Cette étrange fin de soirée me laissa sur les rotules, et après un passage par la salle de bain, où je tentais sans succès de me noyer sous une longue douche brûlante, j'allais me coucher en tentant de me persuader que la demande presque candide de Goldsmith au sujet de ma défunte sœur ne m'avait en rien affectée. Je ne trouvais le sommeil qu'après avoir longtemps tourné et retourné entre mes draps, et je n'en profitais que quatre petites heures avant de me réveiller aux aurores - j'étais de ceux qui estiment que dormir est une perte de temps, et de toute façon je n'avais naturellement pas besoin de beaucoup de sommeil pour être alerte.

Les boucles en désordre, vêtue d'un tee-shirt trop grand à l'effigie des Rolling Stones, je traversais mon appartement surchauffé en bâillant, et allais à la cuisine mettre en marche la cafetière tout en inspectant distraitement le chaudron qui mijotait sur ma gazinière - j'avais toujours un chaudron de polynectar en cours de préparation sur le feu. Vu le temps que cette potion demandait pour sa préparation, et l'usage intensif que j'en faisais en ce moment, il valait mieux que j'en prévoie à l'avance... là, j'en étais à une nouvelle phase de mijotage, et d'ici quelques jours je devrais la remuer dans un sens et un ordre précis, et cette fournée là serait prête, et je n'aurais plus qu'à mettre la suivante en route.

Presque tout mon salaire passait en ingrédients plus ou moins rares, car une de mes passion était la préparation de potions longues et complexes, et j'en conservais ensuite les fioles pour des usages futurs. Celles-ci s'entassaient dans le buffet de ma cuisine, dans un ordre et un classement strict entre les poisons, les antidotes, et les autres potions à usages divers et variés. Bâillant à nouveau, je me servit une grande tasse du plus mauvais café du monde - curieusement, j'avais toujours excellé dans la préparation des potions... mais alors la cuisine... même le café, je n'arrivais pas à le faire correctement, c'était pathétique. C'était Sylvia, la ménagère modèle... moi... eh bien moi, je fais quand même la poussière plus souvent que Goldsmith. C'était étrange de songer qu'à présent, ce type n'était plus un simple visage dans une mer d'employés - je me le figurais à nouveau, comme sculpté dans son vieux fauteuil de cuir, et je secouais la tête, manquant me renverser mon café dessus - oublie... de toute façon, le seul lien qu'il y avait entre lui est moi est mort, et maintenant qu'il le sait, il n'a pas besoin de moi pour apprendre les détails - c'était sans doute la première et dernière fois qu'on s'adressait la parole.

Fort de ce fait, je sirotais mon café en somnolant devant la radio, puis j'allais me préparer pour aller au Ministère, passant tout d'abord des vêtements moldus que je recouvrais d'une longue robe de sorcier bleu-marine, dont le tissus fin et fluide me protégeait d'un excès de surépaisseur. Mine de rien, les vêtements moldus étaient bien plus pratiques que ceux des sorciers... enfin, quand on en connait les codes. Rassemblant proprement les dossiers épars sur le bureau de ma chambre, je les rangeais dans mon sac, et l'heure étant venue, je pris le chemin du Ministère - je serais comme toujours une des premières arrivées du matin.

Quatre jours parfaitement normaux s'écoulèrent ainsi - le matin, j’abattais des dossiers au Ministère, l'après-midi, je devenais Iris Dewitt et j'allais fureter du côté des Mangemorts, avant de rentrer tard chez moi pour dormir un peu, et rebelote. Mais au matin du quatrième jour, alors que j'examinais le dossier d'un nouveau potentiel Mangemort... un flap flap désagréable vint bourdonner autour de ma tête, et je relevais les yeux à contre-cœur pour observer d'un œil irrité la missive, qui voletait autour de moi comme un oiseau arthritique. Agacée d'être dérangée dans mon travail, mais aussi un peu surprise, je l'attrapais et la dépliais. Baissant les yeux sur le texte, je n'en reconnu pas l'élégante calligraphie, et la lut donc distraitement sans trop comprendre de qui elle pouvait venir... jusqu'aux lignes suivantes. Goldsmith... Orpheus. Bon sang, pas étonnant que je n'ai pas pu me rappeler son prénom... je n'aurais jamais trouvé toute seule. D'autant plus surprise à présent que je connaissais l'identité de l'expéditeur, je relu la missive avec plus d'attention - bon... essayons de faire vite et bien.

