Non vraiment, il avait de l'allure ce voilier. C'était pas le petit canot de sauvetage, ou le hors-bord de luxe, non, c'était un vrai bateau. Ses voiles blanches enroulées pour ne laisser aucune prise au vent, il tanguait lascivement comme une grand-mère dans son rockingchair. C'est qu'il avait pas l'air tout jeune, la peinture était écaillée d'un côté mais semblait aller bon train de l'autre, en rénovation donc.
Le pont, sous les pas de Nora grinçait à peine et semblait avoir été poli par les brosses des mousses passés. Elle monta l'escalier qui menait au gouvernail, entrouvrit les bras lorsqu'elle fut à la proue. Le soleil tapait fort mais la brise rendait l'air respirable et le tee-shirt trop grand de la rouquine claqua contre sa peau comme une voile lâchée. Les vacances enfin, la liberté. Plus de Poudlard, plus de cours, le grand plongeon dans le monde des adultes, tout ça l'excitait au plus au point.

«Hey vous là bas, il est pas à vous ce bateau!»

Plaquant ses bras contre elle, Nora se retourna vive comme l'éclair et avant même de voir son interlocuteur se baissa promptement pour se cacher derrière le gouvernail. Ok, elle avait un peu forcé le destin pour rencontrer le voilier. Trois barrières, un grillage et au moins cinq panneaux d'interdiction. Elle n'avait pas à être ici.

En sept ans à Poudlard, les deux jeunes femmes n’avaient jamais eu l’occasion de se parler. Elles étaient pourtant de la même année. Comme quoi, on peut vivre au même endroit sans se croiser et se rencontrer à l’autre bout de la région. Son nom parut lui rappeler quelque chose, peut-être avait-elle croisé son frère jumeau, Elliot. Nora ne lui en voulait pas, de son côté, elle savait qu'elle n'oubliait jamais un visage, elle était physionomiste quand elle n'était pas tête en l'air. Elle était persuadée que Minerva avait eu des notes excellentes aux Aspics, la rouquine avait le profil de l'élève sérieuse à qui tout réussi. Elle avait le visage mature des enfants qui ont grandi trop vite et Nora ne fut pas étonnée que ce soit elle qui s'occupe du côté financier du voilier.

«Tu comptes continuer tes études après?»

Tout en écoutant sa proposition, le visage de la jeune femme s'éclairait, et sa main se reposa machinalement sur le gouvernail. Son bois était rude et aurait mérité un bon coup de verni, il portait les morsures du sel et à certains endroits était poli par les mains qui l'avait manipulé, une vraie histoire à lui tout seul.

«Merci j'accepte c'est généreux de ta part. La Violette... ça lui va bien! Tu te rappelles de ta cabine?»

Le sourire espiègle de la jeune femme fit pétiller ses yeux. Non non elle n'essayait pas de visiter d'avantage le fabuleux navire.

Sa négation surpris la rouquine. Elle aurait bien vu Minerva obtenir le diplôme de l'école supérieure. Mais après tout, elle avait peut-être déjà trouvé sa voie et elle ne justifiait pas l'acharnement au travail que demandait la poursuite des études.

«Hors de question, j'ai suffisamment gratté de la plume! Des projets alors?»

Nora se renseignait sans arrière pensée, juste par curiosité et envie d'en apprendre d'avantage sur la détentrice d'un superbe navire tel que la Violette. Comptait-elle voguer à son bord et partir à l'aventure? A bien la regarder, Nora n'en était pas très sûre, la jeune femme lui apparaissait comme une personne plus terre à terre, responsable et entrepreneuse qu'elle ne le serait jamais.
Le sourire de l'ex serpentard fit gentiment comprendre à Nora qu'elle n'était pas dupe de sa curiosité maladive pour le bâtiment de croisière et la jeune femme haussa les épaules l'air innocente.
La suivant par delà le pont, la rouquine ouvrit de grands yeux émerveillés devant le vieux luxe dont recelait les cabines. De dehors, rien ne laissait présager ces moulures fines et ces métaux précieux. Heureusement d'ailleurs, les voleurs de bas étage se trouvaient partout, y compris chez les sorciers. Bien qu'admirative du travail et du goût certain des boiseries, Nora n'osa rien toucher cette fois-ci, de peur que Minerva ne la pense plus cupide que collectionneuse.

