Quand j'ai entendu le mot « binôme » sortir de la bouche du Professeur Binns, j'ai levé les yeux dans sa direction, mâchoire crispée, sourcils froncés, désireux de savoir ce qui ne tournait pas rond dans sa cervelle de décédé. J'ai toujours eu les travaux collectifs en horreur, préférant faire mes preuves moi-même plutôt que d'avoir à supporter la présence de quelqu'un d'autre.
Il a associé mon nom à celui d'une Serdaigle, Mona Howard et je n'ai pas pris la peine de me retourner vers elle. Je savais qui elle était, de vue, je ne lui avais jamais adressé la parole. C'était ça aussi, le vice des Professeurs : vous mettre en binôme avec des gens que vous n'aimez pas ou comme là en l’occurrence, avec des gens que vous ne côtoyez pas. A croire qu'ils aiment ça et s'en amusent le soir dans la salle des Professeurs.
A la fin du cours, j'ai pris mon sac, que j'avais déjà rangé pour quitter la salle plus rapidement, et je suis sorti sans attendre personne. J'ai entendu des pas précipités derrière moi, je ne me suis pas retourné, priant dans mon crâne pour que ça ne soit pas pour moi. Mais pas de chance, c'était pour moi.
Mona s'est planté devant moi, sans dire un mot, les yeux rivés dans les miens, comme tétanisée. Les mains dans les poches de mon manteau, je l'ai fixé moi aussi, j'ai attendu qu'elle dise quelque chose, je sais pas, n'importe quoi. Au bout d'un moment, elle a fait :
« On se voit samedi à 14h à la bibliothèque pour préparer ça ? »
Je n'ai pas répondu, j'en n'ai pas eu le temps. Et si je l'avais eu, j'aurai probablement sorti quelque chose du genre « C'est pas la peine, je me débrouillerai, j'inscrirai ton nom sur la fiche » mais ça ne s'est pas fait, Mona m'a planté dans le couloir.

Samedi, je me suis présenté à 14h10, un peu en retard car j'ai longuement hésité avant d'aller rejoindre la Serdaigle à la bibliothèque. Mais j'y suis allé et, grimoire sous le bras, sac de cours dans la main, j'ai rejoint Mona qui s'était installé près de l'entrée. Tant mieux, ça m'a évité de la chercher pendant trois plombes.
Je lui ai glissé un bref « Salut » avant de m'asseoir en face d'elle. J'ai posé mon sac contre le pied de ma chaise puis j'ai sorti mes parchemins de cours que j'ai posé sur la table à côté du grimoire d'Histoire de la Magie.
« J'ai déjà rédigé une intro, je lui ai dit en glissant un parchemin vers elle. Je te laisse regarder. »
Le thème était « La Chasse aux Sorcières : le rôle crucial des Harpies dans le milieu du XVIIe siècle » et autant dire que j'en connaissais un rayon sur le sujet, l'Histoire de la Magie étant ma matière préférée. Du coup, j'avais déjà rédigé une introduction et commencé un plan, afin d'éviter de passer des heures à la bibliothèque seul avec Mona... Non pas qu'elle me dérangeait, j'étais juste beaucoup mieux tout seul pour bosser.

