La pleine lune. Ce serait ma douzième. Je les comptais comme une sorte d'anniversaire. Chaque mois, je maitrisais de mieux en mieux mes transformations et surtout ma faim. Je me faisais des réserves de viandes rouges que je mettais dans une sorte de mangeoire à l'intérieur de ma cage. J'achetais ma nourriture chez plusieurs bouchers les cinq jours précédents mes transformations et les gardais au réfrigérateur. Quand le premier soir arrivait, je terminais le travail beaucoup plus tôt comme les deux jours suivants. Paige venait avant la nuit pour attacher les chaines autour de ma taille et de mes biceps, à des endroits non visibles habillée en cas de blessures. Assurée que je ne pourrais m'échapper, elle barricadait la porte de ma cave avec de lourds morceaux de bois qu'elle enlevait le matin, lorsqu'elle revenait me libérer. Ce soir ne faisait pas exception et après m'avoir minutieusement entravée, elle m'abandonna à ma condition.
Lorsque la pleine lune s'éleva dans la nuit sombre, je me laissas aller à mon sort, me transformant en la bête qui dormait en moi et que je redoutais.

La cuisine était dans un certain sens rangée, la lumière de la hotte était allumée, ce qui baignait la pièce dans une atmosphère apaisante. Un couteau large à la lame colorée était sommairement posé sur le plan de travail et quelques cercles imparfaits d'un rouge écarlate tapissaient le sol au pied de l'évier. On pouvait distinguer une légère odeur de nourriture et des barquettes vides de viandes sous le couvercle de la poubelle.

Dans le salon, éclairé par l’halogène, la radio chantait une musique douce et entêtante. Le manteau d'Audrey trônait sur le canapé, tandis que son sac à main reposait sur la petite table basse. Sa baguette en bois de cèdre au manche en volutes caractéristiques des Worthington était tombée sur le tapis au sol. Deux fioles étaient également posées sur la table. Elles contenaient un liquide expérimental d'un bleu sombre, et l'une était à moitié vide.

Le chambre était bizarrement rangée. Le lit frôlait la perfection, si les vêtements de la jeune femme posés sur le bord ne venaient pas en casser la symétrie. Les tiroirs de la commode étaient ouverts, laissant sortir une nuisette en soie blanche, ses chaussures de la journée reposaient anarchiquement sur le sol. Les rideaux étaient tirés de façon à plonger la pièce dans l'obscurité, cassée uniquement par la lumière émanant de la salle de bain.
L'embrasure de la porte de la salle d'eau laissait entrevoir que le néon baignait la pièce de sa lumière artificielle. Il y régnait une atmosphère encore humide. Sur le lavabo, une boite orange de somnifère au nom d'Audrey était ouverte. Un peu de sang auréolait le robinet d'eau froide. Une serviette de toilettes, encore mouillée jonchait le sol. Audrey avait également laissé ses bijoux, dont le médaillon de l'OP posés sur une tablette près d'un miroir.
Dans le couloir qui menait à la cave, des planches de bois entravaient la porte...

Dans les escaliers qui descendaient à la cave, les grognements s’amplifiaient. Des bruits de succion indiquaient qu'une bête était en train de manger. En bas des escaliers, un peignoir blanc était sur le sol, immaculé. Sur le sol, près de la grille, d'épaisses flaques de sang mêlées à des morceaux de viande rouge s'étalaient. Puis des bruits de ferrailles qui s'entrechoquaient augmentaient à mesure que la bête haletait en tournant en rond dans sa cage. Puis sentant une présence elle hurla à la mort ...

Quand l'individu pénétra dans la pièce sombre, la bête s'excita, accélérant ses rotations dans son antre. Elle se cabra contre la grille, toutes griffes et dents dehors et grogna pour effrayer son invité. Les pupilles ultra-dilatées, elle fixait l'homme, avec l'envie irrésistible de planter ses crocs dans sa chair fraiche.

