Septembre 1978, après le RP sur les tourments Spudmore

La nuit était tombée à pas de loup sur la ville de Londres. Une à une, les lumières s'allumèrent pour combattre la morosité apportée par l'obscurité ambiante.
Alizea faisait les cent pas chez elle. Son époux, Randolf n'était toujours pas rentré. Ce n'était pas si inhabituel de rester travailler tard mais ça la travaillait. D'habitude, Randolf envoyait un hibou s'il restait plus tard à la fabrique. Ça lui arrivait de perdre un peu le fil du temps mais il en envoyait toujours un avant neuf heures du soir.
Elle avait observé la nuit avancer, regardant l'horloge toutes les dix minutes ou presque.

Une heure et demie plus tard, toujours aucune trace de Randolf. Il avait peut-être oublié tout simplement. Une fois pris dans son travail, il perdait notion de tout ce qu'il y avait autour. Ali griffonna un parchemin qu'elle envoya à la fabrique.

Ali avait essayé de se changer les idées. Elle avait mangé...enfin picoré tout en jetant des regards à l'horloge, commencé un livre qu'elle avait bien vite délaissé. C'est finalement la musique qui finit par l'apaiser quelque temps.
Toutes les autres maisons de la rue étaient désormais éteintes à présent. Et Randolf n'était toujours pas rentré. Son hibou était demeuré sans réponse et Alizea ressentait une inquiétude grandissante.

La jeune femme passa sa chemise de nuit, se préparant pour le coucher tout en sachant qu'elle ne fermerait guère l'oeil tant qu'elle n'aurait de signe de lui. Et s'il lui était arrivé malheur ? Si de nouvelles attaques avaient eu lieu sur le chemin de Traverse ? Seules ces interrogations la rejoignaient dans le lit conjugal qui lui parut démesurément vide.

Ali s'était décidée à attendre encore une heure dans le salon avant d'aller voir par elle-même à la boutique. Mais seulement quelques minutes après, le bruit d'une clé dans la serrure la fit se redresser.
« Randolf ! » s'exclama-t-elle en se précipitant à sa rencontre pour le prendre dans ses bras, soulagée de le voir en un seul morceau.

« Tu as vu l'heure ? Où étais-tu et pourquoi ne m'as-tu pas prévenue ? Je me faisais un sang d'encre ! » lui reprocha aussitôt la jeune femme, agacée de s'être tourmentée toute la soirée à son sujet. Mais quelque chose dans l'expression de son mari semblait...différente.

« Il s'est passé quelque chose ? »

Le coeur de Randolf battait à vive allure dans sa cage thoracique. Tellement, si vite que même la plus violente des parties de Quidditch à laquelle il ait participé à Poudlard ne lui avait pas donné cette impression d'être au bord du gouffre. Il avait l'étrange impression d'avoir le crâne engourdis, les sens limités. Anselmus avait disparu dans un pop sonore et lui, il était sauvé. Sauvé de ce qu'il avait fait, au détriment de son frère, mais sauvé tout de même. Il avait fallu de longues minutes supplémentaires pour que Randolf se décide à rentrer chez lui, après avoir néanmoins glissé un mot à Able Spudmore pour lui signifier que le sujet était clos et qu'il avait résolu le problème. Le père et le fils avaient au moins cela de différent que l'aîné était quelqu'un de foutrement pondéré. Trop peut-être d'ailleurs, héritage tiré sans aucun doute de la mère. Et puis, comme ça, sans s’appesantir, Randolf était parti. Il ne savait même pas l'heure qu'il était, et pour être honnête, il s'en fichait bien. L'allemand avait même envisagé de retourner travailler pour le reste de la nuit, parce qu'il lui semblait bien étrange de rentrer se coucher chez lui alors qu'il avait l'esprit pollué d'une grande dose d'adrénaline et de regrets. Et tout occupé qu'il était à penser mangemorts, balais indétectables et conspiration, le menuisier n'avait pas anticipé la furie d'Alizea qui l'attendait chez eux.

