Alors qu'il faisait ses exercices d'italien hebdomadaires, Thorfinn ne pouvait s'empêcher de regarder les minces raies de lumières qui parvenaient étonnamment à se distinguer dans les eaux du Lac Noir depuis la salle commune de Serpentard. Il en concluait aisément qu'il devait faire un temps radieux à l'extérieur. Les jours commençaient à se rallonger. Le soleil brillait plus fort et plus longtemps. Ce temps ne lui donnait pas envie de rester là dans ce sous-sol à travailler. Il pouvait bien suivre sa leçon plus tard ! Et puis, il avait besoin de prendre l'air.
Il ramassa donc toutes ses affaires qu'il rangea ensuite négligemment dans son dortoir. Ne se laissant pas tromper par le soleil, il enfila son écharpe vert et argent pour affronter la fraîcheur extérieure. Il prit également au passage un livre, un roman de l'illustre auteur français Emilius Zelda, Au Bonheur des Sorcières dont il avait déjà lu la moitié. Un très bon récit.
Il sortit du château pour se rendre dans un coin du parc où il aimait bien aller pour lire. Un endroit où il était sûr de ne pas être dérangé et qui pourtant lui donnait une vue assez globale sur son environnement. Puis, soudain, il aperçut au loin une silhouette familière, des cheveux blonds et un étui à violon. Svetlana. Thorfinn fronça légèrement les sourcils, quelque peu mécontent de voir qu'elle était accompagnée. Il se stoppa lentement dans sa marche. De là où il se trouvait, il put la voir sortir son instrument comme si elle allait en jouer.
Autant dire que cette vision lui déplaisait fortement. Depuis de nombreuses années, Svetlana Vassiliev lui était promise. En toute honnêteté, c'était une personne qu'il appréciait et en qui il avait une certaine estime sans ressentir pour elle le moindre sentiment amoureux. Mais il désapprouvait que trop souvent ses fréquentations, parfois ses agissement aussi. Il y avait beaucoup de chose qu'il tolérait tant que l'union ne s'était pas concrétisé. Ceci dit, son égo avait du mal à accepter qu'elle puisse se laisser courtiser par d'autres hommes. Alors il s'approcha de la jeune femme et de son compagnon. Aussitôt quand il le vit, le garçon, un Poufsouffle, en question arrêta tout mouvement.
« Je vous dérange ? » demanda alors Thorfinn, passif agressif.
Il arriva rapidement au niveau du blaireau et de la Serdaigle. Il lança un regard froid à cette dernière avant de le retourner vers l'autre.
« Tu m'excuses ? J'ai quelques mots à dire à Svetlana. En privé. » dit-il, feintant avec hypocrisie la politesse, affichant un sourire méprisant.
Le Poufsouffle ne se le fit pas demander deux fois pour s'exécuter. Le ton de Thorfinn ne permettait aucune révolte. Il croisa les bras en se tournant vers Svetlana.
« Oh, c'est miraculeux. C'est la première fois que je peux enfin te voir plus de trente secondes. Ça fait combien de temps, dis moi ? Quelques mois, il me semble ? »
Il laissait très clairement transparaître son mécontentement et son agacement à travers sa voix, malgré son sourire qui n'avait de toute façon rien de réellement sympathique?

 

De son regard froid et inquisiteur, Thorfinn détaillait la jeune Svetlana qui se montrait insolente. Le défiait-elle ? Il n'avait pas pu avoir une conversation avec elle en tête à tête depuis des mois. Elle trouvait toujours un moyen de se défiler. Le jeune homme savait parfaitement pourquoi elle agissait ainsi. Les parents de la jeune fille tentaient désespérément de cacher la vérité. Mais le Serpentard sentait que quelque chose clochait et l'attitude de sa fiancée n'avait fait que confirmer ses doutes.
« Tu vas continuer de jouer à ce jeu ridicule encore longtemps ? »
Si elle le fuyait constamment, c'était bien qu'il y avait une raison. Thorfinn était persuadé que tout cela n'allait pas durer. S'il devait la contraindre, il allait le faire. Il connaissait Svetlana depuis des années. Il l'avait toujours connue comme étant sa promise. Si étant enfant, cela ne l'avait guère enchanté, il avait fini par l'accepter. Il la trouvait même jolie et respectable, voyait en elle une éventuelle bonne épouse. Pour ça, il pouvait à la rigueur accepter qu'elle fréquente d'autres hommes bien que cela lui déplaise. Ce n'était pas comme s'il avait la possibilité de l'envoyer dans un couvent entourée de vieilles sorcières bigotes. Mais il n'aurait pas penser qu'elle puisse fuir. Il n'allait pas accepter la situation. Il estimait avoir déjà été bien assez indulgent.
Svetlana leva ses yeux pour les confronter aux siens en s'adressant à lui. Elle les détourna bien rapidement pour se détourner, rangeant son violon dans son étui. Ainsi, elle lui demandait d'abandonner ce qui lui était dû depuis l'enfance ? Pour un de ses caprices d'adolescente ?
« Tu crois que ça fonctionne comme ça ? Que d'un claquement de doigt, comme cela te chante, tu peux t'en aller ? » répliqua-t-il, contenant à peine son agacement. « Tu crois vraiment que tu peux tout arrêter comme ça juste parce que tu en as envie ? Juste pour un caprice, une colère ou que sais-je ? Je ne laisserais pas cela se produire. Est-ce clair ? »
Il prit fermement le bras de Svetlana pour la faire le regarder dans les yeux. Il ne prenait pas sa fugue comme quelque chose de sérieux, ni comme quelque chose de durement réfléchi. Juste un truc de gamine. Il n'en voyait pas le fond.

