Les fêtes arrivaient à grands pas ... Prudence imaginait sa mère vanter les talents de musicienne de sa fille auprès des amis, de la famille, ne donnant plus le choix à la jeune Serdaigle que de jouer un petit morceau de piano histoire de calmer les hardeurs du public réclamant avec acharnement une démonstration ...
C'était de la faute de Prue ! C'était elle qui avait rassuré sa maman de ses occupations à Poudlard : " Je ne sors pas, comme tu me l'as demandé, restant cloîtrée dans la tour des Serdaigles à dévorer les livres de notre bibliothèque privée. Comme je suis arrivée au bout, je les relis une deuxième fois. Et quand j'en ai marre, je vais dans la salle sur demande m'entrainer au piano. " Quel mensonge ! Mais il fallait bien ça pour éviter que la Mère Bones ne soupçonne une minute que sa fille passait son temps à voler sur un balais ...

Ce dimanche matin, elle avait donc décidé d'aller pianoter une petite heure, histoire de ne pas avoir l'air d'une cruche le jour de la Noël devant une famille hystérique réclamant une mélodie. Histoire de montrer que son mensonge était cohérent, Prudence devait trouver autre chose que ce qu'elle ne jouait durant les grandes vacances, quand elle était emprisonnée chez elle ... obligée de se soumettre aux activités qui lui étaient permises : lecture, piano, dormir et à la limite, un peu de couture façon moldue. L'horreur ! Inutile de préciser que Poudlard avait été l'échappatoire ...

Arrivée dans le couloir, elle passa trois fois devant la pièce cachée, pensant à un piano avec quelques nouvelles partitions. Et quand elle entra, elle ne fut pas étonnée qu'il se trouvait dans la pièce tout ce qu'elle avait imaginé, au détail près. Elle avait un peu l'habitude ... Dans un long soupire, elle s'avança, s'installa sur le tabouret et prit le temps de déchiffrer la partition.

- " Quelle plaie ! " marmonna-t-elle, voyant dans cette activité plus un tue le temps qu'un passe-temps. Toute activité qui lui était accordée par sa mère était vue comme une punition ... pas étonnant qu'en arrivant à Poudlard, elle avait aimé les escapades nocturnes, les promenades dans le parc, se baigner dans le lac les jours d'été et surtout ... le quidditch !

Après quelques minutes, elle commença à jouer la première portée, décomposant chaque note, puis recommençant ce qu'elle avait fait, de manière plus harmonieuse ... puis elle recommença une troisième fois. Elle s'arrêta. Souffla encore une fois, avant de s'attaquer à la deuxième portée, recommençant le même processus ... puis jouant les deux portées en suivant, laissant entendre une mélodie harmonieuse ou pas dans le couloir ...

Une voix derrière elle, quelques mots qualifiants son jeu de mauvais ... de quoi faire sursauter Prudence qui avait frôlé plusieurs touches du clavier en même temps, provoquant un son lourd ... comme serait sa réaction d'ailleurs !

Elle se retourna pour observer la personne se permettant d'écouter en cachette son piètre jeu ... Un Serpentard, mais elle ne le connaissait que de vue. Un de dernière année, sans plus. Que faisait-il ici ? Si tôt ?

- " Sympa. Dois-je comprendre que c'est par sympathie que ma mère trouve mon jeu agréable ? " demanda-t-elle froidement ... Elle n'aimait pas qu'on la surprenne comme ça. Elle n'aimait pas qu'on la critique de cette manière. Et puis, c'est pas comme si elle connaissait le morceau, elle le découvrait. Vraiment de mauvaise foi !

Elle se retourna face à la partition, perturbée ... la main tremblante cherchant l'emplacement des touches, jetant quelques coups d'oeil sur ses portées puis sur ses doigts manquant d'agilité. Un peu crispée, elle plaqua ses doigts sur dix touches différentes en même temps et se retourna vivement : " Oui, j'suis nulle. Mais t'es pas obligé d'écouter mes horreurs, hein ? "

Et puis, à la regarder du coin de l'oeil, Prudence imaginait toutes les critiques qui défilaient dans la tête du garçon. La Serdaigle avait encore moins envie de jouer ... c'est pas comme si elle en avait une envie folle depuis le départ d'ailleurs ... Elle essayait à nouveau de se concentrer, face au piano, mais rien n'y faisait. Le fait de savoir qu'elle était observée et critiquée la rendait mal à l'aise.

