Une ombre se dessine derrière la vitre de Barjow et Beurk. La mienne, en l'occurrence. Il était 23h, et j'achevais ma journée de travail au cabinet du vétomage. Le Dr Bawden était parti depuis une heure, me laissant le soin, dans toute la confiance qu'il me vouait, de fermer boutique comme on dit. Le doc, je l'aimais bien, il m'aidait bien aussi. Alors faire ce que je faisais me filait du remord. Mais je m'étais engagé, je ne pouvais plus faire machine arrière. Une fine pluie tombait depuis un moment, m'obligeant à remonter le col de mon blouson en cuir contre ma nuque ; je détestais la pluie. Planté devant l'échoppe, je frappais trois coups secs contre le carreau de la porte derrière laquelle je discernais encore de la lumière, et la poussais, pour découvrir que contrairement à ce qu'indiquait le panneau, elle n'était pas complètement close. J'entrais et trouvais Faye Hamilton au milieu de la pièce, cape sur le dos, prête à partir, l'air agacé. De me voir à cette heure-ci, peut-être ?
« ▬ Livraison spéciale... » dis-je d'un air goguenard en guise d'introduction. J'ouvrais mon blouson et en sortit de la poche intérieure deux petites fioles aux liquides d'une couleur douteuse.

Non sans déconner, elle était sérieuse là ? La gamine m'arracha presque des mains les fioles avant que je n'ai le temps de réaliser (c'était dire, vu mes sens sur-développés !) ce qu'il se passait, se plaignait, et me fichait presque à la porte maintenant. Quel culot ! Autant dire qu'elle avait le sens de la gratitude... Les sourcils froncés, je m'avançais à mon tour jusqu'à la porte où elle se trouvait, d'une démarche menaçante. Parvenu à sa hauteur, je retrouvais enfin l'usage de la parole.
« ▬ C'est tout ? Tu te fiche de moi j'espère, Miss Beurk » dis-je en grondant. « Je te rappelle que mon job, j'y tiens, moi. Tu sais ce que ça me coûte de chourer dans la réserve du Doc ? S'il s'en aperçoit, j'suis grillé. Et tu pourras dire adieu à tes fioles. Et là oui, " ce sera tout " » ajoutais-je d'une vois sourde. Retournant au centre de la pièce, j'enfonçais mes mains dans les poches de mon blousons en cuir détrempé, et regardais autour de moi, bien décidé à ne pas me laisser foutre à la porte aussi facilement. « J'en profite pour te rappeler que si tes services ne sont pas gratuits, les miens non plus » déclarais-je finalement, en tripotant du bout des doigts un objet étrange et à la forme alambiquée dont je n'osais imaginer la fonction, avant de lui lancer un long regard appuyé. J'espère qu'elle comptait pas m'arnaquer avec sa petite gueule d'angelot innocent, parce que c'était mal barré pour elle.

Toujours occupé à regarder le drôle d'objet que j'avais sous les yeux, j'entendais la voix fluette de Faye, dans mon dos, me mettre en garde contre la chose en question. Sans même me retourner, je l'effleurais du doigt, pas apeuré pour deux sous, lorsque le truc se referma brusquement en même temps que la jeune femme achevait sa phrase. Je ne devais mon doigt, et ma main par extension, qu'à mes sens développés de loup qui m'avaient fait retirer le tout avant de perdre quelques phalanges.
« ▬ Je vois... » dis-je entre mes dents serrées, reportant enfin mon attention vers une Hamilton passablement agacée et pressée de partir. Le genre d'air qui me donnait exactement l'envie de m'attarder. Les mains dans les poches toujours, j'écartais les bras et haussais les épaules ; « Tu sais très bien ce que je veux », lui répondis-je, et m'approchant un peu je dis en baissant le ton, « Les murs ont des oreilles ici, quelqu'un m'a dit, alors... Surprend-moi ! » ajoutais-je avec un grand sourire.