Ca faisait des mois que Gauwain était censé faire cet achat. Il s’en était fait la remarque à de multiples reprises, alors qu’il se trouvait en situation souvent fâcheuse. Cet été, il avait consacré tout ce qu’il avait pu gagner à ses loisirs, ses week-ends passés avec Amelia, s’offrir des moments de complicité, ne pas se priver de prendre un dessert si on le souhaite, même si le budget global n’était pas faramineux. En ce début octobre, les choses étaient différentes. De fait, alors qu’il venait de toucher une paye de Yaxley & Co, il avait fait ses comptes : s’il additionnait aux Mornilles gagnées l’argent que lui versait son père, il pouvait non seulement payer son loyer, manger à peu près correctement, et dégager un petit extra.

Comment utiliser cet argent ? Il avait été tenté d’économiser. Mais il était passé une fois de trop près des limites acceptables. Il ne voulait pas atteindre le jour où la chance ne lui sourirait pas. Il était temps de s’équiper un peu.

Ca avait été une des premières leçons d’instinct de combat : le matériel ne faisait pas tout, mais l’instinct ne vous sauverait pas si votre baguette était fracturée ou brisée. Commencez par optimiser les éléments sur lesquels vous avez un contrôle facile ; donnez-vous des chances en plus, pas des pénalités à surmonter.

Gauwain avait été négligeant. Il était temps de rattraper ça. Histoire de ne pas perdre à nouveau une demi-seconde cruciale.

Il s’était décidé rapidement, n’avait pas voulu de paquet.

Il sortit de Wiseacres avec un holster flambant neuf, logé stratégiquement contre son pectoral gauche.

Savoir que sa baguette était installée ainsi, prête à être dégainée, lui apportait un sentiment de quasi-euphorie interne. Un sentiment de confiance renouvelée. Au moins, c’était une difficulté en moins, un point qui était enfin réglé. Sans compter que cet accessoire était à ses yeux symbolique d’un passage de niveau. D’un gain de maturité.
C’est dans cet état d’esprit, tandis que le vent jouait avec les feuilles mortes, et qu’il se réjouissait de son achat, qu’il faillit percuter un corps maigre. Il eut un instant de surprise en reconnaissant un ancien camarade.

« Lupin. »

Pas n’importe quel ancien camarade : un des membres de la bande à Potter. En tant que Serpentard, Gauwain Robards n’avait pas d’admiration pour le quatuor de gryffondors qui avaient trop souvent pris Severus comme tête de Turc. Il se tendit, par habitude, parce que lorsque tu en voyais un, les autres n’étaient jamais très loin. Préparant sans doute une connerie ou une autre. Cependant, Lupin était de loin le plus calme, le plus mesuré ; sans le connaître de façon particulière, il lui était arrivé par le passé d’être surpris par quelques-unes de ses réactions. Aussi, par souci de politesse, il ajouta :

« …désolé, je ne t’avais pas vu. »

Ca n'avait l'air de rien, mais vu le passif qui opposait leurs groupes respectifs, c'était ce qui s'approchait le plus d'un drapeau blanc.

Comment Gauwain allait ? La question le surprit. Peut-être Lupin avait-il fait ça pour retourner le couteau dans la plaie suite au décès des Bones, mais premièrement, il doutait que le Gryffondor soit au courant de son statut relationnel, et deuxièmement.... l'autre jeune homme avait l'air sincère. Sans arrière pensée. Dans un deuxième temps, l'interrogation le mit mal à l'aise ; Lupin venait de l'interroger par politesse, et dans ce cas, on n'était pas censé répondre réellement, non ? Sauf qu'une partie de son esprit voulait répondre : « Pas top, mais au moins, je suis mieux équipé. »

Il fit taire cette voix, et répondit, prudent et détaché, aussi convaincant que possible (c'est à dire peu) :

« On fait aller vu les circonstances. J'avais deux trois trucs à acheter pour l'ESM. ….Et toi ? Shopping aussi? »

La question était venue avec un temps de retard, une hésitation. Ils n'étaient pas amis, mais pas ennemis non plus, tant que la bande à Potter n'était pas dans les parages.

Avec un temps de retard, il réalisa que Lupin n'avait pas non plus l'air très glorieux. Il ne semblait pas franchement heureux ou amusé, plutôt découragé. Et aucun garçon en rouge et or n'était visible à l'horizon (était-ce vraiment un critère, cependant ? Les membres du quatuor avait tendance à apparaître quand on y attendait le moins, à des endroits où seul un demiguise aurait dû pouvoir accéder sans être détecté).

