Keith aurait aimé disparaître sous terre. Non mais, encore plus que d'habitude. Il se sentait de trop, il n'avait rien à faire là et quoiqu'il fasse ça semblait empirer les choses. Il avait envie de pleurer tellement il se sentait inconfortable. Luzia, la douce Luzia, lui avait hurlé quelque chose dans sa langue natale, et c'était probablement le signe qu'elle était hors d'elle. Keith comprenait pourquoi les gens les détestaient, peut-être que c'était parce qu'il leur faisait toujours du mal? Il ferait mieux de disparaître... Il y avait pensé, plusieurs fois, pour ne rien vous cacher. Mais il manquait cruellement de courage et la lame du rasoir ricochait toujours sur la peau de ses poignets. Et maintenant les deux interlocuteurs étaient dans les bras l'un de l'autre, comme s'ils se connaissaient depuis toujours. Peut-être que c'était le cas d'ailleurs. Sûrement. Et Keith était là, les bras ballant, sans savoir quoi faire, à part regarder. Il se sentait voyeur.
C'est alors que Sean sembla se reprendre, et s'adressa à lui directement. Sans attendre sa réponse (et de toute manière il n'était pas en mesure de refuser, et ça, Sean le savait certainement), il s'empara de son petit banjo et lui expliqua toute l'histoire après l'avoir complimenté sur la qualité de l'instrument (qui pourtant était un banjo bon marché; enfin, bon marché ne veut pas forcément dire mauvaise qualité, mais passons). Keith ne put s'empêcher de plaquer ses deux mains sur sa bouche. La bourde. Il ne pouvait pas deviner, évidemment. De toutes les chansons qu'il connaissait, il avait fallu qu'il choisisse celle-là. Quel imbécile. Encore une des choses pour lesquelles il se maudirait jusqu'à la fin des temps. Il s'en voulait d'avoir fait du mal à Sean en ayant réveillé ces souvenirs douloureux, encore trop récents. Il aurait aimé l'aider, de tout son coeur, pour se rattraper. Mais il n'y avait pas grand chose qu'il pouvait faire. Et si lui prêter son banjo suffisait, alors Keith était heureux.
Sean n'était pas un grand virtuose. Mais suffisamment pour comprendre que de façon rudimentaire, un banjo s'utilisait comme une guitare. Et sa version de 'Yesterday', car oui, c'était une reprise très personnelles, arracha à Keith une petite larme. Il ferma les yeux et sourit en écoutant attentivement et avec délectation le Serdaigle et sa jolie voix. C'étaient des notes simples, et la mélodie l'était aussi, mais Sean les maîtrisait suffisamment bien. C'était original. Même s'il s'était promis de ne plus rien dire, Keith ne put s'empêcher de lâcher un compliment en essuyant discrètement sa petite larme.
Bien joué!
C'était simple mais ô combien sincère. Et Keith ne savait pas vraiment quoi dire de plus. Il avait mal, lui aussi, mal de faire du mal. Car visiblement, Luzia semblait tout aussi affectée que Sean par la situation. Quelque part, c'était beau autant de compassion. Peut-être que finalement ce fâcheux évènement leur permettrait de surmonter leur différend et qu'ils redeviendraient à nouveau de bons amis. Keith l'espérait de tout son coeur (pour se racheter une conscience, quelque part). Parce qu'ils semblaient intimement liés...

Depuis combien de temps étaient-ils en face l'un de l'autre ? Luzia n'en avait pas la moindre idée. Elle venait de lui dire qu'elle était désolée et essayait de calmer ses pleurs. Sean finit par détourner le regard mais Luzia le fixait toujours, voulant anticiper ses mouvements - elle ne supporterait pas qu'il se déchaîne une nouvelle fois contre les parois du porche. Il n'en fit rien. Il leva seulement une de ses mains qui vint essuyer une des larmes de Luzia qui perlait à son oeil. La jeune fille en fut tellement surprise qu'elle n'eut aucun mouvement de recul. Elle le laissa faire. Elle se laissa aller à se contact tendre, le premier depuis des lustres.

- Tu n'y es pour rien.

Luzia ressentit alors un grand soulagement. C'était une poignée de mots, mais qui disait tout ce qu'ils ne s'étaient jamais dit depuis leur rupture. Sean finit par s'éloigner d'elle pour se rapprocher de Keith à qui il demanda son instrument. A vrai dire, il l'avait en main avant même qu'il ait l'accord du garçon. ¿ Que va a hacer ? (*) se demandait la jeune fille, que les émotions perdaient. Sean s'assit contre le mur, gratta quelques cordes pour en faire jaillir des sons qui résonnèrent sous le porche. Luzia savait que Sean jouait plus ou moins de la guitare. Mais elle n'avait jamais eu l'occasion de réellement l'entendre ; aussi l'écouta-t-elle attentivement lorsqu'il se mit à chanter. En fait, il expliquait tout à Keith, les notes favorisant les mots. Elle l'écouta, debout, décrire son ancienne petite amie avec une douceur infinie. En quelques mots chantés, il avait esquissé le portrait de la fille avec qui Luzia s'était un peu pris la tête l'été dernier. La mélodie devient plus heurtée lorsqu'il évoqua Black et ses mauvais coups.