"Mr Goldsmith,

Je vous en prie, vous ne pouviez pas savoir. N'ayant moi-même pas fait preuve de la plus grande délicatesse, on peut considérer que nous sommes quittes. Oui, en effet - si vous désirez vous rendre sur sa tombe, elle se situe au City of London Cemetery.

En vous remerciant encore de votre sollicitude,
Penelope."

Et gratifiant mon pliage d'un vigoureux coup de baguette, il fusa comme une flèche vers les ascenseur, sous mon regard pensif - je ne l'avais pas vue venir, celle là...

Le nez en l'air, le menton posé dans la main, je n'avais pas bougé depuis que ma missive était partie en direction du niveau 5 - moi qui pensait qu'il allait m'oublier sitôt franchi le seuil de sa porte... c'était plutôt... inattendu. Malgré le lien qui l'unissait à Sylvia, je n'avais jamais particulièrement cherché à le connaître, et la réciproque était vraie - d'ailleurs, je n'avais jamais cherché à me lier avec aucun des nombreux amis de ma jeune sœur... je savais simplement qu'elle était très appréciée, comme de bien entendu, et je veillais dans l'ombre, prête à remonter les bretelles de quiconque abuserait d'elle et de sa gentillesse de quelque manière que ce soit. Lui avait toujours fait partie de ma liste de suspects - déformation professionnelle avant l'heure... - mais au final, il avait été l'un des rares à réellement respecter la nature un peu naïve de Sylvia, et ne lui avait jamais fait le moindre mal.

Pourtant, je me rappelais comme j'avais pu le détester à la seconde même où Sylvia avait pris place près de lui, en ce jour tragique de la Répartition - le Choixpeau avait décidé de l'envoyer chez les Poufsouffles, et non à Serdaigle, avec moi... et non contente d'être loin de moi, elle se liait en plus avec un cinquième année, un garçon, un pervers qui se jouerait d'elle pour le meilleur et pour le pire, avant de la laisser toute seule. Et je n'aurais pu la protéger, du haut de ma tour, si loin de sa salle commune à elle... en revanche, je brûlais de vengeance avant même qu'il n'ait esquissé le moindre faux-pas, et au final... je n'avais jamais eu l'occasion de lui jouer un sale tour. Pourtant, le moins qu'on puisse dire, c'était que ça m'avait démangée...

Sursautant alors que de brusques éclats de rire retentissaient dans le box voisin, je secouais la tête pour redescendre sur terre, et me levais pour voir un peu ce qui suscitait ainsi l'hilarité générale - me penchant par-dessus le panneau de séparation des boxes, on me fit passer de bon coeur un article burlesque à l'attention du comité des inventions d'excuses à l'usage des Moldus, et j'esquissais un sourire en le parcourant, avant de rendre le journal pour retourner à mes dossiers de suspects. Il en arrivait de nouveau tous les jours, c'était la folie... à ce rythme là, la moitié de Londres serait suspecté Mangemort avant la fin de l'année. Saisissant ma plume, j'allais me remettre à l'ouvrage, songeant qu'une petite sortie me ferait pas de mal, quand une nouvelle missive vint tournoyer autour de ma tête - eh ben, c'est du rapide.

