La pluie ruisselait sur les vitres du 10 Downing Street aujourd'hui et le regard de Penelope était plongé dans une lame de plancher. Elle grignotait le bout de son crayon de bois, soucieuse quand la porte de James Callaghan s'ouvrit et la fit sursauter.
« Apportez-moi deux cafés dans dix minutes, miss Fawkes, s'il vous plaît » dit-il en rehaussant ses lunettes sur son nez.
Penelope acquiesça et attrapa quelques feuilles sur son bureau pour mimer une activité qu'elle n'avait pas cinq secondes plus tôt. Elle n'en était qu'à sa période d'essai. Si le Premier Ministre la surprenait à se tourner les pouces, elle pouvait dire adieu à son poste.
Elle jeta un coup d'oeil à sa montre pour ne pas dépasser le délai. Dix minutes, pas une de plus. Elle se remit au travail et décida de ranger les dossiers qu'elle laissait traîner sur son bureau. Si le ministre avait rendez-vous, il fallait que tout soit impeccable.

Le temps poursuivit son cours et cinq minutes plus tard, Penelope quitta son bureau pour se rendre dans la salle de « pause » bien qu'il n'y ait pas vraiment de pause à prendre lorsque l'on travaille pour le Premier Ministre. Elle enclencha la machine a café et attrapa une cuillère dans le dos de laquelle elle observa son reflet. Elle remit une mèche de ses cheveux derrière son oreille puis reposa la cuillère en soupirant.
Elle se trouvait laide à mourir, en ce moment. Sa peau était terne, ses cheveux de la paille, elle semblait sombrer à nouveau.
Elle attrapa deux tasses, y versa le café chaud et les déposa sur un plateau d'argent en ajoutant un sucre et un biscuit sec dans chaque soucoupe. Petite fille modèle.
Lorsqu'elle retourna à son bureau, elle s'étonna de n'avoir vu passer personne. On ne faisait pas attendre Callaghan, c'est une question de bon sens. Alors elle tendit l'oreille, discrètement, en direction du bureau du Premier Ministre et elle fut surprise d'y entendre des voix. Pourtant, elle aurait juré avoir eu une vue d'ensemble sur les entrées depuis la cuisine. Si le rendez-vous du ministre était arrivé alors qu'elle n'était pas à son poste pour l'accueillir, elle n'avait plus qu'à prendre ses affaires et à rentrer chez elle. Positive, Penelope se dit-elle mais elle n'arriva pas à se convaincre elle-même.
Elle s'approcha de la porte du bureau, son plateau dans une main et frappa trois coups contre le bois de la porte. De l'intérieur, elle entendit qu'on l'invitait à entrer et d'un pas gracieux, elle pénétra dans l'antre secrète du chef de l'état.
« Vos cafés, Monsieur le Premier Ministre, annonca-t-elle à Callaghan et son regard se posa sur l'homme assis en face du bureau de son patron.
— Posez les là, merci », fit le ministre en désignant une place sur son bureau.
Penelope s'approcha, salua humblement l'inconnu d'un signe de tête et sentit honteusement ses joues s'empourprer alors qu'elle déposait le plateau entre les deux hommes. Puis comme une collégienne, elle quitta le bureau d'une démarche mal assurée.
Idiote, sombre idiote. Tu finiras manger par les loups du métier, se dit-elle.
N'empêche, comment diable avait fait cet homme pour se retrouver comme par magie dans le bureau du ministre sans passer par la porte d'entrée ?

Lorsqu'elle quitta le bureau du Premier Ministre, Penelope s'arrêta un instant, plateau en main, et s'adossa à la porte de bois qu'elle venait de refermer. Elle inspira avec force, essayant de se raisonner. Des types imposants comme celui qu'elle venait de rencontrer, elle en verrait tout au long de sa carrière, elle avait plutôt intérêt à s'habituer dès maintenant et à ne pas rougir à la moindre occasion, surtout pas quand on lui balance un simple « Merci ».
La femme de ménage passa dans le hall avec son chariot de produits d'entretien. D'un geste de plumeau, elle intima à Penelope d'aller se rasseoir à son bureau, croyant probablement qu'elle était en train d'écouter aux portes. Penny s'exécuta rapidement, oubliant même d'aller ranger le plateau dans les cuisines. Cet homme lui avait retourné le cerveau, si bien qu'une fois assise à son bureau, Penelope mit quelques minutes avant de se souvenir du travail monstre qu'elle avait à faire. Alors elle entreprit de fouiller dans l'agenda du Premier Ministre afin de trouver le nom du jeune homme actuellement en rendez-vous avec son patron. Elle avait bien dû noter quelque chose à propos de cette rencontre ! Mais bizarrement, rien n'apparaissait dans l'agenda. Il y avait bien des rendez-vous avant, après, mais ces noms, elle les connaissait, elle était capable de mettre un visage dessus. Alors que cet homme... Il lui était totalement inconnu.
Alors elle abandonna et décrocha le combiné. Au bout de la troisième sonnerie, la voix de son frère se fit entendre dans l'appareil.
« Je ne te dérange pas ? demanda-t-elle, en se passant une main sur le visage.
— Tu sais bien que non », répondit Cash.
Alors le silence s'imposa de lui-même sur leur conversation. Cash le brisa le premier.
« Tout va bien ? » lui demanda-t-il.
Il était si loin, en ce moment. En intervention à l'étranger (il ne lui en avait pas dit plus, étant obligé de garder le secret), cela faisait plusieurs mois que Penelope ne l'avait vu. Parfois, elle maudissait son travail même si elle savait qu'il le rendait heureux.
« Oui, ça va. J'avais juste besoin d'entendre un peu ta voix... fit-elle doucement. Alors, tout se passe bien ?
— Plutôt, oui. On rentre bientôt, répondit-il.
— Oh, mais c'est génial, ça ! Tu seras là pour les fêtes, alors.
— Je pense, dit-il et elle sentit qu'il souriait à l'intonation de sa voix. Maman et Papa vont bien ? »
Penelope entendit alors du bruit provenant du bureau du Premier Ministre. Le doigt entortillé autour du fil de l'appareil, elle fixa son regard sur la poignée de la porte, prête à raccrocher au moindre mouvement.
« Oui, tout le monde va bien, Barton aussi, il... La poignée tourna légèrement. Mince, je dois te laisser. »
Et Penny raccrocha violemment. Lorsque l'inconnu sortit du bureau, la pauvre fille avait l'air d'une voleuse prise la main dans le sac. Elle soupira, soulagée que ce ne fut pas le Premier Ministre qui se trouva en face d'elle. Puis elle croisa le regard du jeune homme et ne sut pas si, finalement, elle était si soulagée.
« Je vous raccompagne, Monsieur ? » dit-elle d'une voix claironnante en quittant son bureau et en venant à sa rencontre.
Maintenant qu'il se tenait debout devant elle, il était encore plus impressionnant. Il la dépassait de plusieurs centimètres et les traits de son visage étaient... Parfaits. Mais elle ne devait pas en perdre son latin pour autant. Elle tenta de rester très professionnelle lorsqu'elle le guida jusqu'à la sortie.

