« Tu commences par quoi ? » m'a demandé un camarade de maison d'un an plus âgé que moi, tandis que je me levais de table à la grande salle, sac de cours sur l'épaule.
— Métamorphose, ai-je répondu, et toi ?
— Sortilèges, on s'voit plus tard ? »
J'ai acquiescé d'un signe de tête. On avait l'habitude de se retrouver le soir autour d'une partie de bataille explosive. Depuis que je m'étais pris la tête avec les camarades de ma classe, il me fallait bien trouver d'autres personnes pour me tenir compagnie. Et à Serpentard, trouver quelqu'un qui ne rebute pas devant les mots "sang" et "impur", c'était plutôt difficile.
J'ai inspiré profondément pour me chasser ses idées de la tête puis, d'un pas décidé, j'ai quitté la grande salle pour me rendre au cours de métamorphose, premier cours de la journée. Mais en voulant monter les escaliers, je me suis retrouvé coincé par un groupe d'élèves qui me bloquaient le passage. Je me suis approché pour leur dire de virer mais ils se sont tous écartés d'eux-même avant que je n'aie eu le temps d'ouvrir la bouche. En reculant, l'un d'entre eux m'a bousculé et a sursauté comme s'il venait de voir le démon en personne.
« Wow, qu'est-ce qui se passe, ici ? Fais un peu gaffe où tu mets les pieds, d'acc... Howard ? »
C'est là que j'ai remarqué la Serdaigle allongée par terre. Elle semblait dans les vapes et autour d'elle, plus personne ne bougeait. Alors j'ai posé les yeux sur son bras. « Prenez garde ! » que ça disait. J'ai pas mis beaucoup de temps à comprendre d'où ça venait.
« Dégagez ! ai-je dit en jouant des épaules pour me frayer un chemin jusqu'à la jeune fille. Howard ? Eh, t'es avec moi ? Howard ? Mona ? »
Elle bougeait, difficilement mais elle bougeait, elle était donc encore consciente. J'ai attrapé son bras où était inscrits les mots qui avaient effrayé les autres élèves, puis j'ai passé son bras autour de mes épaules.
« Aller, ça va aller, je t'emmène à l'infirmerie. Accroche-toi, ai-je fait en la soulevant, mes bras autour de sa taille. Laissez-moi passer, foutez le camp, maintenant ! »
Mona ne semblait pas pouvoir se porter elle-même et le chemin jusqu'à l'infirmerie a été difficile. Cependant, nous y sommes arrivés. Mais une fois devant la salle, une queue immense se tenait devant les portes.
« Il paraît qu'il n'y a plus de place...
— Tu rigoles ? Je vais vomir mon petit-déjeuner, je dois entrer !
— Chacun son tour, je crois que je vais m'évanouir...
— Tiens le coup Howard, j'ai une idée... » ai-je dit à l'intention de Mona qui semblait toujours en piteux état dans mes bras.
J'ai fait demi-tour, soutenant toujours la Serdaigle par la taille. J'ai tourné à droite au bout du couloir et, comme je m'en étais douté, la deuxième porte de l'infirmerie, qui donnait sur la réserve de médicaments, était déserte. Une fois à l'intérieur, j'ai remarqué la cohue extraordinaire qui se jouait ici-même. Des élèves alités, d'autres qui vomissaient dans des seaux en métal, d'autres encore qui ingurgitaient des pilules, des potions, c'était un bordel monstrueux. J'ai repéré Madame Pomfresh entre deux lits occupés et je me suis dirigé vers elle.
« Madame Pomfresh, eh ! Madame Pomfresh ! ai-je crié à son attention. Je suis avec Mona Howard, je... J'crois qu'elle a un petit problème. »

« Par tous les sorciers, s'est écrié Madame Pomfresh. Miss Howard, c'est hier que je vous attendais ! »
Hier ? J'ai froncé les sourcils mais je n'ai rien dit.