Loupant mon premier essais, je l'attrapais rageusement au vol, agacée de ma maladresse, et la dépliais pour parcourir rapidement la réponse... qui me laissa quelque peu dubitative. Pour la peine, je m'y attendais encore moins à celle là... et je ne savais trop quoi répondre. En toute honnêteté, je n'avais aucune envie de le mener à la tombe de ma sœur - c'était... trop intime, trop privé pour moi pour supporter une présence à ce moment là... et puis... à dire vrai, je ne le connaissais pas vraiment non plus. Même si ce n'avait pas été pour se rendre sur la tombe de ma sœur, je ne sais pas si j'aurais accepté une quelconque forme de rendez-vous - car c'était bien ce que c'était - avec lui. Et en même temps, je ne voulais pas me montrer grossière... et le City of London Cemetery est grand - il pourrait aussi bien déambuler pendant plusieurs heures sans passer devant la tombe de Sylvia.

Soupirant longuement, je passais une main dans mes boucles pour les rejeter en arrière, indécise - je lui en dois une en plus, sans lui je restais inconsciente dans ma ruelle, dans une tenue indécente, dans la nuit, le froid... raaaaaaah fait chier.

"Orpheus donc,

Je suis disponible samedi après-midi, ou dimanche, dans l'après-midi également. Dans la semaine, il fait nuit trop tôt, et je débauche trop tard pour qu'une visite en vaille la peine. Ces jours vous conviennent-il ?

Penelope."

Accompagnant la missive d'un regard désespéré jusqu'à ce qu'elle soit hors de vue, je me mordillais la lèvre, en proie à un regret intense - je n'aurais jamais, jamais, JAMAIS dû envoyer cette satané lettre. Dès l'instant où j'avais couché les mots sur le papier violet, dans un excès lyrique (et ridicule) de gratitude, j'avais su que c'était une mauvaise idée... jamais je ne supporterais de guider un parfait inconnu jusqu'à la sépulture de ma sœur. Ni maintenant, ni jamais. Et je venais pourtant de lui proposer de l'accompagner, comme si de rien était, comme si ce n'était pas sur le corps en décomposition de ma sœur que nous allions nous recueillir.

Lorsqu'elle était morte et que Sainte Mangouste m'avait rendu son corps, je n'avais pas su quoi faire - au final, je n'avais pu me résoudre à faire brûler son corps, alors qu'elle semblait encore si vivante, comme endormie sous son linceul blanc, une ombre de sourire sur les lèvres, ses boucles caramels étendues en un halo d'or autour de son visage. Un visage si jeune... et pourtant, aujourd'hui, je le regrettais - imaginer sa chair se flétrir, son teint s'assombrir, ses beaux yeux verts se ratatiner dans leurs orbites comme des raisins secs jusqu'à tomber en poussière... c'était le genre de cauchemar qui rythmait mes nuits lorsque je dormais trop. Au final, j'étais plus efficace dans mon travail en baignant dans une fatigue constante - la bonne fatigue d'un travail bien fait - qu'en était parfaitement reposée. Parce qu'à ce moment là, mon esprit pouvait se scinder sans mal, et alors qu'une tache accaparait une partie de mon attention, l'autre partie pouvait penser à tant de choses auxquelles je préférais éviter de penser...

Comme maintenant, en fait. Ce soir c'est décidé, nuit blanche, je vais aller faire un tour dans les quartiers chauds, voir si personne n'a rien d'intéressant à me raconter. Les Sorciers sous-estiment beaucoup trop le sens pratique des Moldus... en particuliers quand ceux-ci vivent dans la rue, et ne se laissent pas impressionner par quelques éclairs et un nuage de fumée. Ils entendent et voient des choses qu'ils ne comprennent pas... mais, racontées à la bonne personne, ces choses pouvaient prendre un sens significatif, parfois même décisif. J'étais adepte de cette méthode, car elle avait déjà porté ses fruits, notamment en ce qui concerne les déplacements des Mangemorts dans la ville.

Les battements d'ailes caractéristiques de la missive de retour interrompirent mes divagations, et j'attendis qu'elle me frôle pour être sûre de l'attraper du premier coup - bon... samedi donc... J'en avais déjà la boule au ventre, et c'est les lèvres pincées que je répondis à contre-cœur :

"Très bien, j'y serais.

A samedi,
Penelope."