« ...t'es pas avec ta bande ? »

Pourquoi avait-il eu besoin de poser cette question ? Pour vérifier si Lupin était réellement « approchable », s'il était sans danger ? Ou pour lui reprocher implicitement ses fréquentations ? A ce compte-là, Gauwain lui-même n'était pas irréprochable, avec les choix qu'avaient fait certains de ses ex-camarades de Serpentard. S'il faisait le compte, d'ailleurs, son entourage comptait bien peu de protégés de Salazar, du moins parmi ceux de son année. Et ce n'était pas pour le réjouir.

Cette réponse le surprit, mais il hocha la tête, tandis qu'il comprenant, regardant Lupin avec une appréciation nouvelle. Après tout, Gauwain lui-même était parti quelques semaines plus tôt à la chasse aux petits boulots. Bon, il avait envoyé via hibou, plutôt que de tenter le porte-à-porte. Il ne regrettait pas, voyant la mine dépitée de Lupin. Ca ne devait pas se passer comme il l'espérait. La méthode du courrier était manifestement plus efficace.

« Tu cherches dans quoi ? »

Pour ce qui le concernait, il avait essayé de se concentrer sur les missions qui enrichiraient son CV, rendraient son profil intéressant aux yeux du Service des Aurors. Lupin suivait-il la même logique ? Les Gryffondors n'étaient pas toujours très stratégiques, mais l'autre étudiant était un peu à part parmi ses camarades.

Ceci étant dit, la façon dont Remus Lupin conduisait ses recherches n'était pas vraiment son problème. Ils étaient des connaissances. Malgré tout... Gauwain éprouva une dose de compassion, en voyant l'air déprimé de l'autre élève. Curieusement, l'écho de moments où on lui avait tendu la main flotta dans son esprit.

« Tu sais quoi... ? Ca se couvre, on va pas rester à parler en attendant que ça nous tombe dessus. »

Il calcula mentalement ce qu'il avait sur lui, et jeta un œil aux boutiques autour de lui. Le Chaudron Baveur, qui ne lui avait pas porté chance dernièrement, ou le Tsarducks café, dont il n'était pas un habitué.

« Je te paye un verre. Pas d'entourloupe. Choisis où tu veux aller. »

Il n'était pas vraiment sûr que ça soit une idée excellente. Mais qui sait, il sortirait peut-être quelque chose de ce moment. Un échange de contacts ou de conseils qui pouvaient s'avérer précieux s'il perdait sa place chez Yaxley. Il y avait forcément quelque chose à prendre. Au pire, il rééquilibrerait la grande balance de l'univers, en termes de verres offerts par humanité.

Le Tsarducks n'était pas le royaume de Gauwain Robards. Ce n'était pas même une province alliée. S'il avait le choix, il était plutôt pub que café (ou pire, salon de thé). Mais en même temps.... les pubs ne lui avaient pas réussi, ces derniers mois. Il s'y était fait un certain nombre de souvenirs plus ou moins agréables. Sans doute était-ce un signe de l'univers lui indiquant de changer de chaudron. Et s'il n'était pas doué en Divination, il commençait à avoir suffisamment dégusté la potion pour avoir appris sa leçon.

Sans protester, donc, il suivit l'autre garçon à l'intérieur de l'établissement. Effectivement, la salle n'était pas bondée. Ils trouvèrent aisément des chaises et une table libres. S'installant, il jeta un œil à la carte. Tarifs raisonnables, un bon point. Parce que Gauwain n'était pas non plus devenu Crésus. Il sélectionna rapidement ce qu'il souhaitait (café noir, sans sucre) et attendit que l'ancien Gryffondor ait fait de même pour continuer sur ce qui amenait cet atypique tête à tête.

Qui aurait cru qu'il aurait pris, un jour, un café avec un membre du Clan Black-Potter ? Que le destin était ironique. Il était persuadé que ni ses camarades de Maison, ni ceux de Lupin ne verraient ce rapprochement d'un bon œil.

« Donc tu as élargi ton domaine de recherche au maximum ? Ca aurait pas plus d'intérêt de chercher quelque chose qui t'apporte une mise en pratique de ton domaine d'étude ? »

Maintenant qu'il y réfléchissait, il n'avait pas croisé Lupin dans les couloirs de l'Ecole Supérieure. Cependant, l'attention de Gauwain était prise par d'autres facteurs d'inquiétude. Il voyait sans voir les autres élèves. Il avait très bien pu le croiser sans le réaliser.

« Tu es dans quelle filière ? »

Il voyait bien Lupin dans un truc calme. Au département des Arts et Civilisations magiques ?

Il n'avait pas vu ça venir, tiens. Le groupe de Potter et Black avait beau être des fouteurs de bouse, il fallait leur reconnaître des compétences. Après tout, certaines de leurs attaques demandaient un certain niveau ; c'était parfois à ça qu'on reconnaissait leur signature. Ce n'était jamais une simple bombabouse jetée dans les donjons. ….Si seulement ça avait été aussi simple.