« Suivez-moi mon garçon, a ajouté l'infirmière. Nous allons l'installer dans la pièce du fond. »
La pièce du fond ? De nouveau, j'ai eu l'air de ne rien comprendre. Personne n'avait jamais été dans cette salle secrète et tout le monde pensait que c'était là que Pomfresh rangeait toutes ces fioles, pour que personne n'y touche. Mais j'ai obéi et, soutenant toujours Mona dans mes bras, j'ai suivi Pomfresh jusque dans la pièce adjacente. Là, j'ai écarquillé les yeux. Je m'étais attendu à trouver des potions, des flacons, des herbes magiques, des ingrédients quelconques. Au lieu de ça, je me suis retrouvé face à une vraie machine bien moldue dont je ne connaissais pas du tout l'utilité.
« Installez-la sur le lit, a ordonné l'infirmière et je me suis exécuté. Il faut lui faire la dialyse sans plus tarder. Ce qu'elle a avalé hier, comme les autres, a du aggraver son cas. »
J'ai pas cherché d'explication, j'y connaissais rien en médecine et encore moins en médecine moldue. Le mot « dialyse » ne me disait rien du tout mais j'ai pensé que, vu l'état dans lequel était Mona, ça devait être assez grave. Du coup, j'ai gardé le silence, je n'étais pas là pour faire perdre du temps à Pomfresh.
Celle-ci a fait boire quelque chose à Mona puis lui a intimé de rester éveillée. Puis, elle s'est retourné vers moi.
« Vous, vous la gardez à l'oeil, m'a-t-elle dit. Comme vous l'aurez remarqué, j'ai d'autres patients à voir. Gardez-la éveillée !
— Hé, mais att... »
Trop tard, elle était partie. Sauf que moi, je ne voulais pas avoir cette responsabilité. Mona était bien gentille, mais si elle s'endormait ou que sais-je, je faisais quoi, si ça tournait mal ? Les situations de crise, je savais pas gérer.
« Je... je suis désolée... » a fait Mona d'une petite voix en se tournant vers moi.
J'ai soupiré en haussant les épaules. J'étais pas mal perdu et tous ces branchements reliés à Mona me donnait mal au coeur.
« C'est pas grave, ai-je répondu. Mais t'as intérêt à rester éveillée si tu veux pas que je te botte le cul... »
Je me suis assis sur une chaise au chevet de la Serdaigle et, les mains jointes sur mon ventre, je me suis mis à fixer le tableau qui faisait face au lit de Mona. Je ne savais pas quoi dire, je n'avais jamais été doué pour les conversations, c'était pas nouveau. Et puis j'étais persuadé que c'était tout aussi gênant pour Mona d'être surprise dans un moment de faiblesse.
Au bout d'un moment, j'ai craqué, le silence était devenu trop pesant.
« Tu veux boire quelque chose ? ai-je demandé en me redressant. Enfin, si tu peux, je sais pas. »

Quand Mona a accepté de boire quelque chose, je me suis levé brusquement, content de pouvoir échapper deux secondes à ce silence oppressant. Je me suis avancé vers la table contre le mur en face du lit de Mona, sur laquelle reposait une cruche d'eau, un verre vide et une boîte de biscuits secs.
« Tu me botterais vraiment le cul ? » a fait Mona.
Ça m'a fait sourire. J'ai secoué la tête de droite à gauche, comme si sa question était bête.
« Tu m'en crois pas capable ? » ai-je répliqué.
J'ai versé de l'eau dans le verre puis je suis retourné au chevet de Mona en lui tendant l'eau fraîche.
« C'est pas parce que t'es une fille et que t'es malade que je vais me gêner » ai-je ajouté, dans un sourire.