Relevant les yeux toutes les minutes, j'espérais un revirement de situation inopiné mais fort bienvenu, où il m'enverrait une réponse pour finalement décommander samedi pour un mauvais prétexte ou un autre - à vrai dire, je me fichais complètement qu'il puisse avoir d'autres choses à faire... tant que ça pouvait interférer avec ce maudit rendez-vous. Mais qu'est-ce qui m'était passé par la tête ??! Distraite, je feuilletais sans le voir un dossier de suspect - tient, j'ai vu sa tête l'autre jour, c'est bien un Mangemort - attendant une missive qui ne revint pas. Finalement, au bout d'une heure, excédée, je me levais en soupirant, rejetant en arrière mes lourdes boucles brunes, et parti me dégourdir les jambes dans les couloirs, ma robe de sorcière bleu-nuit voletant autour de moi, dissimulant les vêtements Moldus que je portais au-dessous.

Un instant, je pensais me rendre au cinquième étage et annuler en live avec Orpheus - puis une fois devant les ascenseurs, je n'en eu pas le courage, et retournais finalement à mon box, résignée. Je me libérais dès le début d'après midi - faisant acte de présence quelques heures auprès des Mangemorts, je rentrais chez moi en fin de soirée, achever mon chaudron de polynectar pour mieux en démarrer un nouveau, et une fois que la potion fut à un stade où il ne restait plus qu'à laisser faire la course de la lune, je me changeais et quittais mon appartement pour m'enfoncer dans de froides et sombres ruelles londoniennes. Mon déguisement était tout sauf flatteur - pas besoin de gaspiller du polynectar avec les Moldus, quelques sortilèges avaient suffit à décolorer mes cheveux au blond platine, à éclaircir ma peau, et ma minijupe et mes bas résilles achevaient de me métamorphoser en une prostituée des bas-fonds.

Je n'appris cependant pas grand chose, cette nuit là - malchance ou mauvais présage, je regagnais mon appartement aux premières lueurs de l'aube, gelée et complètement crevée. Je ne pris que le temps de me démaquiller sommairement, avant de m'effondrer sur mon lit, en boule au creux des draps - j'affectionnais l'odeur du patchouli mêlé à la cannelle, et la fragrance familière des l'huiles essentielles dont je déposais des gouttes un peu partout dans ma chambre m’apaisa. Et pourtant, juste avant de m'endormir, je ne pu m'empêcher de ressentir un pincement au cœur en me figurant Orpheus, qui dans quelques heures se retrouverait seul devant le cimetière...

"Lâche..." me souffla une désagréable petite voix dans ma tête, juste avant que je ne sombre définitivement dans le sommeil.

Je me réveillais finalement 5 heures plus tard... et il était à peine midi. Horreur, j'allais avoir la joie de regarder défiler les heures, de me figurer Orpheus planté devant les grilles à m'attendre - je me demandais combien de temps il resterait ainsi dans le froid, avant de comprendre que je ne viendrais pas. Assez vite, je l'espérais... Dépitée, je me traînais jusqu'à ma salle de bain, et laissant tomber mes vêtements au sol je me noyais sous une douche bien chaude, qui acheva de rincer mes restes de maquillage. M'habillant simplement d'un jean et d'un pull à rayures, je séchais mes cheveux et me maquillais discrètement comme j'en avais l'habitude, avant d'aller dans ma cuisine me servir une tasse de café et surveiller mon polynectar. Malgré l'aspect peu ragoûtant de la potion, j'avalais quelques cookies - j'étais depuis longtemps immunisée aux odeurs nauséabondes et aux textures les plus douteuses.

Et il n'était même pas une heure... soupirant, j'allumais la radio, mis un moment à trouver une station qui diffusait un bon rock, et avalais la fin de mon café froid en jetant un énième coup d’œil à la pendule - pff... je pouvais pas rester là. Enfilant mon long manteau noir Moldu, j'enroulais une écharpe rouge autour de mon coup, enfonçais mon bonnet sur ma tête, et quittais mon appartement pour me mêler à la foule insouciante des Moldus qui badinaient dans les rues. L'ambiance était à la fête en cette fin novembre - les rues étaient décorées de guirlandes lumineuses, toutes les vitrines affichaient les couleurs de Noël, et la foule de gens pressés était armée de lourds sacs contenant de volumineux paquets cadeaux.

