Stubby avait tendance à être surprotecteur envers les femmes dont il était proche – à différents degrés. Il considérait que Neolina faisait parti de sa famille au même titre que sa mère ou Anna. Alors, il la traitait comme tel. A ses yeux, aucun homme n’était assez bien pour elles. Il avait été très difficile pour lui d’accepter son beau-père – et son autorité. Et, pour sûr, si Anna venait à lui présenter un petit-ami, il allait le juger sous tout les angles avec un œil ultra-critique.  Neolina était donc logée à la même enseigne.  Par contre lui, il détestait qu’on lui fasse ça. Faites ce que je dis, pas ce que je fais.
Quand Neolina lui demanda si elle pouvait dormir chez lui, il accepta sans hésitation et sans même réfléchir. C’était naturel. La roumaine s’outra faussement qu’il ne lui propose pas de dormir dans son lit.
« Bah ! Je veux bien que tu dormes dans mon lit. Mais c’est pas à moi de te faire de la place. Débrouille-toi pour te trouver toute seule une place. »
Il dormait seul la plupart du temps. Il avait pris ses petites habitudes de sommeil, c’est-à-dire prendre toute la place qu’il voulait. Quand il acceptait de dormir avec quelqu’un, c’était qu’il se sentait suffisamment proche de la personne. Dans le passé, il avait eu des périodes où il ne supportait pas de dormir seul. Par exemple, enfant, il fallait toujours que sa mère soit à ses côtés pour qu’il s’endorme – et quand il se réveillait.
« Je dirais même que ça te ferait une robe de nonne. »
Il la raillait sur sa petite taille souvent. Il aimait prétendre qu’il y avait au moins un degré celsius de différence entre sa hauteur et celle de Neolina.

Pomelo arriva avec les pizzas qui chassèrent l’odeur de Fresh Clean Cotton de The Cauldron of House Fragrance pour embaumer la pièce de son arôme forte et caractéristique rappelant l’Italie. Neolina et Stubby se mirent aussitôt à déguster ces pizzas à l’ananas. Pomelo en prit aussi une part. Basiquement, l’elfe de maison mangeait ce que son maître mangeait la plupart du temps. Quand il n’était pas là, il en profitait pour manger des plats que lui n’appréciait pas – ou qu’il ne pouvait pas manger. L’appréciation de Neolina se fit vite entende.
« Je te l’avais dit ! Je comprends pas les gens qui aiment pas. Ils ont jamais goûté pour la plupart. »
Il s’efforçait de manger sans en mettre partout, plaçant sa main libre sous son menton. Cela l’aurait embêté de tâcher son pull ou son pantalon.
« Tu sais quoi ? On devrait se marier. Comme ça, on ne se prend plus la tête avec les gars. »
Comme il le disait, c’était tous des cons.

Au moins cette nuit, Neolina ne dormirait pas seule. Et surtout, la personne dont elle partagerait le lit ne compliquerait pas tout entre eux, c’était une certitude. « Je me ferais toute petite, c’est pas grave. » plaisanta-t-elle alors qu’elle imaginait bien que Stubby allait s’étaler façon étoile de mer dans tout le lit. Vu son état, et sa tristesse, Neo allait très certainement se nicher contre lui dans la nuit tout naturellement, et tout chastement bien sûr. Histoire de récupérer un peu de force dans la chaleur d’une étreinte platonique. « Merci, Stubby. » lui dit-elle en lui claquant un petit baiser sur la joue avant de se détacher définitivement de lui. L’heure était à la gourmandise et elle semblait avoir récupéré un peu d’appétit, c’était bon signe.

La nourriture anglaise était très particulière, en général. Bien sûr, cette recette à base d’ananas ne venait pas d’ici, mais d’une île au loin. En tout cas, en Roumanie, et en Russie surtout, l’austérité ambiante faisait que le palais de Neo n’avait pas connu beaucoup de saveurs en réalité. Alors chaque découverte l’émerveillait, ou la dégoûtait au choix, mais elle ne faisait pas tant sa difficile. Alors elle se régalait de cette pizza sucrée, se brûlant au passage mais elle avait l’habitude. « Les gens ne chavent pas che qui est bon, voilà ! » dit-elle avec un sourire enfantin alors que la part de pizza se tordait à cause de poids au-dessus de sa petite main qui ne voulait pas tacher le canapé - ciel, le désastre !

Elle s’apprêtait à piquer une deuxième part avec empressement quand Stubby la faucha avec sa phrase, déclenchant un petit tsunami dans sa poitrine. Malgré sa force de caractère, et le fait qu’elle prétendait toujours aller bien, Neo restait sensible sur quelques sujets. Et le mariage en faisait partie. Bien sûr, c’était elle qui avait choisi de divorcer. Sans doute y’aurait-il eu d’autres manières de régler le problème à l’époque. Mais non, elle avait pris une décision, s’y était tenue. Et au fond d’elle, parfois, elle regrettait sincèrement qu’Andrea ne fasse plus partie de sa vie. Mais c’était mieux ainsi, non ? En tout cas, les choses de l’amour, à cet instant, Neo en avait marre. Plus que marre. Et même si le mariage que lui proposait Stubby était plus une blague qu’autre chose, cela lui fit tout de même un peu de peine. « Le mariage, merci. J’ai eu ma dose ! » ronchonna-t-elle en croquant dans un bout d’ananas. Elle était bien déterminée à ne plus jamais commettre la même erreur. Il n’y avait qu’à voir ce qui venait de se passer avec Razvan. Non vraiment, elle resterait Neolina Siankov, point final. « Et puis c’est quoi cette demande ? » se moqua-t-elle en lui lançant un regard en coin pour éviter de s’appesantir sur ses propres sentiments. « Je te croyais plus flamboyant que ça… » Stubby marié, c’était tout aussi impensable dans sa tête qu’elle-même renouvelant des voeux avec quelqu’un d’autre. Ils avaient au moins ça en commun. En réalité, le britannique et la roumaine avaient bien plus de points communs qu’on aurait pu croire au premier abord. C'était sans doute ce qui rendait leur amitié si forte. Indestructible, même.

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