L’entendre rire dans cette période si noire de sa vie apporta un peu de baume au coeur à Neolina. Oh bien sûr, ça n’était pas un rire qui avait envahi toute la pièce, ni un rire qui s’était répercuté jusque dans ses yeux. Mais c’était déjà quelque chose. Neo avait ce super pouvoir là, de parvenir à l’amuser en presque toute circonstance avec sa spontanéité et parfois sa maladresse. Et se moquer de sa mère, c’était presque son sujet préféré. Razvan était plus nuancé, plus respectueux souvent, mais ça n’était pas sa mère, alors il ne s’autorisait probablement pas à le faire. Toutefois, l’image qu’il lui proposa avait quelque chose de triste et de drôle à la fois. « Oh non, ne t’inquiète pas pour elle. Elle ne supporte pas que je grignote les miens, alors… Par contre, je plains les tympans des personnes alentours. » C’est que sa mère savait atteindre le niveau ultrason sans forcer, ça en était presque impressionnant.
Il n’y avait bien qu’avec Razvan, et autrefois Andrea, que sa mère parlait d’une voix douce et paisible. Le secret de son ami, donc, était en réalité un peu triste pour la condition féminine : c’était un homme séduisant, avec un excellent patrimoine génétique pour faire de jolis bébés, une situation professionnelle stable, il était poli, charmant, facile à aimer, non ? Sa mère aimait moins Razvan que ce qu’il représentait finalement comme espoir pour sa famille. Dans sa tête, un veuf et une divorcée, ça collait non ? Et ce, même si Razvan était encore habillé du noir de rigueur dans pareille situation. Peut-être Neo avait-elle donc été maladroite de lui dire ça maintenant, peut-être avait-elle espéré qu’il surenchérisse avec une bêtise, comme il l’aurait fait autrefois. Après tout, il lui avait demandé de ne pas changer d’attitude mais voilà, comme elle le lui avait dit, tout avait changé, tout. Il n’y avait qu’à respirer l’atmosphère lourde et chargée qui régnait dans l’appartement, où tout évoquait encore Mara : la décoration, quelques photos, les souvenirs aussi. Où puisait-il donc pareil courage ?
Lorsque finalement, il accepta de l’accompagner, Neolina lui offrit un petit sourire soulagé. Cela serait difficile, certes, mais cela repoussait les adieux au lendemain et c’était une bonne chose. Elle ne souhaitait rien d’autre que de voir un visage amical quand elle se saisirait du portoloin. Qui, en plus, comble de l’ironie, se situait non loin de la boutique d’apothicaire d’Andrea. Lui aussi était capable de débouler, sans pour autant faire un esclandre. Si c’était le cas, Razvan serait un appui nécessaire. « 11h, sur la place de Brașov. Merci Razvan, c’est… Ça compte beaucoup pour moi. » Il y eut un silence, car il n’y avait pas tellement besoin de mots pour surenchérir là-dessus. Chacun savait à quel point il était important pour l’autre. Ça, c’était une chose qui ne changerait jamais. Au bout d’un certain temps qu’elle ne sut quantifier, Neolina se leva et se glissa derrière les larges épaules du roumain, qu’elle entoura de ses bras, ses mains se rejoignant sur son coeur. Enfouissant sa tête contre lui, comme elle l’avait si souvent fait autrefois, elle murmura dans un souffle. « Je t’aime, mon ami. »