Sylvia avait été tué début décembre - son mois préféré. Merry Christmas... moi aussi, j'avais toujours aimé Noël. On faisait le réveillon toutes les deux, on rigolait, on guettait minuit, on s'offrait nos cadeaux - le plus souvent, on dormait ensemble, et au matin, la première levée réveillait l'autre, et on ouvrait nos cadeaux avec de grands yeux émerveillés comme deux gamines. Et après, en fin de matinée, elle partait chez nos parents pour rejoindre la fête de famille - chaque fois, elle tentait de me convaincre de l'accompagner - chaque fois, je refusais en souriant, sachant pertinemment que je n'avais pas ma place au milieu de ces gens là. Mais après son départ, les restes de papiers cadeaux, les draps froissés des deux côtés du lit, les reliefs du repas de la veille préparé par ses soins... tout cela égayait mon appartement, et c'était le cœur léger que je faisais un peu de ménage, avant de passer la journée au chaud, à tester des potions, le sourire aux lèvres.

Est-ce que je décorerais l'appartement cette année aussi ?... A quoi bon... je pourrais me donner tout le mal que je voudrais, personne ne le verrait plus de toute façon. Alors à quoi bon... Les mains enfoncées dans les poches de mon manteau, je me promenais ainsi dans Londres au gré du hasard, bénissant la ville d'être assez grande pour m'éviter d'avoir à m'approcher du cimetière à moins de plusieurs kilomètres. Mes pas me portèrent finalement jusqu'au grand marché de Noël de Hyde Park - hésitant une seconde à l'entrée... je me laissais finalement entraîner par le flot des passants, et commençait à errer sans but entre les baraques en bois couvertes de fausse neige - j'aimais bien la neige... j'espérais qu'elle tomberait vite cette année.

Je restais dehors jusqu'à ce que la nuit tombe, puis je descendis dans une bouche de métro pour rentrer chez moi. Mais malgré moi, je descendis avant mon arrêt, pris plusieurs changements... et me retrouvais finalement devant les grilles du cimetière fermé pour la nuit. D'un coup de baguette, je déverrouillais le cadenas, et me faufilais discrètement dans le cimetière désert. Marchant d'un pas vif, je connaissais le trajet par cœur, et il ne me fallut que quelques minutes pour arriver à la tombe de Sylvia. Soufflant un "lumos", je couvris de ma main l'éclat de ma baguette, avant de la pointer sur la tombe. Un petit pot de violettes avait été déposé là, soigneusement enroulé dans une écharpe aux couleurs des Poufsouffles. Je ne m'attendais pas à trouver un présent aussi... personnel, et je détournais le regard, les larmes aux yeux. Ainsi, il savait que ses fleurs préférées étaient les violettes...

Mon regard dévia sur la tombe voisine - celle de mes parents. L'avait-il vue ?... La tombe, plus neuve encore que celle de Sylvia, était couverte de fleurs et bien entretenue, mais ce n'était pas mon oeuvre - sans doute celle d'une de mes tantes... Me penchant légèrement, je caressais du bout des doigts le marbre givré de la tombe de ma sœur. Sur la pierre tombale, ni épitaphe, ni citation d'aucune sorte - simplement son nom, la date de sa naissance, et celle de sa mort. Lorsqu'était venu le moment de graver quelque chose dans le marbre, je n'avais pas su trouver les mots... j'avais tant de phrases qui me venaient à l'esprit, et aucune ne semblait à la hauteur... alors, rien. Et maintenant, ma sœur croupissait sous terre, sous une plaque de pierre froide, en compagnie de son nom et de quelques violettes. J'avais absolument tout fait de travers...

- Je suis désolée... Sylvia...

