants qu’il n’avait envie de le blesser le retenait à chaque fois de le faire. Clare, elle, ne bénéficiait pas de ce bouclier affectif. Elle était plus vulnérable qu’une enfant. Elle était pathétique à pleurer comme une gamine.
« Laissez-moi… » geignit-elle en s’accrochant à la table. « Ils n’en sauront rien… »
Augustus eut un sursaut de mépris. On aurait dit qu’il se moquait d’elle de la plus humiliante des façons. Si elle avait pu voir son regard, comprendre ce qui y passait…
« Je n’aime pas l’insubordination. »
D’un pas décidé et menaçant, Augustus contourna la table pour attraper Clare par l’avant-bras avec poigne. Il tordait le membre dans un sens peu naturel juste pour lui faire mal. Il appuyait si fort dans la chair qu’elle commençait déjà à rougir. Si fort que si sa main n’avait pas été gantée, ses ongles auraient fait perler le sang de la sorcière. Avec brutalité, il la tira vers lui alors qu’elle se débattait avec la force du désespoir. Il l’amena suffisamment proche pour la saisir par la racine des cheveux de son autre main. Il les tira, il les malmena à ce qu’elle s’en torde le corps.
Il voulait qu’elle pleure, qu’elle crie, qu’elle le supplie d’arrêter et qu’elle lui obéisse. Il voulait qu’elle expie sa désobéissance dans la peur, les larmes et la douleur. Quand il en eut assez de la faire se tordre, il plaqua son visage bouffi contre la surface boisée de la table. Il la maintenait immobile et à sa merci. Il se pencha, tout contre elle, pour lui susurrer à l’oreille.
« Ne joue pas à ça avec moi. Tes jérémiades n’attendrissent personne. »
Augustus la sentait trembler sous ses doigts. Sentir de façon aussi palpable sa terreur réveillait des choses en lui. Il ressentait un sentiment de domination enivrant, faisant accélérer son rythme cardiaque délectablement.

La situation lui avait filé entre les doigts sans qu'elle ne comprenne ce qui s'était passé. Clare avait bien senti qu'elle avait dépassé les bornes et maintenant, qu'elle devrait en subir les conséquences. Et alors que sa hardiesse s'était faite taire comme un soufflée, maintenant ressentait-elle farouchement la peur intense de ne plus jamais voir un matin se lever. Car ces gens après tout n'avaient pas la main sur le coeur - les enfermer de la sorte pendant des semaines n'était pas humain - et peut-être après tout que la tuer ici ne serait pas remarqué tant qu'ils seraient tous là. La jeune femme se figurait donc bel et bien morte et toutes les dernières couleurs de son visage venaient de s'évaporer. L'espèce de soupir méprisant qu'il eut finit de l'humilier comme il fallait. L'apothicaire se sentit mise à nue, exposée au monde, ridicule, comme si chaque être sur terre pouvait assister à cette scène. Comme si c'était un film et qu'elle était filmée malgré elle. Ses connaissances du monde moldu lui revenaient avec beaucoup d'ironie, eux qui combattaient si ardemment tout lien avec le monde non-magique.

Ses pensées la perdirent et Clare se fit attraper le poignet sans qu'elle n'esquisse un geste pour s'échapper. Mais en sentant la poigne autour d'elle, une main contre la sienne, elle commença à gigoter pour se défaire de cette détestable emprise : « Lâchez-moi ! » - et de lier le geste à la parole en tirant dessus comme si ça allait fonctionner. Elle était fine, la pauvre fille. Qu'est-ce qu'elle pouvait bien faire contre lui ? Son bourreau attrapa brutalement ses cheveux blonds et un cri de douleur s'échappa de ses lèvres, spontanément. Elle avait mal et la peur amplifiait le tout. Son souffle commença à se faire plus saccadé, la jeune femme sentait venir la brutale crise de panique. L'homme l'assomma presque en plaquant son visage contre son meuble et misérablement, l'anglaise toussa à s'en décoller les poumons. Comme ne le font que les personnes soumises à un sursaut d'adrénaline, la jeune femme lui donna un coup de pied violent dans la jambe pour le faire lâcher prise et elle glissa misérablement au sol en s'étouffant avec sa propre salive, les joues baignées de larmes, la peur au bord des lèvres.

Augustus avait le contrôle de la situation. La femme était à sa merci, les joues mouillées de larmes.
Oui, c’est ça, pleure ! C’est tout ce que ça sait faire, de toute façon.
Elle était faible, crachant ses poumons alors que son visage encore assez intact rencontrait le bois de la table. Il aurait pu la tuer. Là, tout de suite. Entourer ses mains autour de ce cou délicat et le serrer de plus en plus étroitement, comme une éteinte amoureuse et fatale. Le saviez-vous ? Amour et mort vont souvent de pair… Dans la fiction comme dans la réalité. Certaines espèces animales se laissent dépérir à la mort de leur moitié. On ne mesure véritablement l’amour d’un individu envers un autre qu’au décès de ce dernier. L’intensité du chagrin est à la hauteur de l’amour porté à la personne. N’est-ce pas magnifique ?
Tout se passa en quelques secondes seulement. Tandis que le mangemort maintenait fermement sa victime, celle-ci, dans un élan désespéré, lui assena un brutal coup de pied dans la jambe, le faisant lâcher prise. Il lâcha un juron, une très vilaine insulte envers l’importune indocile qui s’affaissait au sol.
Augustus vit rouge, enragé qu’on défit ainsi son autorité. Loin de la laisser tranquille, il se plaça à califourchon sur la jeune femme afin de la bloquer contre le sol par son poids. Il se pencha sur elle et maintint ses bras immobiles en tenant fermement ses poignets contre le parquet.
« Sale petite c*nne… Tu me rends pas la tâche facile… »
Il marque quelques secondes de pause pour observer le visage de la femme qui n’était pas désagréable à regarder. D’un geste habile, il bloqua une des mains de la sorcière entre le sol et son genou. De sa main libre, il saisit son visage pour le regarder sous toutes les coutures.
« Tiens, ce serait très dommage d’abîmer ce si, si joli visage... »
Sans attendre quelconque réponse, il lui décrocha un coup de poing dans la mâchoire.