Aussi afficha-t-il un air purement circonspect devant la tornade qui lui arriva dessus, comme s'il avait été pris dans un carambolage de balais volants. Il laissa son regard filer vers l'horloge pour voir qu'effectivement, il était tard. Et Randolf n'était pas d'humeur du tout à subir un interrogatoire. Il avait été le premier à se battre pour l'aider à obtenir une place dans leur entreprise. Le premier à insister pour que ses parents la traitent correctement. Le premier à insister pour qu'elle ne soit pas mise de côté. Et malgré tout cela, ce soir-là, l'Allemand était celui qui voulait la préserver de l'orage familial. « Rien qui ne te regarde » répondit-il d'une voix particulièrement froide, en pendant sa cape sur le porte-cape dans l'entrée. « Tu m'excuseras » dit-il en la contournant pour aller dans la cuisine. Alizea ne savait pas cuisiner mais à cet instant, Randolf aurait été capable de manger n'importe quel aliment cru. Il n'avait pas réalisé jusqu'alors qu'il avait faim à ce point, mais c'est en sentant ses jambes devenir plus flasques qu'il le compris. Cette soirée l'avait éprouvée plus qu'il n'aurait pu l'imaginer. Les émotions s'étaient succédées et il avait tellement réfléchi pour se tirer de ce merdier qu'il avait créé qu'il était épuisé. Épuisé, et justement pas en état de livrer une bataille supplémentaire. Avachi sur une chaise de cuisine, Randolf se contenta d'enfouir son visage dans ses mains.

« Rien qui ne te regarde. »
Ali ouvrit la bouche, en vain sans qu'aucun son n'en sorte. Elle se sentait désarmée par la situation. Que se passait-il encore ? Et son époux qui prenait grand soin de l'éviter comme si elle ne comptait pas. Elle aurait tout aussi bien pu prendre la porte sans qu'il ne lève le moindre doigt. Le cœur de la jeune femme se serra à cette pensée. Y avait-il encore quelque chose entre eux ? Etait-il possible qu'elle ait perdu les deux frères Spudmore dans ce mariage.

Elle le suivit à la cuisine sans prononcer un mot, fait très inhabituel venant de sa part.
Alizea observa son mari, interdite. La tête entre les mains, il semblait clairement à bout. Elle aussi. Elle ne savait même plus si elle avait envie de crier ou de pleurer. Le mutisme Spudmore. Il avait fait de son mieux mais elle finissait par se le prendre de plein fouet. En pleine figure.

« ça me regarde. » commença-t-elle doucement. De toute façon, elle ne pouvait plus garder ça pour elle. « Ce n'est pas parce que tes parents ne le veulent pas que tu devrais les écouter. Nous sommes mariés, ce qui te regarde, me regarde. » affirma-t-elle d'une voix plus sereine qui indiquait clairement qu'elle ne lâcherait pas l'affaire. Pas cette fois.

« Qu'est-ce qui se passe Randolf ? »

Randolf était probablement un homme cassé qui n'était pas fait pour le mariage. Difficile en effet de supporter son air absent, constamment pris par ses affaires, ses balais, ses bois. Là pourtant, plus large que l'entreprise familiale, c'était un autre sujet qui le tourmentait, quelque chose qu'il regretterait. Mais qu'importait, il s'était protégé. Il avait protégé Alizea. Alizea qui maintenant voulait des réponses qu'il n'était pas prêt à donner. Se réfugier dans la cuisine était une piètre stratégie, ne pas lui répondre également. Il avait besoin qu'on le laisse cogiter, encore, encore, encore. Entendre la voix de son épouse dans ses oreilles ne l'aidait pas à se calmer. Randolf voulait bien ses bras, éventuellement. Et encore, il ne le méritait pas. Il avait donné son frère en pâture au monde. Il avait été plus malin que lui, comme souvent. Anselmus était une bonne personne, bien meilleure que lui finalement. Qu'est-ce qu'il le jalousait...

Même si son épouse avait prit une voix plus douce probablement que ce qu'elle ressentait, Randolf ne se sentait pas de lui avouer les choses. De voir la déception dans ses yeux. De se retrouver mis à nu, lui qui s'était tu pendant des mois. Il ne le pouvait pas. L'allemand releva la tête pour la regarder de son air blessé, le regard hagard. « Je ne le peux pas ». Qu'ils soient mariés ou non, il ne pouvait pas lui dire cela. « Ce n'est pas que je n'ai pas confiance en toi » - l'animal se confiait un peu, quel miracle - « c'est que je ne le peux pas. Ca ne concerne pas la Compagnie, enfin, pas vraiment ». Ça concerne Anselmus, tu sais, ton ami, mon frère, celui que j'ai condamné à la prison. Il déglutit difficilement et tapa doucement sa main sur la table d'un air absent : « Tu liras la presse demain ». Comme si Alizea était n'importe qui et pouvait lire la presse pour apprendre les choses concernant sa famille. Comme si ce n'était pas grave, comme si elle n'allait pas faire de crise. « Tu as cuisiné quoi ? ». Bah voyons, change donc de sujet, Randolf...

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