Je ne supportais plus mon reflet dans un miroir. Bon, ok fallait bien que je me maquille le matin, que je me démaquille le soir, et il y avait de toute façon non seulement le miroir de ma salle de bain, mais en plus le psyché de ma chambre que je ne pouvais fuir. J'allais pas non plus me mettre à briser tous les miroirs de mon appart' juste pour plus voir ma tête... quoi que, c'était plutôt tentant en fait. Après avoir passé mon dimanche avec les Mangemorts, perspective des plus agaçantes pour eux, j'avais accueilli avec soulagement le retour d'une semaine de travail harassant au Ministère... jusqu'à calculer, une fois arrivée dans l'Atrium, que c'était l'endroit où j'avais le plus de chance de recroiser Goldsmith - pour ne pas dire le seul endroit sans doute que nous fréquentions en commun.

J'avais tellement honte de mon comportement que j'envisageais une seconde de faire demi-tour et de plus jamais ressortir de chez moi - ça ne me ressemblait pas, d'agir avec une telle... lâcheté. Je ne comprenais pas ce qui m'avait pris... pourquoi je n'avais pas tout simplement refusé. Et la question me torturait, encore plus maintenant que ce samedi fatidique...

Finalement, faisant bonne figure, je repris mon travail comme si de rien était, retenant pourtant ma respiration à chaque fois que je devais prendre l’ascenseur, ou m'aventurer trop près des bureaux de la Confédération. C'était ridicule, et je savais que j'aurais mieux fait d'aller présenter mes excuses au sorcier pour mon comportement déplorable... mais je n'étais pas certaine qu'il les accepterait de toute façon alors... oui je sais, bien piètre excuse, on fait avec ce qu'on a. En attendant, je me retrouvais à baisser la tête dans les couloirs, dissimulant de mon mieux mon visage derrière mes boucles brunes - comme si ça pouvait servir à quelque chose de toute façon... enfin bref.

Quelques jours s'écoulèrent ainsi sans heurt d'aucune sorte - finalement, je commençais à croire que je ne recroiserais pas Orpheus de si tôt, et je ne savais trop si cette idée me désolait ou me soulageait - sans doute un peu des deux à la fois, en fait. Soulageait, parce qu'ainsi je n'aurais pas à présenter d'excuses, ni à plus jamais avoir à faire à lui - désolait, à cause de l'image déplorable qu'il se faisait sans doute de moi, et qui n'aurait pas dû m'affecter autant. Pensait-il que ma jeune sœur avait été aussi adorable que j'étais détestable ?... Sans doute, et curieusement, cette idée me tourmentait.

Mais tout cela n'empiétait en rien sur mes qualités de sorcière, ni sur mon travail - alors, un soir, j'enfilais à nouveau ma "tenue de combat" pour partir à la chasse au Mangemort. Blouson de cuir, mini jupe en jean, décolleté plongeant, cuissardes et bas-résilles, je ne pouvais pas faire pire - un coup de baguette me décolora en blonde platine, et un maquillage outrancier paracheva le tout. Des Moldus avaient repéré des activités nocturnes régulières dans certains coins mal famés - des "accidents" se produisaient régulièrement dans cette zone, et les trois derniers avaient été mortels pour les victimes - il n'en fallait pas plus pour comprendre ce qui se passait réellement du côté de ces entrepôts. D'autres Aurors me retrouveraient sur place, chacun sous couverture, et nous espérions bien attraper les responsables de cette débâcle - ça serait pour le moins une nuit relativement... mouvementée.

Attrapant mon sac, ma baguette glissée dans la ceinture de ma jupe, je quittais mon appartement, et transplanais directement à un point précis, où je savais que je pourrais facilement me poster sans attirer l'attention malgré mon accoutrement. Mes talons claquèrent sur les pavés londoniens lorsque j'accélérais le pas pour traverser la rue où je venais d'arriver - quelques rues plus bas, je savais que le quartier se dégradait sérieusement, et que je pourrais facilement me greffer à un groupe de prostituées gloussantes qui me serviraient de couverture le temps que tout commence. Les dés étaient jetés... mais en passant devant une ruelle qui me sembla familière, je tournais machinalement la tête, croyant voir un mouvement dans l'ombre - oh... cette ruelle.