Puis, après une légère transition musicale, Sean ferma les yeux, comme s'il oubliait Keith et Luzia, avant d'enchaîner sur une musique que la jeune fille connaissait bien car son frère l'écoutait beaucoup. Elle se surprit à chanter avec Sean, mais uniquement en formant les mots avec sa bouche. C'était tellement triste. Si elle avait mêlé sa voix à celle de Sean, elle aurait tellement chevroté que ça aurait tout gâché. Elle sentait qu'elle tremblait un peu et que le froid n'avait rien à voir avec cela. Elle était tourneboulée par ce qu'elle voyait. La musique, tout autant que la violence dont il avait fait preuve auparavant, montrait la douleur de Sean.
La dernière note rebondit sur le plafond du porche avant de s'éteindre, comme une bougie qui n'aurait plus de souffle. Les trois élèves restèrent un moment en silence. Luzia essuya ses nouvelles larmes avec la manche de sa robe - pleurer commençait à lui prendre sérieusement la tête. C'était Prue et Sean qui venaient de rompre - et non pas elle et Nolan !

- Bien joué ! fit alors Keith.

Il avait raison. C'était un sacré spectacle. Et si Keith, le musicien de Poudlard, le disait, c'était que Sean assurait vraiment. Luzia hocha la tête et sourit faiblement pour montrer qu'elle était de son avis. Mais au fond, la performance de son ex copain l'importait peu. Ce n'était pas ça qui comptait. Et puis, maintenant que Sean était calmé - qu'il semblait avoir repris le dessus sur lui même - elle avait plein de questions qui lui trottaient dans la tête. Elle aurait voulu comprendre pourquoi Prue avait batifolé avec Regulus Black. Que lui trouvait-elle, à ce type ? se rendait-elle compte du mal qu'elle faisait à Sean ? Elle n'osait imaginer l'ambiance dans la salle commune de Serdaigle, et encore moins dans quel état était le groupe de Sean. Comment leurs amis avaient-ils réagi lors de la rupture ?

Mais enfin, c'était du passé. Luzia rangea une mèche de cheveux derrière son oreille, histoire de faire quelque chose avant d'ajouter doucement :

- Crois plutôt en demain, Sean.

C'était ce qu'elle lui souhaitait. Si c'en était fini avec Prue, il fallait tourner la page. Peut-être pas tout de suite, mais il le faudrait tôt ou tard pour pouvoir s'occuper de ce qui allait venir après. Sean était quelqu'un de bien. Il était beau mec, intelligent et doux - même si là, Luzia révisait son jugement. Il trouverait quelqu'un fait pour lui...

Demain...
Et c'était pour cela qu'il fallait y croire.


* Que va-t-il faire ?

Je peux le garder si tu n’en veux plus… C’est comme tu veux hein ?


Il faut que je m’énerve de nouveau contre le mur pour que vous disiez quelque chose ? Fin j’sais pas, vous semblez comme mort là !


Même si j’aimerai bien, je n’ai aucune excuse pour ce que je t’ai fait. Je ne peux pas te demander de m’excuser, je ne le ferai pas. Je ne sais pas comment essayer seulement de me rattraper. Mais j’ai peut-être une idée. Tu risques par contre d’avoir l’impression que je m’occupe de ce qui ne me regarde pas. Il s’arrêta un instant pour reprendre son souffle. J’aimerai t’aider à t’apprendre à te défendre…

Je sais que je t’ai fait peur. Je sais que j’ai dû te traumatiser à moitié. C’était loin d’être mon attention. Enfin si… Jusqu’à ce que je comprenne que tu n’avais rien voulu de tout ça. Seulement, tu ne peux pas t’évanouir comme ça en plein combat ! Le monde n’est pas tout dégoulinant d’amour et de gentillesse ! Je ne sais pas si tu lis les journaux, mais on est loin d’être à une époque de paix. Il faut que tu te reprennes et que tu… relèves la tête !


