Moran était désolé de voir le mausolée qu'était advenue leur relation. Rien n'était plus pareil qu'avant. S'ils gardaient tous les deux des cicatrices sentimentales de leur histoire passée, ils étaient devenus bel et bien deux inconnus se tenant l'un face à l'autre au milieux d'une librairie chargée de clients qui s'y abritaient pour ne pas être mouillés. Le jeune homme ne comprenait pas comment une simple année avait pu faire autant de mal, sans pourtant détériorer ce qu'ils ressentaient l'un pour l'autre. Car l'écossais croyait voir de l'amour dans son cœur comme il en percevait dans les mots de la jeune femme. Lui avouer ce dont il avait le plus honte lui avait fait mal. Mais le jeune homme ne voulait pas qu'elle ait de lui l'image d'un garçon désinvolte - ce qu'il était en général, mais pas ici - face à la situation de son ancienne petite amie. Ça le rongeait plus qu'elle ne pourrait jamais le comprendre. Et il avait besoin, en son fort intérieur, qu'elle lui affirme qu'il avait prit ses responsabilités, et la bonne décision. Moran avait besoin qu'elle le dédouane de ses mauvais sentiments, mais elle n'en fit rien. Daisy l'abandonna dans ses tourments et ça lui fit mal. Elle le rassura tout au plus sur la manière dont cet homme la traitait. C'était mieux que rien, sans doute. Et sans doute qu'il méritait tout cela. Mais comme la jeune femme savait le mettre mal-à-l'aise, elle lui demanda assez brusquement comment il traitait sa femme. Sa femme. Gardenia.
Oh bien sûr, Daisy n'était pas au courant de l'identité véritable de l'épousée, et c'était probablement mieux comme cela. Il aurait assez mal vécu de voir dans ses yeux la déception mêlée au mépris qu'il s'attendait à y trouver. Le fait est que si elle savait qu'il s'était marié à sa meilleure amie, elle n'aurait jamais posé la question, ou elle l'aurait fait en sens inverse. Car il paraissait assez évident que la maltraitance aurait plutôt tendance à venir de l'ancienne Serdaigle plutôt que de l'ancien Serpentard. Aussi mit-il les mains dans ses poches en esquissant un sourire : « C'est plutôt elle qui me maltraite que l'inverse, pour tout te dire ! ». Gardenia avait assurément plus de tempérament que lui n'en aura jamais. C'était une relation entre passif et actif, pour ainsi dire. Il hésita à ajouter qu'elle le connaissait et qu'elle savait qu'il ne pouvait pas être foncièrement gonflant dans la vie de couple. Ou plutôt si, mais pas sur la politique de la relation. Moran n'était pas l'héritier d'une vision patriarcale et misogyne. Daisy le savait pour l'avoir fréquenté pendant un an. Mais ils n'étaient plus pareils de toute façon, et leur conversation le montrait bien. Jugeant qu'il y avait entre eux un malaise, le jeune homme inspira un grand coup : « J'ai un livre à acheter pour les cours, tu m'aides à le trouver ? » proposa-t-il maladroitement. C'est qu'il ne se sentait pas encore prêt à prendre congé d'elle alors qu'il venait de la retrouver. Chaque instants passés à ses côtés était une boule d'oxygène dont il ne pensait pas avoir autant besoin. « Ça s'appelle "Magiquement vôtre", c'est un ouvrage de Frédégonde Gondolle » ajouta-t-il en s'éloignant d'elle pour sortir du rayon, « c'est euh... Un ouvrage d'éthique journalistique, je crois ».
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