C'était la ruelle où j'avais "rencontré" Orpheus, celle qui était proche de chez lui, pour autant que j'avais pu en juger en étant inconsciente. Et, juste sur le point de tourner à l'angle, une grande silhouette sombre traversa un rais de lumière jaune, son manteau flottant derrière lui, un chapeau melon posé légèrement de biais sur son crâne...

- Goldsm... Orpheus !! appelais-je dans une impulsion soudaine, sentant mon cœur faire un bond étrange dans ma poitrine alors que je me précipitais à la poursuite du sorcier. Orpheus !!!

Y parait que le hasard fait bien les choses - je trouve cet adage relativement discutable la plupart du temps, mais pour une fois, il me servait bien. Traversant la rue à toute allure, ma démarche ralentie par la hauteur de mes talons, j'appelais le sorcier sans me soucier de mon manque total de discrétion - je ne savais trop en quel honneur, mais je me retrouvais subitement avec la possibilité d'amender mon comportement, et je n'étais pas assez stupide pour la laisser simplement passer. J'aurais pu, pourtant - ainsi nos chemins se seraient définitivement séparés, sa rancœur se serait probablement muée en indifférence, il en aurait été de même pour ma culpabilité, point final. Et pourtant, sous le coup d'une impulsion que je classais sur le compte de ma soif naturelle de justice, je me précipitais sur les talons de cet homme dont je n'étais même pas certaine à 100% qu'il s'agisse d'Orpheus.

J'eu un instant de doute en voyant qu'il ne réagissait pas... mais lorsqu'il accéléra brusquement, je n'eu plus aucun doute - c'était les mêmes fluides enjambées que la première fois où il avait tenté de me fuir... et comme pour la dernière fois, je n'avais pas du tout l'intention de le laisser s'en tirer comme ça. Mais alors que je m'attendais à devoir lui courir après pour l'arrêter de force, comme la dernière fois, il fit brusquement volte-face à mon second appel, et planta son regard noirci de colère dans le mien. Surprise, pour un peu je lui serais presque rentré dedans, mais lorsqu'il se retourna je me figeais net, avant de reculer machinalement d'un pas. Ah ouais, à ce point ?...

Je me demandais - un peu tard je l'avoue - si c'était vraiment une bonne idée... quand son regard changea de nature, ce qui me donna une petite idée de la réponse. Ça m'apprendra à réfléchir avant d'agir... Ce fut presque douloureusement que je pris enfin conscience de l'indécence de ma tenue, et de l'image que je devais offrir à cet instant - gé-nial. Salut, moi c'est Penelope, la garce hypocrite pute à ses heures perdues.

- Je... je travaille, marmonnais-je en croisant les bras tout en détournant le regard, dans une tentative plus que pitoyable pour me justifier.

Et oooooh putain de merde, par tous les crottins d’hippogriffe de cette foutue planète, par toutes les bouses de dragon du monde, ne me dites pas que je viens VRAIMENT de dire ça. Ok stop au massacre, dit ce que t'as à dire et casse-toi, VITE. Parfois, il arrive que je me donne de très bons conseils.

- ... Je... je voulais juste m'excuser pour la dernière fois, débitais-je alors à toute vitesse, me sentant affreusement ridicule et horriblement petite face à lui.

Allez, c'est comme le sparadrap : on respire bien et on tire d'un coup sec.

- Pour le cimetière. Le rendez-vous. Je suis pas venue. C'est juste que... juste... je pouvais pas, soupirais-je en serrant les poings. Je n'ai pas d'excuse. Mais je m'excuse quand même. Je m'excuse, rajoutais-je pour être sûre qu'il ait bien compris le but de mon charabia, vu que je n'étais pas certaine d'avoir tout bien compris moi-même.