Enfin après c’est toi qui vois. Je ne sais même pas si je suis si bon instructeur que ça donc bon…

Une atmosphère étrange les enveloppait tous depuis que Sean avait fini de chanter. Luzia ne voyait pas ce qu'elle aurait pu ajouter à ce qu'elle avait déjà dit. Les yeux de scarabée, ce pour quoi elle était dans le parc, lui semblaient loin, à présent. C'était étrange de se retrouver là, à tenir tête à son ex pour défendre Keith avant de consoler Sean. Et puis quel revirement de situation. Sean, qui s'était ouvert la tête en se la cognant contre le mur sous le coup de la rage, venait de chanter une musique des plus mélancoliques. Le sang de sa blessure séchait, à présent, lui donnant un air de bad boy. Luzia aurait voulu pouvoir ouvrir la bouche pour lui conseiller de faire un tour à l'infirmerie pour arranger son front, mais elle n'en n'avait pas la force.
Maintenant que la tension était retombée, elle avait la tête pleine de réflexions et le cœur un peu amer. Pour rien au monde elle ne l'aurait avoué, mais elle était un peu jalouse.

Qu'est-ce qui ne tournait pas rond chez elle ? Enviait-elle Prue pour le portrait que venait de chanter Sean ? Elle ne s'était pas souciée de son ex copain depuis leur rupture - du moins à partir du moment où elle avait commencé à se sentir mieux - alors pourquoi maintenant ?

- Il faut que je m’énerve de nouveau contre le mur pour que vous disiez quelque chose ? demanda Sean en haussant la voix. Fin j’sais pas, vous semblez comme morts là !

Cela suffit pour tirer la jeune fille de ses pensées. Le Serdaigle tendait l'instrument à Keith qui ne semblait pas tellement vouloir le récupérer. Lui aussi était comme abasourdi. Mais Luzia savait qu'il ne se remettrait plus en colère contre Keith - l'orage était passé. Le Poufsouffle n'avait plus peur, mais se tenait quand même à quelques pas de Sean.

- Je sais que je t’ai fait peur. Je sais que j’ai dû te traumatiser à moitié. C’était loin d’être mon attention. Enfin si… Jusqu’à ce que je comprenne que tu n’avais rien voulu de tout ça. Seulement, tu ne peux pas t’évanouir comme ça en plein combat ! Le monde n’est pas tout dégoulinant d’amour et de gentillesse ! Je ne sais pas si tu lis les journaux, mais on est loin d’être à une époque de paix. Il faut que tu te reprennes et que tu… relèves la tête !

Luzia n'en croyait pas : Sean venait de proposer à Keith de lui apprendre à se défendre. Ce dernier le regarda un instant avec étonnement. Le septième année, dès lors, prévint qu'il n'était peut-être pas un bon professeur. Mais là encore, Luzia avait du mal à le croire. Sean était quelqu'un de méticuleux et de déterminé. Quoi qu'il en dise, il saurait tirer quelque chose de Keith. Et ce dernier d'accepter puis de proposer des services à la guitare.

Tout va bien dans le meilleur des mondes possibles. On n'aurait pu avoir de meilleur happy end. Luzia ne put s'empêcher un petit sourire. Ça, c'était quelque chose que les Serpentards ne comprendraient jamais. D'ailleurs, tout cela avait remué le passé de Luzia. Le souvenir de la torture ne lui était pas sorti de la tête depuis qu'elle avait vu Sean plaquer Keith contre le mur. Si tout se terminait relativement bien pour eux, Luzia, elle n'avait toujours pas d'explication quant à ce qui lui était arrivé - ni ne savait qui lui avait voulu du mal. Qui allait lui apprendre à se défendre, elle ?

Sean avait raison : ils n'étaient pas dans un monde de paix. Se terrer et attendre que ça passe n'allait servir à rien. Le club de duel, c'était une bonne idée en soit - c'était d'ailleurs pour apprendre à se défendre qu'elle s'y était inscrite. Mais au final, ses petits sorts de défense ne lui auraient probablement servi à rien face au sortilège de torture qu'on lui avait jeté. Et, dans les duels de règlement de compte, il n'y avait pas un professeur pour surveiller ni l'obligation de saluer l'adversaire avant de jeter le premier sort. C'était triste à dire, mais il n'existait qu'un règle : seuls les plus forts et les plus rusés s'en sortaient. Mais si jamais Sean apprenait vraiment à se défendre à Keith, peut-être pourrait-elle assister aux "leçons". Elle en tirerait forcément quelque chose, même si elle n'était pas un homme. Elle était sportive, et peut-être plus douée pour frapper avec sa batte plutôt que pour jeter un sortilège offensif, mais...

- Je veux être là pour chaque séance, alors, trancha-t-elle fermement. Il est hors de question que je vous laisse tous les deux tous seuls.