« C'est très bien, a fait Mona.
— Ouais ?
— T'as l'air de t'y connaître » a t-elle ajouté.
Ça pour m'y connaître, je m'y connaissais. Avec un père qui me tapait dessus sous prétexte que je faisais de la magie et pas lui, j'ai fini par détester ma baguette magique et les cours dans lesquels je devais l'utiliser. Du coup, je me suis plongé dans l'Histoire de la Magie, que de la théorie, pas d'étincelle, pas de pratique, rien du tout, et c'était très bien comme ça.
« Je connais un livre qui pourrait nous aider à impressionner le prof » a fait Mona en se levant brusquement.
Mais en voulant se précipiter, elle s'est prise les pieds dans la table, ou dans mon sac, peut-être, et elle s'est retrouvé étalée par terre.
« Wow, ça va ? ai-je fait en me penchant vers elle pour l'aider à se relever.
— Y a pas de mal » a-t-elle répondu en se redressant d'elle-même, avant de disparaître dans les rayonnages.
Je l'ai suivi du regard jusqu'à ce qu'elle s'engouffre dans un rayon puis j'ai souri, amusé, en baissant la tête vers mon parchemin. J'ai relu une fois mon introduction, puis une deuxième fois, avant de me demander ce qu'elle pouvait bien ficher pour mettre autant de temps. Au bout d'un moment, je me suis levé pour aller à sa rencontre et je l'ai trouvé dans l'allée « Histoire de la sorcellerie ».
« Tu as trouvé ton livre ? » lui ai-je demandé, les bras croisés, en posant mon épaule contre le bois de l'étagère.
Puis je me suis approché d'elle, pas trop non plus, afin de préserver mon espace vital. J'ai repéré derrière elle le livre « La Chasse aux Sorcières : les grandes dates » mais avec Mona planté devant, il m'était impossible de l'atteindre. Alors je me suis forcé, je me suis rapproché de la Serdaigle, nos deux corps à quelques centimètres l'un de l'autre et j'ai tendu le bras par dessus son épaule gauche pour attraper le livre que j'avais repéré. Quand mon coude a frôlé son épaule, j'ai tressailli et je me suis vivement reculé, comme si j'avais été brûlé par son contact.
« Ce livre... ai-je fait, les yeux rivés sur sa couverture de cuir. Il est bien pour le sujet... »
J'ai senti ma mâchoire se crisper, j'ai senti mon pouls s'accélérer et sans un regard pour Mona, j'ai quitté ce rayon de la bibliothèque pour retourner à ma place.

Quel idiot. Ma réaction avait été beaucoup trop exagérée pour un simple contact coude à épaule et cette fille allait me prendre pour un taré. Ce que j’étais peut-être, d’ailleurs. De plus, j’avais voulu me montrer aimable, sous un nouveau jour mais on ne peut pas jouer à être un autre, la vérité finit toujours par se dévoiler. Alors j’avais fui, et sans le bouquin, en plus.
Lorsque Mona est reparue devant moi, j'étais plongé sur mon parchemin de brouillon et ma plume avait déjà rempli une bonne partie de la feuille. A vrai dire, tout était bon pour terminer le plus vite possible et surtout, pour ne plus penser à ce qui venait de se passer dans le rayon Histoire de la Sorcellerie de la bibliothèque. Dans ma main gauche, je tenais une boule de parchemin chiffonné que j’écrasais dans ma paume, comme une balle anti-stress qu'on trouve dans certains commerces moldus. La vérité, c'est que j'étais très nerveux et je n'avais qu'une envie : retourner dans mon dortoir. C'était idiot, Mona n'avait rien fait de mal mais c'était comme ça.
« T'as plus l'oeil que moi, a fait Mona en s'asseyant en face de moi. J'ai dû passer au moins 5 fois dessus... »
Je n'ai pas relevé et j'ai continué à remplir d'encre le parchemin que j'avais sous le nez, espérant qu'elle comprenne que j'étais là pour le devoir et non pour discuter ou pire, pour faire connaissance. Malheureusement, elle a insisté :
« Il faut dire que je vois en bleu cyan, hein ? »
J'ai relevé les yeux une seconde, sans rien dire, puis j'ai reporté mon attention sur mon devoir. J'ai trempé ma plume dans l'encrier en me demandant ce qu'elle pouvait bien raconter. Elle voyait en bleu cyan ? Qu'était-elle en train de me chanter ?
« Tu sais, bleu et vert, a-t-elle tenté d'expliquer, ça donne un bleu qu'on appelle cyan. Et vu que j'ai les yeux... »
J'ai de nouveau levé la tête dans sa direction. Ah mais oui, c’était elle.
« Oublie, c'est pas drôle.
— Vairons, ai-je dit, un sourire très modéré au coin des lèvres. Tu as les yeux vairons, c'est bien ça ? Ouais, j'avais déjà remarqué, en fait. Ils sont chouettes, tes yeux », ai-je ajouté en baissant de nouveau la tête vers mon brouillon avant de me remettre à écrire.
C'était un peu ce qui caractérisait Mona, ses yeux. Quand quelqu'un parlait d'elle, il disait « Mona » et tout le monde disait « Qui ? » et alors il expliquait « Tu sais, la Serdaigle qu'à un oeil bleu, un oeil vert ! » et tout le monde comprenait. Mais bref, il fallait bosser, maintenant et j'avais bon espoir qu'elle se remette au devoir si je lui disais ce qu'elle voulait entendre.
Au bout d’un moment, j'ai soupiré en posant ma plume à plat sur le bois de la table.
« Ecoute, on devrait, hm, on devrait se répartir les tâches, je pense que ça irait plus vite, tu ne crois pas ? »

