Les lunettes sur le nez, je me renversai dans ma chaise dans un énième soupir, après la conclusion d’un dossier particulièrement long… Et surtout très ennuyeux. Je regardai la grande horloge qui berçait mes longues journées d’un tic tac régulier avec envie. Encore quelques secondes, et je serais libre de rentrer chez moi, pour oublier ma journée passée… Et celle à venir, assurément aussi banale que toutes les autres. Je commençai déjà à ranger paresseusement mes affaires, ordonnant mon bureau, et me levai à l’heure très exacte de ma débauche.

Mon pardessus fut vite enfilé et mes lunettes rangées dans leur étui. Je partis vers les ascenseurs, évitant quelques missives qui volaient à hauteur de ma tête, et entrai en me fondant dans la masse des autres sorciers qui pouvaient enfin rentrer chez eux. L’atrium, plein de bruits de pas et de robes de sorciers, grouillait d’une vie qui était étonnante au vu de l’heure. Apparemment, tout le monde était aussi enchanté que moi à l’idée de quitter le Ministère… Enfin arrivé devant la cheminée qui me menait non loin de chez moi, je m’y engouffrai en un grand pas, atterrissant dans la petite salle miteuse que je commençais à trop connaitre. Je sortis en vitesse, fis quelques pas à l’intérieur de la rue sombre et m’appuyai contre le mur humide du bâtiment qui abritait quelques secrets irrévélables aux moldus.

Je m’accordais quelques instants de répit, inspirant lentement l’air chargé de froid et d’humidité de Londres alors que j’entendais les passants dans une rue parallèle. Ouvrant les yeux, je regardai le ciel noir où on pouvait apercevoir quelques étoiles naissantes à travers les nuages lourds d’eau. Je me sentais un peu plus alerte qu’il y a quelques minutes, dans la fraicheur de la soirée. Mon regard clair semblait plus réveillé que pendant mes heures de travail et j’avais l’impression d’être bien plus en forme. Je me détachai du mur, avant de me passer la main dans les cheveux et de remettre mon chapeau… Quand j’entendis un bruit.

Une respiration saccadée, plus exactement.

Par réflexe, je me tendis et me préparai à un éventuel combat car, même si je n’avais pris aucun parti dans le début de guerre qui se profilait, je n’étais pas à l’abri d’une attaque. Evaluant du regard la rue dans laquelle je me trouvais, je remarquai une silhouette éclairée par la rue adjacente. Une blonde plantureuse se tenait là, haletante, comme en proie à un mal sourd qui la faisait se plier en deux. Alors que j’hésitais à partir et la laisser, car après tout ses soucis n’étaient pas les miens, je remarquai que la jeune femme changeait peu à peu d’apparence. Ses cheveux, blonds au premier abord, foncèrent pour prendre une teinte brune et bouclèrent, alors que ses yeux quittèrent leur couleur grise pour un marron presque doré. Une fois la transformation terminée, surement l’effet du Polynecter qui venait de s’estomper, je me trouvais face à une brunette que j’avais l’impression de connaitre. Son visage à la mâchoire carrée me rappelait quelqu’un et, même si la teinte était différente, cette masse volumineuse de cheveux et ces grands yeux étaient en tout point similaire à elle. Sylvia ?... Je restai troublé quelques instants et, avant que je n’aie eu le temps de prononcer le moindre mot, la nouvelle venue tournait son regard vers moi.

Je me redressais instantanément. Ce n’était pas Sylvia, c’était sa sœur, de Serdaigle, celle qui ruminait la répartition de la jeune sorcière de l’autre côté de la table ce jour-là. Je la croisais parfois au ministère, quand elle se rendait à la section des Aurors ou quand elle avait besoin de la confédération des sorciers. Mais jamais je ne lui avais adressé un mot, me contenant de la saluer quand elle passait à mes côtés. Au vu de sa réaction, j’étais assurément au mauvais endroit, au mauvais moment et j’étais presque persuadé que j’allais devoir m’expliquer devant elle.