Elle épousseta sa robe d'un geste distrait avant d'ajouter à l'adresse de Sean :
- On sait jamais, tu pourrais avoir besoin d'une autre personne...

Elle faisait ainsi d'une pierre deux coups : elle apprendrait elle aussi à se défendre, et serait là pour voir si Sean se remettait de sa rupture avec Prue.

Keith se réveilla. Il aurait aimé dire à Sean qu'il pouvait le lui prêter si il voulait, mais ça sera pour une prochaine fois, pensait-il. Il reprit le petit banjo que Sean lui tendait et le serra contre lui, avant de pincer les cordes en souriant. Il avait l'air tombé de la lune, Keith, dès qu'il était en possession d'un instrument, mais c'est ce qui le rendait spécialement heureux. Rien d'autre ne lui procurait autant de bonheur sur terre, pas même la magie (ce qui pourtant était essentiel pour un sorcier). Pour lui, la musique était sa magie.
C'était une historie qui se finissait bien, trop bien même. Revirement de situation digne d'un deus ex machina. Mais bon, il n'allait pas se plaindre, il avait l'impression de s'être fait apprécier du Serdaigle. Enfin plus ou moins. En tout cas c'était assez bon, ce qui se dégageait. Et Luzia voulait être de la partie: encore plus positif. C'était presque trop beau. Ça promettait tout ça, ça promettait.

Par contre, ce serait mieux si je connaissais ton prénom, histoire de pouvoir te retrouver et pouvoir prévoir un moment pour commencer. Mais ne le donne pas à ceux qui te veulent du mal!

Keith répondit simplement, dans un souffle, presque un murmure:

Burdon. Keith Burdon.

HJ:

Spoiler:

Sean la regarda d'un air étonné et Luzia sut de suite que c'était rapé, qu'elle n'assisterait pas aux cours de défense de Keith, qu'elle n'apprendrait pas elle même à se défendre. Cela ne l'étonnait pas : il suffisait de voir comment Sean et elle étaient particulièrement mal à l'aise quand ils se trouvaient face à face - le passé revenait les hanter et il était impossible de faire comme si de rien n'était.

Elle essaya de conserver une expression neutre et de ne pas laisser paraître sa déception.

- Ce que je veux dire c’est qu’il ne risque pas de savoir se défendre si tu es derrière pour le protéger sans arrêt !

- C'est vrai, céda-t-elle en tentant de sourire. Ça vaut mieux.

Elle regarda furtivement Keith, ce garçon peu épais et un peu échevelé et se rendit à la raison de Sean. C'était lui qui avait besoin de cours de défense en priorité, il était une proie bien plus facile qu'elle - ce qui n'était pas peu dire !

- Mais tu pourras toujours venir de temps en temps bien sûr ! On ne refuserait pas un coup de main, hein ?

Elle leva les yeux au ciel. Sean, toujours, ne pouvait s'empêcher d'atténuer chacune de ses paroles. Il avait toujours quelque chose à suggérer pour faire passer ce qui déplaisait. Sur ce point, il n'avait pas changé....

- Non, assura-t-elle alors en secouant la tête, tu as raison. Et puis, tu sauras très bien faire tout seul, je n'en doute pas.

Luzia se promit alors de demander régulièrement à Keith des nouvelles de leurs cours, de ses progrès. Mieux valait ne pas recommencer à voir Sean, il fallait que la page de leur histoire reste tournée et ne pas risquer de se noyer dans le passé. Elle se dirigea vers son sac, posé un peu plus loin au sol, tandis que Sean insistait pour que Keith, visiblement situé dans un autre espace-temps, récupère son instrument. Il finit par le faire, regardant Sean d'un air admiratif qui fit sourire Luzia. Entre Sean et Dowey, Keith avait trouvé ses mentors - et pas des moindres.

- Par contre, ajoutait le Serdaigle, ce serait mieux si je connaissais ton prénom, histoire de pouvoir te retrouver et pouvoir prévoir un moment pour commencer. Mais ne le donne pas à ceux qui te veulent du mal!

- Burdon. Keith Burdon.

La façon dont le garçon dit son prénom fit rire Luzia. Il était adorable, Keith, avec sa bouille de p'tit gars paumée, innocente et un peu allumée.

- Entonces, fit-elle en hissant son sac sur son épaule, je vous laisse. J'étais venue pour autre chose à la base et... Le devoir m'appelle.

Elle s'éloigna de quelques pas, jetant un coup d’œil à la pluie qui tombait autour d'eux avant d'ajouter :

- Salut Sean ; on se voit ce soir à l'entraînement, Burdon !

Puis, prenant son courage à deux mains, elle s'élança sur la pelouse humide, droit vers la souche qui devait contenir le nid de scarabées dont elle avait besoin.