Puis je me suis laissé retomber sur la chaise en soupirant. J'ai essayé d'être discret en jetant un oeil à ma montre. Je ne savais pas trop combien de temps j'allais devoir rester là avec Mona, combien de temps on allait devoir faire semblant de ne pas être gênés alors qu'on fuyait le regard de l'autre, en silence. Parfois, je jetais des coups d'oeil en direction de la salle principale de l'infirmerie, d'où nous provenaient toutes sortes de bruits : des gémissements, des pleurs, des vomissements. Qui était à l'origine de tout ça ? Il ne fallait pas être diplômé d'Harvard pour le savoir.
Alors je me suis retourné vers Mona, le regard rivé sur son bras. Il fallait être tordu pour aller jusque là.
« C'est apparu quand ? » ai-je fait en désignant du menton l'inscription sur sa peau.

« Je sais pas, a fait Mona et j'ai froncé les sourcils. Je viens de le remarquer. ça a du apparaître cette nuit. J'ai rien remarqué hier. »
Silence. Puis elle a ajouté :
« Bah ... ça va sûrement finir par partir.
— J'espère », ai-je répondu, espérant qu'il ne s'agisse que d'une inscription et non d'un sortilège un peu plus poussé.
J'ai jeté un coup d'oeil sur mon bras, aucune inscription n'y était gravée. J'avais évité cette soirée comme la peste, j'avais bien fait, à voir le résultat, tous ces sangs-mêlés malades comme des chiens et marqués au fer rouge comme du bétail.
Puis j'ai levé les yeux vers Mona qui semblait éteinte ou fatiguée.
« Ça va aller ? Tu n'as besoin de rien d'autre ? ai-je demandé, avant d'ajouter, hésitant : C'est... C'est assez déroutant, ton truc. Tous ces fils... Ça ne te fait pas mal ? »
J'ai secoué la tête, ma question devait lui paraître idiote. Evidemment que ça ne devait pas faire du bien, les méthodes moldues sont réputées pour être assez barbares, en règle générale.

« C'est un moindre mal pour vivre, a fait Mona. Sans ça, je survis pas une semaine. Mon sang s'empoisonne lui-même, il n'y a plus aucun nettoyage... »
J'ai froncé les sourcils, une nouvelle fois, mesurant mal la gravité de la situation. C'est dur de se rendre compte qu'une élève qu'on côtoie chaque jour, de loin comme de près, puisse être dans une telle condition. Mona a du percevoir ma mine, car elle a tenté de me rassurer.
« Nan, mais, c'est pas grave, a t-elle dit.
— Si peu, ai-je fait en laissant échapper un petit rire sans humour.
— Tant que je reçois mon traitement, je reste une fille normale, a ajouté Mona. Je passe juste des soirées un peu spéciales. Le jour où j'aurai un nouveau rein, je pourrai arrêter tout ça.
— Ah oui, tu peux avoir un nouveau rein ? Mais... Les listes sont longues, non ? Ça peut prendre des années. Et en attendant ton nouveau rein, tu vas devoir passer toutes tes soirées ici ? Super... »
Passer des heures chaque jour à l'infirmerie, c'était horrible à imaginer, pour moi. Être dépendant de tous ces tuyaux, de ces machines barbares. Mona avait l'air sympa et la vie ne lui faisait pas de cadeau. Et les Serpentard non plus, d'ailleurs. Ils avaient failli la tuer, avec leurs conneries et ne s'en étaient même pas rendu compte. Ou ils s'en fichaient royalement, plutôt. Parfois, il m'arrivait de me demander pourquoi le Choixpeau Magique m'avait fait atterrir dans cette maison de tarés. Avais-je une ressemblance quelconque avec eux ? Surement...
« Tu ferais mieux de faire attention à ce que tu avales, la prochaine fois car à mon avis, ça, ai-je dit en pointant du doigt la marque sur son avant-bras, ça doit surement avoir un rapport avec ton malaise de tout à l'heure. Enfin... Ça a probablement du aggraver la situation. »
Au fond de moi, je me suis fait la promesse de mener mon enquête... Même si j'avais déjà une petite idée en tête quant à l'identité de l'organisateur de tout ça.