Pour autant, Lupin n'avait pas été admis en cycle supérieur.

« La notation des ASPICS a été particulièrement sèche cette année. »

Il fallait l'avouer, Gauwain ressentit une pointe de compassion. Parce qu'il avait failli passer par là. S'il n'avait pas fait jouer les bonnes relations, se serait-il retrouvé, comme l'ancien Gryffondor, à écumer les rues pour semer aux quatre vents ses candidatures à des postes divers ? Peut-être. Mais il aurait été rempli d'une honte si profonde qu'il n'aurait jamais cherché employeur à Londres, là où on pouvait le reconnaître. Il aurait cherché à se faire de l'expérience outre-atlantique, sans doute. Ailleurs, en tout cas.

Mais la fierté d'un Serpentard n'a rien de commun avec celle d'un Gryffondor. Et leurs stratégies de rebond étaient, manifestement, assez différentes.

« Tu visais quels postes à terme ? Tu pourrais te faire une année sabbatique pour apprendre sur le terrain avant de retenter les examens en candidat libre. »

Lupin ne lui avait pas répondu concernant la filière qu'il avait souhaité intégrer à l'ESM. Et à dire vrai, Gauwain n'imaginait pas trop le garçon malingre et abattu dans un poste en particulier, aussi sa question était-elle sincère.

Tout en laissant Lupin répondre, il fit signe à la serveuse, de façon à ce qu'ils puissent passer commande. Ce n'est qu'après son départ qu'il s'autorisa à répondre au garçon.

« J'ai intégré la filière Aurors. »

Net et précis, en omettant bien sûr que ça avait été de justesse, ce que ne laissait pas supposer l'éclat fier dans les yeux couleur chocolat.

Il fixa Lupin avec une incompréhension franche. Pour Gauwain, qui avait construit sa vie autour d’aspirations professionnelles, entendre tant de détachement et de manque d’ambition avait de quoi rendre perplexe. Il cligna des yeux, haussa les deux sourcils. Le jeune homme n’avait pas l’air plus inquiet que ça de son avenir, ni avoir d’aspiration particulière. S’il était épais comme une brindille, il semblait surtout évoquer la feuille d’automne, ballottée par le vent.

L’ancien Serpentard hocha la tête devant les félicitations qui lui étaient présentées, mais il était encore clairement troublé par ce qu’il venait d’entendre. Il enregistra les remarques appréciatives, mais d’une oreille distraite. Pourtant l’avis de Lupin était présenté de façon polie et détachée, encourageante sans en faire trop, une forme de réponse n’appelant pas à la polémique. C’était malgré tout préférable à tous les commentaires que Gauwain avait pu entendre ces deux dernières années, à l’école ou, plus récemment, en dehors.

« Je te remercie. Tout le monde ne partage pas cette opinion. Pourtant je pense que c’est en occupant ce genre de positions qu’on peut s’assurer que le monde ne parte pas à vau l’eau. Si c’est encore possible, avec tous ces suprémacistes bercés un peu trop près du chaudron.»

On leur apporta leur commande, et Gauwain prit une gorgée de café avant de repartir à la charge. Parce que quand même, quoi.

« Mais si tu trouves qu’Auror c’est un beau projet, pourquoi… pourquoi ne pas tenter le coup? Ou bien présenter une candidature au Ministère? On peut oeuvrer de plein de manières différentes, à des postes qui permettent de faire une différence. Avec des niveaux de qualification variés. Si vraiment tu penses que c’est une bonne chose.»

Dixit celui qui avait vaguement réfléchi à changer d’identité s’il n’était pas admis au cursus d’Auror.

La remarque, néanmoins, était également destinée à tester Lupin. Ses remarques sur l'intérêt des Aurors étaient-elles vraiment sincères? Avait-il choisi un camp, lui qui semblait se laisser porter par la vie, sans s’émouvoir d’où le vent le transporterait?

Il resta silencieux, à la réponse de Lupin. Ca avait été un test ; l’ancien Gryffondor l’avait raté en beauté, avec ces mots refusant de s’impliquer, de prendre position, alors même que Gauwain avait dévoilé ses cartes. Le mec lui aurait sans doute fait la conversation de façon tout aussi détachée et polie s’il lui avait parlé de rejoindre les rangs du Mage Noir. ‘Oh, ces projets de massacres de nés-moldus sont intéressants, mais je n’aurais pas ma place parmi vos soutiens…Vous voulez reprendre de la brioche?’