Un léger sourire en coin s’égara sur mes lèvres habituellement stoïques alors qu’elle s’avançait, apparemment mécontente d’avoir été observée. Je me demandais bien quel intérêt elle avait à revêtir cette apparence grotesque, surement pour tromper quelqu’un… Une espionne ? Dans ce cas sa réaction était légitime, mais je n’étais pas d’humeur à lui rendre la tâche plus facile. Ajustant mon chapeau melon, je la saluai rapidement, avant de filer dans l’obscurité de la rue qui me ramènerait chez moi, sans adresser le moindre mot.

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La hargne de la jeune femme fit vite place à un peu d'incrédulité, surement face à ma réaction. Même si je ne le montrais pas, voir son subtil changement d'attitude m'amusait au plus haut point, chose qui ne m'étais pas arrivé depuis... Depuis assez longtemps au final. Moi qui ne sortais jamais de mon apathie habituelle, la réaction de cette sorcière face à moi, qui semblait ridiculement enfantine dans sa robe trop grande, ne me donnait pas envie de rire, mais au moins de sourire... Et de faire preuve d'un peu de moquerie.

Mais je me retins et restai stoïque face à elle, lui exposant clairement et simplement ce que je venais faire à l'endroit où elle avait décidé d'échouer après sa petite séance dans l'autre camp. Mon ton et ma réponse semblaient lui convenir, puisqu'elle baissa enfin sa baguette et se détendit un peu, malgré les frissons qui semblaient la parcourir. Elle devait en effet avoir froid, dans cet accoutrement. Même avec mon pardessus et mes vêtements ajustés, je sentais la fraicheur du soir. Alors elle...

Quand elle finit par répondre, définitivement calmée, mais surement un peu dérangée de me laisser partir sans pouvoir être sûre que je ne vendrais pas la mèche, je laissai une infime ombre de sourire s'installer sur mes lèvres. Expression fugace de ce qui pourrait s'approcher, chez moi, à de l'amusement. Je ne devrais pas m'amuser d'une Auror, mais c'était plus fort que moi. Surement l'idée que j'étais, au final, en position de force à savoir quelque chose que personne d'autre, à part elle, ne savait.

- La discrétion est l'art que je maitrise le mieux, mais je pense qu'il serait temps pour vous de vous y initier... répondis-je en la contournant pour reprendre mon chemin comme si rien ne s'était passé.

Je fis quelques pas, avant de me retourner et de la saluer sobrement.

- Bonne soirée Mademoiselle Harper.

Peut-être aurais-je du lui demander des nouvelles de Sylvia... Mais j'avais déjà épuisé mon temps de paroles pour le reste de la soirée.

Sans prendre la peine de baisser un regard vers elle après ma remarque piquante, je sentis cependant qu'elle avait fait mouche. Penelope s'était crispée très légèrement, mais assez pour que je le remarque. Elle semblait sur le point de me répondre de manière cinglante, mais au final rien ne vint pour contrer ma réplique et je m'éloignai avec la sensation assez étrange mais très agréable d'avoir remporté la partie. Ce n'était pas dans mes passes temps de m'amuser à répondre de la sorte lors de conversations, mais si au final cela me permettait d'écourter les échanges avec les autres, j'allais peut-être y penser plus souvent...

Après l'avoir salué, je m’apprêtais à repartir quand la voix de la sorcière s'éleva, incertaine. Intrigué, je me retournai pour l'observer blanchir significativement alors que sa main s'éloignait lentement de sa nuque. Elle était tachée de sang et semblait la paralyser à un point inimaginable. Je rêve, ou je me trouvais en face de la seule Auror terrifiée par le sang ?... Alors que j'allais lui demander si elle allait bien, je la vis, sous mes yeux, s’écrouler au sol dans un bruissement de robe.

Interloqué, je l'observai alors qu'elle gisait par terre, me demandant un instant ce que je devais faire, avant de me reprendre. Abruti, va la ramasser au lieu de la laisser par terre, déjà qu'elle a froid, elle n'a pas besoin de ça en plus... Je revins rapidement sur mes pas, m'accroupis près d'elle et cherchai son pouls. Il était faible, mais présent. Soupirant, je posai ma mallette au sol, avant d'attraper Penelope par la taille et de la hisser sur mon épaule, laissant sa tête et ses bras ballants dans mon dos. Manquerait plus que je la tienne convenablement...