- " Et puis la critique est facile ! Montre-moi un petit peu ce que tu peux faire, toi ! " réagit-elle soudainement, laissant le tabouret au jeune homme, l'invitant à montrer ses talents. Si il était si critique, il devait se montrer bon joueur ... En tout cas, Prudence ne s'attendait pas une minute à se retrouver face à un virtuose. Elle allait sûrement déchanter ...

Il l'agaçait. Se promenant autour d'elle, la dévisageant du regard, observant toutes les critiques à faire ... sans se cacher de les dire à haute voix. Qui aimerait qu'on agisse de la sorte ? Prudence pensait qu'à une chose : " Viens sur le terrain de Quidditch, on va voir si Mr Je-sais-tout aura encore quelque chose à dire. " Mais elle ne pouvait pas dire qu'elle jouait à ce sport, ou même qu'elle savait voler sur un balais. Et pourtant, en ce qui concernait ce sport sorcier, Prudence était très douée. C'était bien ça, l'ironie du sort.

Elle avait donc cédé sa place à ce prétentieux. Et manifestement, il n'avait pas l'air de vouloir jouer au piano ... Savait-il seulement en jouer ? Il lui répliqua quelques remarques au visage que Prue ne releva même pas. Elle ne lui répondit pas non plus d'ailleurs. C'était du vent tout ça ! Il faisait style qu'il savait jouer, mais en fait, il savait pas. Prudence en était persuadée.

La pression se montrant sûrement trop forte, il finit par s'assoir, hésitant à déposer ses doigts sur les touches de l'instrument. Un silence olympien s’abattit dans la pièce, et Prudence, patiente, attendait qu'il s'y mette et prouve de quoi il était capable. Elle se retint de lui dire : " J'vais t'aider ... le do, il est là mon chou ! " Elle se contenta juste d'un mince sourire sur les lèvres. Il nous faisait quoi là ? Il réfléchissait ?

Puis il se tourna enfin vers la Serdaigle, demandant ce qu'elle comptait faire. Elle ? Elle attendait qu'il montre de quoi il était capable et ensuite elle s'en retournerait à ses leçons de piano ! Il fallait bien qu'elle avance, non de non ! Elle n'était pas là pour faire la causette avec un Serpentard dont elle ignorait tout ...

- " Montre-moi comment je devrais jouer. Ce sera déjà un début d'apprentissage, non ? " lui répondit-elle. Ça sonnait un peu comme un défis. Elle y croyait pas qu'il puisse jouer parfaitement de cet instrument. Elle n'avait aucune idée de qui elle avait en face d'elle : un pro du piano. Aussi pro qu'elle l'était au Quidditch ...

" C'est ça, plus ouverte ... " pensa-t-elle ironiquement en entendant Evan soumettre l'idée qu'elle puisse accepter les critiques qu'il lui ferait. Qu'il joue d'abord, on verrait bien ensuite ! Mais déjà, en nommant ce qu'il allait jouer, d'une manière si pro ... ça puait ! Prudence allait se faire ridiculiser, elle le sentait ... ça lui apprendrait à essayer de faire la maligne ...

Parce que Evan était tout sauf débutant. Il lui joua une de ces musiques ! Prudence restait béat, la bouche limite ouverte. C'était si beau ce qu'il jouait.
Ce petit virtuose emmena Prue dans des rêves grâce à sa musique. Elle s'était sentie déconnectée. A un tel point que quand il eut fini, la belle dû redescendre sur terre : à côté de ça, la Serdaigle c'était rien, que dalle, nul. Elle le savait ... le piano, c'était pas fait pour elle. Aux yeux de sa mère qui voyait là une activité rassurante pour sa fille, c'était juste parfait. Mais du point de vue de Prudence, c'était pas du tout ça. Elle voyait cet instrument comme une obligation, une prison ... Et face à ce que faisait le Serpentard, elle avait encore moins envie de jouer. Mais elle n'avait pas le choix ! Il fallait qu'elle maintienne le doute sur ses pratiques à Poudlard.

Prue déposa un regard sur le virtuose qu'était Evan. Autant elle avait pu lui lancer des regards d'agacement ou même de défis depuis le début de leur entrevue, autant à présent, son regard était plein de surprise et de respect. Elle se permit de s'assoir à ses côtés, sur le grand tabouret. Son regard se perdit sur les touches du piano, puis elle releva ses yeux clairs sur le Serpentard :

- " T'as pas envie de venir jouer du piano à Noël chez moi ? " lui demanda-t-elle dans un sourire, amusée. Peut-être que sa mère lui lâcherait la grappe devant un joueur de piano aussi douée. Mais Prue savait que ça suffirait pas. C'était par plaisanterie qu'elle avait posé cette question. Elle devrait passer par là, elle le savait ...