Sans un mot, Gauwain finit son café, le regard soudain plus froid. Pas besoin d’être Flamel pour comprendre que Lupin était mal à l’aise depuis tout à l’heure, avec ses réponses laconiques, ses regards partout sauf sur l’ancien Serpentard, tandis que celui-ci tentait de hisser le drapeau blanc. Il avait cru que Lupin était différent du reste de la bande à Potter. Il avait eu envie d'y croire, avant eu envie de croire que Kalia ou Florian n'étaient pas des exceptions. Mais Lupin était, plus probablement, celui des Quatre qui cachait le plus son jeu, qui assumait le moins sa bassesse. Peut-être parce qu’il traversait une période pas facile, Gauwain sentit son énervement monter, encouragé par le passif qui existait entre eux. Lupin avait-il accepté son invitation à prendre une boisson uniquement par peur de la réaction du Gallois, s’il refusait? C’était moins facile, hein, quand on se retrouvait seul face à quelqu’un. Impossible de se cacher derrière ses connards de potes, pas vrai? Plus difficile de donner le change, aussi. A présent, Lupin devait regretter de lui avoir ne serait-ce qu’adressé la parole ; maintenant qu’il était coincé avec un vis-à-vis qui ne lui parlait ni de bombabouses ni de plans pour faire chier l’ensemble des Serpentards. La vraie vie, c’était moins sympa, hein? Moins drôle, moins tendre. Il fallait des ambitions et des valeurs, si on voulait pouvoir aller quelque part. Et même ainsi, on pouvait finir égorgé dans une ruelle. Sa mâchoire se contracta.

‘Je n’aurais pas ma place au ministère’, tu parles…. Pourtant, quelque part, Gauwain préférait l’hypocrisie de Lupin à l’antagonisme direct de certains anciens camarades. Et il préférait sa neutralité tiède aux prises de positions pro-sang-purs que d’autres pouvaient afficher. Des gens comme ça, c’était ce qui rendrait possible de reconstruire quelque chose, plus tard, quand la société serait assainie. Malheureusement, c’était aussi ce genre de pleutres qui faisaient que des intégristes pouvaient prendre des postes de pouvoir sans que personne ne moufte. Qu’est-ce que le type faisait chez Gryffondor? Mystère...

Il reposa sa tasse vide sur la table, avec un sourire froid. Fouilla dans sa poche et déposa quelques pièces sur la table, avant de se lever.

« Bien. C’était une conversation instructive mais je dois filer. Bonne recherche d’emploi. Lupin.»

Il n’avait pas offert les suggestions qu’il avait eu l’intention de partager à l’origine, pour aider le type. Pire, il n’avait pas changé d’avis sur le Gryffondor ; ou plutôt, si, mais sa vision du garçon s’était dégradée

Très franchement, il était sur le point de tourner les talons quand Lupin le retînt.

Pourquoi Gauwain écouta-t-il, au lieu de le planter là ? Peut-être, au fond, parce que malgré son énervement, une part de lui continuait de penser à Kalia, à Angie et Florian. Sans doute leur devait-il au minimum d'écouter ce que l'autre jeune homme avait à dire. Ses explications.

Et quelles explications.... !

Son froncement de sourcils s'accentua à chaque phrase de l'ancien Gryffondor. Si Lupin avait un mobile ultérieur, quel serait-il ? ….Hormis vouloir le retenir, mais très honnêtement, le Gallois ne faisait rien de stratégique, il n'y avait aucun intérêt valable à vouloir le retenir. Gauwain prit le temps de le dévisager, de peser le pour et le contre. Il ne paraissait pas plaisanter. Les ombres étaient plus marquées sur son visage, et il ne paraissait tirer ni fierté ni plaisir à admettre ça, plutôt une forme d'amertume honteuse. Étrangement, il parut, en quelques phrases, plus honnête et plus vrai que tout ce qu'il avait pu offrir depuis le début de cette conversation.

Lentement, l'étudiant vînt se rasseoir face à Lupin.

« Comment ça, fiché ? A cause de Black et Potter ? »

Non, ça n'avait pas de sens, le Ministère n'avait pas de fichiers concernant la délinquance juvénile à Poudlard. Plus grave ? Est-ce que la bande à Potter avait causé de véritables problèmes en dehors de l'école ? Oui, il pouvait les imaginer faire ça mais.... on en aurait entendu parler. Et puis Lupin sous-entendait qu'il était fiché avant Poudlard....

Il passait en revue mentale ses cours administratifs. Les différents fichages réalisés par le Ministère... Les registres... Il y en avait de toutes sortes. Animagus,  Gobelins, Loups-Garous, Sangs-Purs, Vampires, Vélanes. Mais parmi tous ces statuts, très peu vous empêchaient d'exercer des fonctions pour le ministère.

Il se figea. Remus Lupin n'était pas un Gobelin. Ni un Sang-Pur. Gauwain attendit la suite, le regard aiguisé.