Je récupérai mon cartable et me relevai, tanguai un peu avant de me stabiliser avec le nouveau poids que j'avais sur l'épaule, puis repartis vers mon appartement d'un pas rapide. En quelques minutes à peine, je grimpais les marches quatre à quatre, ouvris la porte qui menait à mon petit salon encombré et posai Penelope en faisant un minimum attention. Après avoir viré mon manteau sur le bras d'un vieux fauteuil en cuir usé, je pris un torchon humide pour l'appliquer sur sa plaie à la nuque, avant de sortir ma baguette. Je n'étais pas à l'aise avec les sortilèges de soin, mais je savais soigner de petites plaies comme la sienne.

- Vulnera Sanentur.

Déjà, le sang ne coulait plus autant.

- Vulnera Sanentur.

La plaie diminuait déjà à vue d'oeil.

- Vulnera Sanentur.

Et de la plaie, il ne restai qu'une fine cicatrice. Je soupirai légèrement, passai une main sur mon front avant de m'assoir dans le fauteuil face au canapé sur lequel Penelope était allongée. Elle n'avait plus qu'à se réveiller maintenant.

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Une fois la blessure sur la nuque de Penelope guérie, je m'assis quelques instants dans mon fauteuil abimé, l'observant un peu de mon regard plus expressif qu'à l'accoutumée. Un peu plus alerte, je surveillais la réaction de la sorcière pour m'assurer qu'elle aille bien. Quand je remarquai que sa respiration était apaisée et qu'elle semblait se reposer, je me levai en silence, partis dans la cuisine exiguë où la petite cuisinière chauffait en permanence l'appartement entier. Je fis chauffer de l'eau dans une bouilloire, avant de revenir m'assoir en attendant le réveil de la jeune femme.

Je remarquai sa tension dès son réveil. Elle détailla le moindre recoin de mon salon de tomber sur moi, et je soutins son regard avec toute la neutralité dont j'étais capable. Je cachais le reste d'amusement qui restait dans mon regard mais également un peu d'inquiétude. Plus pour sa sœur que pour elle, d'ailleurs, je me disais que si je m'occupais de Penelope, peut-être pourrais-je avoir des nouvelles de Sylvia... Une fois parfaitement sûr qu'elle avait repris conscience, je me levai, ne répondis pas à son remerciement, et partis dans la cuisine. Je n'avais pas fait cela pour elle, seulement pour m'éviter les ennuis.

Les deux dernières tasses qui trônaient sur l'étagère furent réquisitionnées pour faire infuser un thé léger et je revins, posai la tasse la moins ébréchée devant elle avant de m'installer de nouveau dans mon fauteuil.

- Ne vous levez pas tout de suite, et buvez ça pour vous réchauffer, lui enjoignis-je en posant ma propre tasse sur la table basse.

Je l'observai de nouveau un instant, avant de m'appuyer sur ma main pour m'installer plus confortablement.

- Peut-être pourriez-vous prévenir quelqu'un pour éviter de partir toute seule...

Façon détournée de savoir si elle avait toujours un contact avec sa sœur. Mais vu leur relation fusionnelle, il ne faisait aucun doute qu'elle soit toujours dans les parages...

Sans le relever, je la laissai réajuster tant bien que mal la robe de sorcier trop longue pour elle, sans prendre la peine ni de lui proposer un quelconque vêtement pour qu'elle n'ai pas froid, ni de l'observer. Ca n'était pas dans mes habitudes d'épier les gens, et surtout les femmes. J'avais d'autres choses bien plus inintéressantes à faire. Une fois la tasse prête, je lui offris en silence, ébauchant difficilement un sourire à son remerciement muet. Faute d'être bavard, je pouvais au moins me montrer courtois...