Prue avait eu un geste de surprise, en sentant les mains du garçon sur les siennes. Il les avait prises, les plaçant sur ses mains. Il était surprenant d'observer leur animosité au début de leur rencontre, et de la comparer à leur proximité à présent. Prudence se sentait un peu mal à l'aise de sentir la chaleur des mains de ce bel inconnu qui la guidait sur le chemin des notes de Mozart. Alors que ses doigts semblaient crispés, il lui demanda de fermer les yeux ... pour qu'elle puisse se laisser aller et que la musique l'emporte. Et effectivement, les paupières clauses, elle sut se relaxer et ses doigts se mêlèrent à ceux d'Evan, l'accompagnant dans cette musique. Elle appuyait chaque note au même moment que le Serpentard, et se surprit à se rendre compte qu'un sourire apparut sur ses propres lèvres ... comme si jouer du piano lui procurait une satisfaction personnelle, pour une fois !

Puis Evan se stoppa dans ses gestes. Prudence avait gardé les yeux fermés, gardant la touche appuyée, laissant un son sourd pour conclure leur morceau. Ce son se tut, et Prue mit du temps avant de rouvrir ses yeux et de quitter les mains d'Evan. Elle joint ses mains l'une contre l'autre, les frictionnant, gênée. C'était bizarre de se retrouver dans le silence, ne sachant plus quoi vraiment dire. Toute cette histoire la troublait, cette rencontre était particulière ... et donnait un peu de couleurs dans cette activité qu'elle n'avait pu apprécier à sa juste valeur jusqu'à présent.

Elle passa une main dans ses cheveux, et releva son regard bleu océan sur le jeune virtuose :

- " Tu joues très bien. " avoua-t-elle. Puis elle indiqua le piano d'un coup de tête. " Tu dois y jouer souvent, non ? "

Prudence s'était permise de relâcher sa garde, laissant entrer dans sa bulle ce bel inconnu ... et voilà qu'elle regrettait de s'être montrée si aimable et gentille. Il venait de lui répondre sèchement et Prue se sentie frustrée, elle qui avait eu l'impression d'avoir une connexion particulière avec ce virtuose. Elle avait du mal à le cerner, alors qu'il s'était montré quelques minutes plus tôt si attentionné et ouvert ... là, il était carrément fermé et exécrable. Un beau salopard de Serpentard !

Elle se braqua, croisant les bras sur son torse et jetant un regard noir envers son interlocuteur. Prue ne se laissait pas marcher sur les pieds : si il croyait qu'elle se laisserait traiter n'importe comment, il se leurrait complètement !
Prudence avait du mal à comprendre la frustration du garçon : elle n'avait pas l'impression d'avoir posé une question indiscrète ...

- " C'est pas la peine de déverser toute ta frustration sur moi. " répliqua-t-elle sèchement, retrouvant le ton de voix qu'elle avait utilisé au début de leur conversation. " Qu'est-ce que j'peux savoir que t'en joues plus, hein ? Tu m'en n'as pas donné l'impression. " ajouta-t-elle. Et se rendant compte qu'elle lui offrait un autre compliment, elle enchaîna, comme pour faire oublier ce qu'elle venait de dire. " C'est pas une bête question que de te demander si t'en joues souvent. Et j'vois pas en quoi ça te met dans des états pareils, hein ? Qu'est-ce que je donnerais pas pour ne plus en jouer, moi ! " fit-elle remarquer. Pourquoi elle lui disait ça ? Pourquoi elle lui avait révélé une partie de ses sentiments au sujet de cet instrument ? Il ne méritait pas à ce qu'elle se révèle à lui. S'en voulant à elle-même d'avoir laissé échapper cette révélation, elle ferma d'un coup sec le piano et se releva, prenant son sac qu'elle avait déposé sur le sol.

- " La prochaine fois que t'entendras ma musique pitoyable, t'éviteras de rentrer dans la salle, hein ? " dit-elle en faisant comprendre qu'elle allait s'en aller. Elle continuait à se montrer frustrée et blessée. Puis, elle fit mine de partir ...