Razvan était occupé à boire un thé à la table du salon lorsque ses yeux se portèrent sur le gros titre de la Gazette du Sorcier. Il s'en étouffa avec son breuvage qu'il recracha dans sa tasse, sous le regard profondément stone du croup de Neolina. Ahuri de voir qu'un journaliste avait l'outrecuidance d'accuser frontalement une famille noble de meurtres - qu'ils avaient effectivement commis - le roumain laissa ses yeux noirs glisser au bas de la page pour lire le nom de l'insolent qui n'avait même pas anonymisé son nom. Un tel acte de courage lui laissait plutôt penser qu'il était là un homme suicidaire, qui ne tenait pas à la vie. Ce garçon ne passera probablement pas en vie toute l'année 1980.

La bêtise n'avait-elle donc aucune limite ?

Enfoncé dans le velours de son fauteuil, les flammes de l'âtre réchauffant agréablement son corps encore engourdi par sa balade de l'après-midi, Hermes feuilletait l'infâme torchon. Pouvait-on seulement gâcher plus d'encre qu'en écrivant dans ces pages ? Pouvait-on perdre plus de temps qu'à lire ces inepties ? Mais son rôle dans cette guerre dépeinte par des gens qui n'en comprenaient pas les intrications consistait à se mettre au même rang que le peuple, et le peuple ne nourrissait de ces balivernes autant que de la mauvaise nourriture qu'on servait dans les quelques troquets encore ouverts, malgré la peur.

L'article de la une lui arracha une grimace qui vira bien vite au rictus. Ainsi donc, leurs rangs ne parvenaient pas à acheter les quelques journalistes avec assez de jugeotte pour réussir là où les Aurors échouaient lamentablement ? Moran Powell. Mieux aurait valu que ce rat périsse à la galerie, si seulement Flint avait été capable de réussir à la seule tâche qui lui avait alors incombé. Mieux aurait valu qu'on achève sa triste vie quelques mois plus tôt, dans la tristesse de sa piteuse chambre d'un hôpital public, car peut-être alors n'y aurait-il pas eu de souffrance. Une chose était désormais sûre, Moran Powell payerait pour son audace. Mais pas tout de suite. Certainement pas. La vengeance ne pouvait s'obtenir quand l'encre était à peine sèche, au risque alors de voir l'homme passer par un martyr. Et s'il y avait bien une vertu dont pouvait se vanter Hermes, c'était bien la patience. Lui, homme qui ne pouvait même pas encore officialiser ses fiançailles, lui homme voué à s'acoquiner avec ces êtres qu'il haïssait tant pour mieux les détruire.

Mais surtout, lui homme dont l'imagination aurait alors tout le loisir de trouver une sentence à la hauteur de l'affront.

Le témoignage de la médicomage? Rien à faire. Les jeux magique? Pas mieux. Le marché de Noël? Clairement et visiblement elle avait bien mieux à faire. Elise s’était tendue immédiatement, prenant toute son attention disponible pour la fixer sur cet article. Il commençait de façon directe, c’était le moins que l’on puisse dire. Si Elise elle-même avait déjà été accusée (à tord ou non d’ailleurs) cela n’avait encore pas été le cas de son fils aîné. Pas aussi directement, pas aussi clairement… et surtout pas aussi publiquement. Des noms, des accusations… une lettre??? Non c’est pas vrai, il n’avait pas fait ça… Un peu plus de temps de lecture, un juron français répété un nombre de fois difficile à évaluer pour elle après coup, et Elise se mettait en route. Il fallait récupérer Amaury et le planquer dans un endroit où on ne lui mettrait pas la main dessus. Sans parler du savon qu’il allait prendre… Quand à Moran Powel... ce n'était sans doute qu'une question de temps. Au moins il avait attiré l'attention de la Lerouge. Et ses petits camarades n'allaient certainement pas tarder à suivre le mouvement.