Une fois la jeune femme servie, je me rassis et l'observai se réchauffer les mains avec le thé encore trop chaud. Je la laissai reprendre entièrement ses esprits, ayant déjà trop causé pour le moment. Dès à présent, je me contenterais de répondre à d'éventuelles questions, avant de la laisser s'en aller. Une présence dans cette pièce était trop étrange... Voir une âme humaine autre que la mienne au milieu de ce sanctuaire de livres changeait l'atmosphère du lieu. Il fallait dire que j'avais un peu forcé le trait sur ce coup ci... Les étagères voutées de porter trop de poids, les piles de manuels qui ne rentraient plus sur les murs et les meubles abimés par le temps étouffaient les bruits de l'extérieur, et entendre une simple respiration me faisait l'effet de perdre tout repère.

C'était comme si, d'un coup, mon appartement avait changé. Et, en bon ermite que j'étais, je trouvais l'impression très désagréable. Peut-être aurais-je du la soigner dans la rue et attendre qu'elle se reprenne, au lieu de la ramener ici... Etonné de l'impulsivité dont j'avais fait preuve, je restai pensif un instant, avant de la regarder comme si je sortais d'une profonde rêverie après ses paroles. Le temps que j'en comprenne le sens, quelques secondes s'étaient écoulées, marquées par le tic tac régulier de la trotteuse de ma vieille pendule, encastrée dans un coin de la pièce.

- Une collection un peu encombrante également, je l'avoue. Mais j'ai certains appétits à satisfaire, ainsi que les moyens de le faire. Pourquoi m'en priver dans ce cas ? répondis-je calmement, perdant mon regard dans les rayonnages de livres, caressant des yeux les couvertures de cuir des plus vieux ouvrages.

Je ne comprenais pas pourquoi j'avais eu besoin de me justifier, comme si par sa simple remarque, elle m'avait reproché cet encombrant. Comme si elle avait pu remarquer qu'au fond de moi, sans vouloir me l'avouer, j'avais du mal à supporter ce que ma vie était en train de devenir. Si je refuse de me l'admettre, ça n'était pas pour le faire à une quasi inconnue que je ne connaissais, au final, qu'à travers le portrait de Sylvia.

Conscient que mon silence et mon manque d'expressivité devait gêner la jeune femme, je ne fis cependant pas plus d'effort pour tenter de lancer la conversation. Trop rouillé, je ne savais plus pratiquer ce genre d'exercice et n'avais pas non plus l'envie de le faire. J'étais ainsi depuis plus de vingt ans, il me faudrait plus d'une rencontre pour pouvoir délier ma langue.

Je me contentai donc d'observer Penelope, intrigué de la voir gigoter, apparemment mal à l'aise au milieu de mon salon. Ce que je pouvais comprendre, peut de personne à mon sens pouvait être ici comme chez eux... A part les solitaires de ma trempe peut-être, car l'endroit ne se prêtait que très peu à la discussion. Je me trouvai presque ridicule, à être assis en silence face à elle. C'était comme si je n'avais pas approché de civilisation depuis très longtemps... Mais au final, c'était à moitié vrai. Ce n'était pas la foule matinale de Londres ou mes "collègues" de boulot qui me faisaient causer, et me donnait envie de le faire.

La fixant alors qu'elle reprit la parole, comme si c'était incongru qu'elle décide à nouveau de parler, je me demandais alors pour la centième fois au moins ce qui m'avait pris de l'amener ici. Non pas que Penelope me dérangeait, je n'avais rien contre sa personne, mais c'était surtout que je me savais incapable de gérer une conversation complète, spontanée et surtout, surtout naturelle. Au final, la seule personne avec qui j'avais eu assez d'aisance pour le faire, c'était sa petite sœur... Je m'en voulais un peu de lui infliger cette tension et cette atmosphère mal à l'aise à présent. Je baissai les yeux pour regarder les volutes de vapeur s'échapper de ma tasse encore pleine, avant de me décider enfin à mettre les pieds dans le plat.

- Si ce n'est pas trop vous demander, j'aimerais savoir s'il y a un moyen de joindre votre jeune soeur, Sylvia. Je n'ai pas eu de ses nouvelles depuis presque une décennie à présent, et je suis bien obligé d'avouer que nos discussions me manquent.

Clair, net et précis. Peut-être un peu trop. Mais ce qui m'importait, ça n'était pas de ménager la sorcière, mais plutôt d'obtenir les informations, quitte à être un peu brutal sur le changement de sujet.