« Oh ! J'ai toujours été dans l'idée qu'il y avait plus d'idées dans deux têtes que dans une, a-t-elle dit. Ce serait bête de passer à côté de... de plein d'idées. »
Je me suis contenté d'hausser les épaules avant de reporter mon attention sur le parchemin. J'étais toujours du genre à me plonger dans le travail quand je voulais éviter une conversation, une présence, tout. Enfin, quand j'en avais l'occasion. Parfois, c'était un magazine, un journal, une tasse de café. J'avais la capacité de me plonger assez dans la contemplation de quelque chose pour donner l'impression que j'était occupé, pour faire fuir l'envahisseur.
En voulant chercher mon cours dans mon sac, je me suis rendu compte que je l'avais oublié dans la salle commune. C'était complètement con, je m'en voulais, je n'étais pas du genre à être négligent, d'ordinaire. Quoi qu'il en soit, j'avais besoin de ce cours pour poursuivre la rédaction du devoir.
« Dis, ai-je fait en relevant la tête, t'aurais pas tes feuilles de cours sur les harpies ? C'est stupide, j'ai oublié de les prendre. »
Plus je parlais, plus je me trouvais pathétique. Ça se voyait comme le nez au milieu du visage que Mona voulait parler, discuter, échanger et moi, je ne faisais que de parler de cours. J'étais vraiment associal et ça ne s'arrangeait pas en grandissant. C'était comme... Plus fort que moi. Eviter tout contact avec la race humaine. Eviter tout contact avec une potentielle souffrance, en gros.

« Tiens, a fait Mona en me tendant son cours.
— Merci, ai-je répondu en fuyant son regard.
— J'aime bien l'intro que t'as rédigée.
— Merci, ai-je répété.
— Je propose qu'on la garde, a-t-elle ajouté. Tu y rappelles quelques dates clés, je propose qu'on y dessine une ligne de temps pour rendre ça plus clair. »
J'ai hoché la tête, c'était une bonne idée.
« Je m'occupe de la ligne du temps, a-t-elle repris.
— Très bien. »
Ok, ainsi, avec chacun à sa tâche, j'étais à peu près sûr qu'on n'aurait pas besoin d'entamer une discussion. Intérieurement, je maudissais encore le Professeur Binns de nous avoir mis en binôme. Surtout que ce n'était pas une façon de montrer ce qu'on valait réellement. Mauvaise foi bonjour.
Bref, je me suis remis au travail et un silence s'est installé à notre table. Lorsqu'au bout de quelques minutes, j'ai levé les yeux de mon parchemin, j'ai été surpris de voir le travail de Mona.
« Wow, c'est toi qui as fait ça ? ai-je laissé échapper, véritablement impressionné. On dirait une chronologie de livre d'histoire, tu l'as recopié d'un bouquin ? »
J'étais toujours un peu gauche, dans mes compliments. Au lieu de simplement sortir un « Tu es douée, bravo, c'est super », j'étais plutôt du genre à vexer les gens en insinuant qu'ils avaient copié quelque part ou sur quelqu'un, comme présentement. J'avais vraiment un souci avec les relations humaines, c'était indéniable.