Une bête... Il l'entendait... Brandissant sa baguette, Kingsley dévala les escalier et scruta l'ombre à laquelle ses yeux mirent quelques secondes à s'habituer. Il continuait à s'avancer, le distinguant que des ombres au fond de la cave, puis le hurlement de figea sur place. Un loup garou... La bête l'avait sentit et s'agitait violemment, ajoutant au vacarmes les chocs métalliques contre la cage dans laquelle elle était enfermée. D'un murmure, King illumina sa baguette et il lui fallut tout son sang froid d'auror pour ne pas bondir en arrière. Le loup garou le fixa, tout croc dehors, avec une férocité sauvage. D'un coup de baguette, il lança un Stupéfix qui devrait assommer la bête quelques minutes. Alors que la cave était redevenue silencieuse, il s'approcha de la cage, l'examina, et analysa en quelques seconde son mécanisme. Vérouillée de l'extérieur, protection magique renforcée... Mais qu'est-ce que ce loup garou faisait dans la cave d'Audrey ? Il balaya la pièce des yeux, l'éclairant largement d'un Lumos Maxima et dans la clareté pâle, il identifia immédiatement le peignoir blanc, simplement posé au sol. Tout à coup, tout se mettait en ordre dans sa tête. Tous ces signes qui montraient qu'Audrey n'était pas sorti, son absence de réponse depuis que la lune s'était levé, les changements qu'il avait perçu en elle depuis quelques temps... Il tourna la tête vers le loup garou étendu dans la cage, et remarqua les traces de sang au sol, alors que la bête ne présentait pas de blessure apparente. Le couteau, les tâches dans la cuisines, c'est son... repas qu'elle préparait. Il s'approcha de la cage, la mâchoire serrée.

- Audrey... Va falloir qu'on discute...

Bon évidemment, il avait peu de chance d'avoir une conversation avec sa collègue d'ici que la lune se soit couchée. Il resta assis sur une caisse à coté de la cage pendant un moment, ne pouvant détourner les yeux du loup inconscient alors qu'il essayait de faire le tri dans ses pensées, après le premier choc. Il n'avait toujours pas décidé si c'était la colère, la rage ou la profonde compassion qui l'emportait que la bête commença à s'agiter. Maintenant qu'il savait que c'était Audrey, il répugnait à la garder assommé en enchaînant les Stupefix toutes les cinq minutes (contrairement aux humains qui restent inconscient bien plus longtemps, les loups garou ont une certaine résistant à ce genre de sort). La cage tiendrait bon, mais sa présence allait rendre folle la bestiole. Il se leva donc et remonta l'escalier, fermant la porte derrière lui.

Il se souvint tout à coup d'un détail... La porte, la cage, les sorts... Il y avait donc quelqu'un d'autre au courant qui l'aidait à se barricader. La colère lui fit froncer les sourcils. Bon sang elle aurait pu le mettre au courant ! Elle lui faisait donc si peu confiance ? Mais derrière cette pointe de déception il comprenait bien la situation dans laquelle Audrey se trouvait. Il était sûr que sa morsure ne remontait pas à si longtemps que ça, quelques mois, un an, il n'en était pas sûr. Tout ce qu'elle avait réussi à avoir avant ça, la place et le respect au sein du bureau des Aurors de son père, une image d'auror modèle, elle risquait de tout perdre. King commençait à bien la connaître, elle n'y survivrait pas. Mais rien que l'idée qu'elle doivent endurer tout ça seule le révoltait. Sans s'en rendre compte, il se retrouva sans le salon quand la lueur bleuté d'un patronus apparut. Il entendit la voix de John qui lui parlait à toute vitesse "Le chef demande un rapport de ta position, on compte déjà trois fronts d'attaque de loup garou, ramène-toi au QG avec Audrey si elle est avec toi". Sans hésitation, Kinsgley fit apparaît son propre patronus et alors que le gros lynx argenté le regardait de ses grands yeux brillants, il lui confit son message, de sa voix grave :

- Audrey est avec moi, on a aussi un loup garou sur les bras, on maîtrise la situation mais va falloir se débrouiller sans nous.