«Moi si j'étais toi, je choisirais celle-là! Tu serais moins secouée qu'en poupe et tu donnerais à bâbord qui est le côté qu'on amarre souvent face à au soleil.»

La jeune femme resta rêveuse un instant alors qu'elles se trouvaient dans la dernière cabine visitée. Elle osa même un regard au delà du hublot, vers le port tranquille de la petite île sorcière.

«Tu sais si tu as besoin d'aide pour le bateau, repeindre ou n'importe quoi d'autres, je veux bien travailler... et bénévolement!»

Autant tenter sa chance quand elle pointait le bout de son nez!

Contrairement à la rouquine, Minerva ne s'épanchait pas, ne posait pas de questions plus que ça, et sans la rendre mystérieuse, cette absence de communication outrancière lui donnait une aura de noble à l'ancienne. A ses côtés, Nora se sentait plus comme une paysanne crottée parlant à une duchesse qu'à une camarade d'école. Ne voulant pas lui faire par de ses projets, l'ex griffondor imaginait toute seule. A la tête d'une entreprise, ou dans le mannequinat, ou peut-être comme grande styliste de renom. Elle était sans doute loin du compte mais s'en fichait, elle réinventait le monde à sa façon.
Le fait qu'elle est pris sa proposition en compte fit sourire la jeune femme. Peut-être n'était-ce pas qu'à cause de ce qu'elle lui avait dit. Elle l'a vit en effet regarder de plus près les décorations qui à n'en pas douter étaient les plus belles dans cette cabine en particulier. Même si Nora admirait le travail d'orfèvre qu'il avait dû falloir pour sculpter le bois du sommier, ou bien encastrer la belle pièce de marbre qui tenait lieu de rebord de hublot, ce n'était que les courbes parfaites du navire qui ravissaient son coeur. Le bois souple, maniable et à la fois solide qu'il avait fallu pour épouser les formes du bateau l'émerveillaient.
Lorsqu'elle fit sa demande, elle regarda avec une quasi inquiétude la jeune femme se retourner lentement. Mais ses yeux ne lançaient aucun éclair, bien au contraire, un sourire enorgueillit même son visage. Nora aurait sauté de joie si elle avait été seule, ou en présence d'amis aussi chtarbrés qu'elle mais elle se retint, après tout il y avait ce monsieur Comoran... Peut-être ne verrait-il en elle qu'un gringalette tout juste bonne à passer l'éponge sur le pont. Elle connaissait les marins et était tombée sur des fiers à bras macho aussi bien que sur des vieux loups de mer au coeur aussi vaste que l'océan, elle se demandait juste à quelle catégorie appartenait le maitre de chantier de La Violette. Quand à la rémunération, Nora haussa les épaules, elle ne voyait pas les choses sous cet angle mais n'en fit pas part à Minerva. Pour elle, l'entraide ou la passion n'avaient pas à être facturé, au contraire, moins il y avait d'argent dans l'histoire, plus l'aventure humaine était belle. Mais puisqu'elle proposait, il aurait été impolie de refuser, surtout si la demoiselle comptait se payer l'équipement de baroudeur de ses rêves.

«Et bien merci encore, avoir un pied marin et une vue sélective n'est finalement pas si mal.»

Bien sûr Nora faisait allusion à son intrusion sur le bateau et elle laissa un rire clair s'échapper, avant de faire les yeux ronds et de refermer son clapet, ce n'était peut-être pas très correct.

«Pardon. Je vais te laisser tu dois avoir d'autres choses à faire, c'est toujours ok pour ce soir?»

La rouquine eut une moue enfantine, souriant à la jeune femme alors qu'elles remontaient sur le pont du navire.