« Je pense pas que ça soit du recopiage ... si ? a fait Mona et j'ai haussé les épaules.
— Non, j'en sais rien. »
Aligner plus de quatre mots me semblait trop difficile. Déjà d'ordinaire, j'étais peu bavard mais cette année, c'était pire que d'habitude. Avec ce qui s'était passé durant l'été, les cauchemars/insomnies qui rythmaient mes nuits...
« Elle est terminée, je vais y recopier ton intro, a fait Mona, me tirant ainsi de ma rêverie.
— Ok, très bien », ai-je répondu en posant ma plume pour la première fois depuis le début de notre rendez-vous et en m'affalant contre le dossier de ma chaise.
J'ai reniflé, regardé à gauche, puis à droite, les deux mains jointes sur mon ventre et je me suis rendu compte que j'avais faim, comme ça. Alors je me suis penché vers mon sac et j'en ai sorti deux patacitrouilles. J'en ai tendu une vers Mona, espérant peut-être, je sais pas, paraître un peu moins froid. Sans pour autant vouloir me lier d'amitié avec elle, hein. Juste être sympa, pour une fois.
« Tu en veux une ? » ai-je demandé, un mince sourire à peine forcé sur les lèvres.

« Ce serait plus simple si tu venais t'installer à côté de moi, non ? a proposé Mona et j'ai eu un mouvement de recul. Je te laisse le livre. »
Aussitôt, elle s'est installée sur la chaise d'à côté, me laissant une place près d'elle, genre vraiment très près et je me suis mis à imaginer nos épaules collées l'une à l'autre. J'ai eu un frisson d'horreur, pendant une demi-seconde.
« On cherche ensemble, et je prends note des éléments importants pour notre devoir » a ajouté Mona, comme pour me convaincre que son idée était du feu de Dieu.
J'ai inspiré, profondément, cherchant une issu à cette situation assez embarrassante. Comment lui faire comprendre que j'étais contre l'idée de me coller à elle, sans pour autant la vexer ? J'étais du genre à me fabriquer une bulle invisible autour de moi, une barrière infranchissable et si d'aventure quelqu'un venait à franchir cette barrière, il était sûr d'avoir de gros ennuis.
Sauf qu'avec son regard, elle m'a troublé et j'ai pas su trouver d'excuse potable. Du coup, je me suis vu me lever, un peu contre mon gré quand même, et m'installer à côté d'elle, prenant soin de ne pas la toucher ni l'effleurer. Puis je me suis plongé dans la lecture du bouquin, comme si c'était la chose la plus passionnante que j'aie vu de toute ma vie. J'étais crispé, tout de même et j'étais à peu près certain que ça se voyait comme un bouton sur le nez.
« Bon, euhm. Tu as tout le chapitre trois qu'il faudrait éplucher », ai-je dit avant de faire un mouvement brusque avec mon épaule après avoir cru qu'elle allait toucher Mona.
Psychopathe. J'étais en train de passer pour un cinglé.
« J'ai cru qu'il y avait une mouche, ai-je tenté de me justifier. J'aime pas trop ça. Enfin bref, là dedans, ils disent que tout a commencé dans le Nord des Etats-Unis, que les harpies sont venues soutenir les sorcières pendant les procès. »
Nouveau mouvement de recul incontrôlable. Ça a été plus fort que moi, j'ai grimacé, j'avais honte.
« Ecoute, je... Je pense qu'on devrait faire ça chacun de notre côté. »
Voilà, c'était dit. Maintenant, ou elle se vexait, ou elle comprenait.