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« C'est la première fois que nous nous croisons ? » demanda-t-il, comme les trois quarts des hommes lorsqu'ils ne savaient pas quoi dire en présence d'une femme.
Penelope pouffa discrètement à la question que lui posa le jeune homme, flattée tout de même de voir qu'il souhaitait engager la conversation avec elle. Alors elle sourit sans répondre tandis qu'elle le menait jusqu'à la sortie. A la porte, ils s'arrêtèrent et se firent face, avant que les joues de Penny ne virent au rouge.
« J'ai l'impression de vous avoir déjà vue quelque part, insista-t-il et cette fois-ci, la jeune femme ne pouffa pas, optant pour une allure beaucoup plus professionnelle.
— Eh bien, votre visage ne me dit rien, Monsieur mais j'ai une assez mauvaise mémoire visuelle vous savez, répondit-elle en omettant de préciser qu'un tel visage, elle ne l'aurait probablement jamais oublié. Peut-être partageons-nous des lieux communs à Londres », ajouta-t-elle en souriant poliment, même si elle doutait qu'un homme politique, ou peu importe ce qu'il était, apprécie les balades dans le parc, les soirées dans les pubs et le restau asiatique du coin de la rue où vivait Penelope.
Cet homme l'intimidait et sa tentative d'approche ne l'aidait pas à rester concentrée. Elle bossait pour le Premier Ministre, peut-être l'homme le plus important du Royaume-Uni avec la Reine, et si elle commençait à avoir des vues sur tous les hommes qui viennent rendre visite à son patron, elle était perdue. Elle tenait à son boulot, elle n'aurait pu rêver meilleur poste dès sa sortie de l'université, sa famille lui avait d'ailleurs bien fait la remarque et elle savait que si elle perdait ce travail, ses parents seraient très déçus d'elle. Comme ils étaient déçus de Barton et de son plan de carrière.
« Ou peut-être me confondez-vous avec quelqu'un d'autre » dit-elle, les yeux rieurs, en rentrant dans le jeu du jeune homme.
Et maintenant qu'elle se trouvait face à lui, elle se fit la remarque qu'il était bien jeune pour traiter avec le Premier Ministre.

« Je vous prie de m'excuser, fit le jeune homme et Penelope rougit de plus belle en remarquant qu'elle venait de le vexer. Je me montre très maladroit. Vous devez avoir raison, et je dois me tromper. Je ne viens pas très souvent... Dans ce coin de Londres. »
Ce qu'elle pouvait être sotte à se mettre à dos les associés de son patron. Il n'y avait qu'elle pour faire ce genre de bourdes. Mais elle n'était qu'une débutante et devoir gérer des situations de ce genre avec des gens puissants était tout nouveau pour elle. Alors lorsque son interlocuteur fut sur le point de prendre congé, la jeune fille posa sa main sur la porte pour la retenir.
« Je termine à dix-neuf heures... » lui dit-elle en lui adressant un sourire timide et plein de sous-entendus.
Dans sa tête, Penelope leva les yeux au ciel, se demandant pourquoi elle avait dit une telle débilité. Son impulsivité, elle la maudissait. Mais en même temps, elle s'en serait probablement voulu de ne pas avoir tenté sa chance. Alors foutue pour foutue...
« Enfin, si ça vous intéresse », ajouta-t-elle malicieusement avant de jeter un coup d'oeil derrière elle à la femme de ménage qui l'observait d'un oeil réprobateur.
Penelope allait sans doute en prendre pour son grade mais en même temps, que pouvait-elle craindre d'une femme de ménage ? Elle se retourna alors vers le jeune homme.
« Alors peut-être à plus tard ? » lui dit-elle dans un sourire en papillonnant des yeux.
Puis elle referma la porte derrière lui et retourna à son bureau, soudainement prise de remords. Avait-elle été trop loin ? Le reverrait-elle seulement ?

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