— Merlin les filles, je crois que c'est le dernier carton ! s'écria joyeusement Thelma en transplanant sur le seuil de la porte d'entrée de son nouvel appartement, une imposante boîte entre les bras. Elle avait enchaîné les transplanages depuis pratiquement une heure afin de transférer dans leur nouvel appartement toutes les affaires que Glinda et elle étaient parvenues à entasser au cours de leurs premières années de colocation... Et nom d'une goule, il y en avait ! J'ai lancé un bon recurvite en partant, mais je crois qu'on ne pourra rien faire pour les traces laissées dans la salle de bain par notre essai de confection de potion Peau-lisse de Sorcière Hebdo... Faudra expliquer au proprio ! annonça la jeune femme en entrant dans l'appartement déjà encombré de meubles et malles en tous genres, pour poser son carton sur une table de chevet qui traînait là. Persillade, le crapaud de Glinda qui se trouvait déjà confortablement installé sur l'accoudoir du canapé, lui lança un croassement de bienvenue mais Thelma n'y prêta pas attention : en se redressant, elle avait repéré Glinda occupée à déballer un carton qu'elle ne pensait pas revoir ici.
— Dis donc, t'étais pas sensée te débarrasser de ça toi ? s'enquit-elle d'une voix faussement sévère, les poings sur les hanches. Et puis Claudia, elle est où ? Merlin, j'en reviens pas que cela soit chez nous ! roucoula-t-elle en faisant un tour sur elle-même avec la grâce d'un troll en tutu, manquant de percuter de plein fouet un imposant ficus posé contre un vieux chaudron.

Thelma leva les yeux au ciel tandis que Glinda posait bien en évidence sur la cheminée l'horreur prétendument artistique qu'était sensé incarner ce brocoli musical, et s'assurait qu'il était positionné bien au milieu. Elle doutait fort que Claudia trouve à son goût ce déchet légumesque, elle qui pourtant devait croiser de sacrées croûtes dans le cadre de son travail... Mais qui de mieux que l'italienne qui s'extirpait justement de leur cheminée pour confirmer cette conviction ? La réflexion que le tableau tira à Claudia arracha un éclat de rire à Thelma.
— Non, c'est pas anglais darling, c'est moche ! corrigea-t-elle gentiment en jetant un regard en direction de Glinda qui voulait dire je-te-l'avais-bien-dit. Comme cette cape que tu avais à Poudlard pour ta dernière année, c'était vraiment... Oh la belle idée ! s'interrompit-elle en pleine attaque vicieuse contre le look de Glinda, avec laquelle elle n'était pas vraiment amie à l'époque, en localisant l'intéressante bouteille dans la main de Claudia, on va vraiment bien s'entendre toi et moi, c'est officiel !
Mais c'était sans compter sur la bombabouse que Glinda venait de lancer, et sa prétention culottée à s'emparer de la plus grande chambre alors qu'elle envahissait déjà le salon avec ses horreurs. Claudia et Thelma échangèrent un regard que la jeune Greengrass espérait entendu... Et hoqueta de stupeur quand l'italienne entra dans la bagarre pour la plus grande chambre, ne lui laissant pas d'autre choix que de mettre les points sur les i :
— Mais vous rigolez ? J'ai mes cours à travailler moi, mes bouquins et tout ! La blondinette s'interrompit car Claudia venait de faire mouche avec son allusion à la cuisine : Thelma détestait les odeurs de nourriture, même italienne, alors les supporter dans sa chambre... Vous savez quoi, je vous laisse la plus grande chambre. Mais je veux celle qui a un accès direct à la salle de bain ! exigea-t-elle en se laissant tomber sur le canapé, avant de poser ses pieds sur une pile de grimoires de cuisine. Cette guerre des chambres pouvait prendre un moment ! Persillade, qui semblait de son avis, se dépêcha de sauter sur ses genoux et Thelma se prit à le grattouiller distraitement sous le museau, toute entière à sa contemplation de la joute intra-coloc qui se jouait sous ses yeux.

Si d'aventures il lui prenait l'envie d'adopter un animal de compagnie à son tour, Thelma se fit la promesse de s'abstenir de craquer pour un crapaud comme Glinda avait pu le faire : ces bestioles-là n'avaient décidément aucun sens de la loyauté, en témoigna le naturel avec lequel le batracien tourna le dos à sa maîtresse pour se diriger vers Claudia, scellant ainsi le destin de la plus grande chambre de la colocation. Après une seconde de stupéfaction face à une telle trahison, la jeune Greengrass éclata de rire devant la mine déconfite de Glinda et se laissa tomber en arrière sur le canapé tandis que Claudia se réjouissait de sa victoire éclatante.
— Ah ben ça, c'est ce qu'on appelle un score sans appel ! s'esclaffa-t-elle tandis que le crapaud, probablement effarouché par tout ce bruit et peut-être conscient qu'il risquait de terminer à la casserole d'une seconde à l'autre se carapatait dans le couloir menant aux chambres, et un score qui s'arrose, c'est bien vrai ! confirma-t-elle en retournant un regard entendu vers Claudia qui annonçait le début de la fête en retournant chercher du vin. Allez fais pas cette tête Glinda, ça arrive même aux meilleurs de se faire planter par un crapaud... Subtile allusion à certaines de leurs désillusions sur Witcher peut-être ? Thelma en vint à se demander si Glinda avait eu des nouvelles du beau Benjy avec lequel elles avaient passé une soirée, quelques semaines plus tôt... Lui en aurait-elle parlé ? La jeune femme n'eut pas le loisir de s'interroger plus longtemps que déjà Claudia revenait s'asseoir près d'elle, débouchait la bouteille d'une main de maître et leur servait à toutes les trois une rasade de vin. Thelma s'empara de son verre et s'installa contre l'accoudoir du canapé pour voir le visage de ses deux colocs, la mine interrogative.
— La crèmerie ? C'est ça ton projet pour la plus grande chambre de l'appartement ? s'exclama-t-elle en pouffant de rire, coulant un regard vers Glinda par-dessus son verre pour guetter la réaction de la brunette de la colocation. Allez santé, et vive la démocratie ! conclut-elle en levant son verre pour trinquer avec ses deux compagnes.