Le lynx bondit gracieusement et disparut en des volutes argentées. Ce n'était pas complètement un mensonge, mais quoi qu'il en soit, King avait prit sa décision. Il ne la laisserait pas tomber, et il n'avait qu'une hâte, que cette nuit horrible s'achève pour pouvoir le crier assez fort dans les oreilles humaines et non poilues d'Audrey pour qu'elle le comprenne.

(Désolée mon Kingsley pour le retard )

Lorsqu'elle ouvrit les yeux, Audrey sentit une douleur lancinante sur le bombé de son crâne, du sang séché avait laissé un sillon le long de sa nuque jusqu'au bas de sa colonne vertébrale. Au bras, le fer avait entamé sa chair, le frottement avait laissé sa peau à vif autour de sa taille. Le lever du jour éclairait très légèrement la cave et la tendre chaleur contrastait avec le métal glacé. A moitié allongée sur le sol, la jeune femme tenta de repérer Paige qui était toujours là à son réveil pour la libérer de ses entraves et l'aider à nettoyer ses blessures, mais ce matin personne ne la veillait. Elle fronça les sourcils d'inquiétude et fouilla la pièce du regard. Personne. Elle attendit quelques secondes dans le silence, l'oreille tendue à l'affût du moindre bruit qui pourrait émaner du dessus, mais rien. Normal, puisqu'un sort rendait la cave acoustiquement impénétrable, se dit-elle. Elle ne tenta pas de l'appeler, elle allait sans doute arriver. Elle s'assit le long de la grille et détendit ses membres un à un, en faisant quelques mouvements d'élongation. Les poignets, la nuque, ses os craquaient.
Au bout de plusieurs longues minutes, la porte à l'étage s'ouvrit enfin, laissant entrer des raies de lumières plus fortes. Reconnaissante, son visage se détendit et elle lança :

- Pas trop tôt !! Sors moi de là, je vais être en retard au boulot !

Ses paroles restèrent sans réponse. Le cerveau analysant les informations à toute allure, Audrey étrécit ses yeux afin de comprendre ce qu’il se passait. Lorsque ce fut Kingsley qui se matérialisa sous ses yeux, l’auror eu le réflexe immédiat de se cacher comme elle le pouvait avec ses mains et planta son regard dans le sien. Elle s’enfouit dans le peignoir et sentit le reproche à plein nez. Le ton de sa voix était calme mais son visage trahissait sa pensée. Gênée et consciente de l’avoir déçu, la jeune femme baissa le regard puis la tête. Complétement en tort elle n’argumenta rien à sa première remarque puis finit par articuler après la seconde dont elle comprit parfaitement le sens :

- Je suis profondément désolée King.. que tu l’apprennes comme ça …

Elle saisit les bandages posés sur une étagère en bas des escaliers et les lui tendit.

- Je pensais que tu ne comprendrais pas, que peut-être tu ne me ferais plus aussi confiance, que je ne serai pas assez fiable ! Tu comprends, j'ai trop peur de perdre mon job !

Docilement Audrey écouta les reproches de l'auror tout en le laissant la soigner. Dans ses gestes il gardait la douceur de l'amitié mais son ton restait aussi incisif que ces canines de loups-garous. Elle grimaça légèrement lorsqu’il s’occupa de ses plaies au bras, c’était douloureux mais ce n’était rien en comparaison à la boule qu’elle avait dans la gorge. Elle savait qu’elle l’avait déçu. Et au-delà de la déception, il était en colère qu’elle ne lui fasse pas assez confiance pour partager ce fardeau. Son ton se fit plus doux lorsqu’il entama le nettoyage de sa plaie à la tête et dos à lui, elle lui répondit avec l’honnêteté qu’elle lui devait :

- C'est le cas King ! ... Ça a commencé ... Elle hésita .. Tu te souviens, il y a un peu plus d'un an... de la mission avec .. Elle déglutit... Holding ... J'ai été blessé .. ou plutôt.. mordu .. au cou.

Machinalement, elle pencha sa tête sur le côté afin de dévoiler la large cicatrice, témoin de cette terrible soirée ou elle avait failli perdre la vie. Holding l'avait perdu lui et elle avait hérité de cette malédiction.

- Les premières fois ont été compliquées, je me réveillais dans la rue, sans aucuns souvenirs de ce que j'avais fait ... C'était terrible..

L'auror avait arrêté ses soins pendant les explications d'Audrey, ses mains menaçant de trembler de manière incontrôlée. Plus d'un an... A la réflexion tout devenait évident. Son propre aveuglement face aux changements d'attitude de sa collègue, ses inquiétudes qui n'allèrent jamais jusqu'à penser qu'elle puisse être réellement malade... Elle avait perdu un coéquipier lors de ce fameux jour, et ce genre d’événement était toujours difficile à surmonter, pour n'importe qui. Il se serait même inquiété de la voir reprendre une vie normale sans paraître affectée. Mais le traumatisme se doublait en réalité d'autres bouleversements, qui l'avait laissé plus isolée que jamais. Il passa sa main sur la cicatrice de la fatale morsure au cou qu'il venait de nettoyer du sang séché qui avait coulé de sa nuque. Il serra les dents, son sentiment de colère se retournant contre lui-même de ne pas avoir été capable de protéger Holding, de ne pas avoir pu la protéger elle. Evidemment cette culpabilité était absurde, mais il ne pouvait s'empêcher de toujours penser qu'il aurait du être là, au bon moment... Elle mentionna ses premières transformations, et un frisson parcourut l'échine de King. Il connaissait assez Audrey pour ne pas avoir de mal à imaginer la détresse dans laquelle elle s'était trouvé. Il la prit par les épaules et d'une légère pression, lui glissa :

- Je suis vraiment désolé... J'aurais dû être là, pour t'aider... Tu aurais dû me le dire...

Après un petit moment où il finit ses premiers soins, il ajouta, le ton de reproche s'était estompé, mais sa fermeté toujours présente pour bien lui faire comprendre que le temps des cachotteries étaient fini :

- Tu n'as pas répondu à mon autre question. Tu ne t'enfermes pas toute seule n'est-ce pas ? Il hésita un instant avant de reprendre. Il y a eu des attaques cette nuit... Beaucoup d'attaques, des meutes qui semblaient organisées. Il faut qu'on sache s'ils ont été manipulés ou s'ils ont agis de leur propre chef.

L'épaule de King était toujours d'un grand réconfort. C'était sans aucun doute son plus ancien ami et celui qui la connaissait le mieux. Malgré les haut et les bas, et quelques ratés, leur amitié en était toujours sortie plus forte. Ses excuses lui vinrent droit au cœur et jamais elle n'aurait pensé lui en vouloir. En fait elle s'en voulait de ne pas lui avoir fait confiance. Son amour du boulot et la peur de sa lycanthropie avaient aveuglé son jugement : elle pouvait lui faire confiance.

- J'aurais dû tout te dire .. dès le début... J'aurais pu te mettre en danger.

Audrey le fixa et dit doucement comme si elle pouvait être entendue :

- Il ne faut pas que mon père l'apprenne. Ni Lucas, ni Maugrey... ni Magnus ...

Kingsley finit les premiers soins et Audrey le gratifia d'un sourire et d'un regard franc. Sa question resta en suspens car la révélation des attaques prirent le pas sur le superflu :

- Il y a eu des attaques ? Combien ? Où ça ?

Pendant qu'elle prononça ses interrogations, des bribes de conversations d'avec Ariena lui revinrent en mémoire. Ses deux mains vinrent se loger machinalement devant sa bouche en signe d'horreur.

- Par Merlin, King !! ... Ariena.... elle savait !!! C'est Greyback ! Il ...