 
Thorfinn n'était pas le genre d'homme à énerver. Il pouvait facilement se montrer agressif. Sa nature impulsive empêchait tout dialogue qui pourrait l'irriter. Svetlana se moquait de lui. De quoi lui déplaire. Il n'aimait pas le ton qu'elle employait pour lui parler. Il fallait qu'elle prenne un jour en considération qu'elle lui devait le respect. Et l'obéissance. Ah ça ! Thorfinn n'était pas un féministe. Il n'avait jamais appris à penser comme tel et ne comptait pas le faire. Elle lui faisait comprendre qu'il savait rien.
« Eh bah dis moi ! » s'agaça-t-il en renforçant sa prise sur son bras.
S'il était vraiment dans l'ignorance, il était très curieux ce que allait lui dire Svetlana. Il commençait déjà à s'impatienter. Leurs regards s'ancraient l'un dans l'autre, tous deux glaciaux. Aucun d'eux ne comptaient baisser les yeux. La Serdaigle lui expliqua que même si elle revenait, il allait la perdre de toute manière. S'il n'avait pas déjà les sourcils déjà froncés, Thorfinn les aurait froncés.
« C'est-à-dire ? »
Qu'allait-elle lui sortir comme ineptie ? Il l'écouta parler. Puis, quand vint cette histoire de malédiction, il lui lâcha son bras pour lâcher un rire sidéré et méprisant en se détournant d'elle. Quelle stupidité ! Encore une histoire de bonnes femmes. Autant dire qu'il n'y croyait pas un mot. Et c'était pour ça qu'elle fuyait ? Il espérait vraiment que ce soit une plaisanterie et qu'elle n'y croyait pas pour de vrai. Il passa la main dans ses cheveux en se retournant vers elle.
« Et t'y crois vraiment à cette histoire de malédiction ? » demanda-t-il, moqueur. « Tu ne crois sérieusement pas que ta famille est touchée par une malédiction, rassure-moi ? C'est juste de la parano. »
Il ne prenait pas ces explications au sérieux du tout. Les malédictions, c'était des trucs que l'on trouvait dans des histoires, de la fiction. Ou des trucs que l'on racontait dans les journaux pour faire des ventes à l'image de la Malédiction de Toutankhamon. Thorfinn voulait bien vouloir croire aux prophéties, mais pas aux malédictions.

 
Thorfinn était sceptique face à l'annonce de Svetlana sur cette prétendue malédiction. Il voyait cela comme une vaste blague. Si elle lui avait annoncé qu'elle croyait au Père Noël, il ne l'aurait à peine moins pris au sérieux. Il n'y voyait qu'un caprice d'enfant. Pourtant, sans ciller et avec le plus grand sérieux du monde, la jeune femme affirma de nouveau ce qu'elle avançait. Aussitôt après, elle lui lança une pique taquine pour se moquer de l'intérêt qu'il lui portait à ce moment même. Thorfinn la dévisagea en fronçant les sourcils. Non, il n'appréciait pas vraiment la taquinerie.
« Tu ne vas pas me faire croire que ton père croit à ces inepties ? »
Le jeune homme avait toujours partagé une bonne relation avec son ex-futur beau-père, lui semblait-il.  Ces dernières années, il avait commencé à l'emmener dans le fumoir ou à lui proposer de faire un billard sorcier en sa compagnie, montrant le fait qu'il commençait à le considérer comme un homme. Thorfinn avait une haute estime de ce Mr. Vassilev. Alors il espérait sincèrement qu'il ne croyait pas à cette stupide histoire de malédiction.
Svetlana s'amusait de la vigueur qu'employait le Serpentard pour la "récupérer".
« Si tu crois que je vais me mettre à genoux pour te convaincre, tu te mets la baguette dans l'œil. » Il était beaucoup trop fier pour s'abaisser à ça. « Je sais que tu es persuadé d'être dans la vérité, c'est pour ça que quoique je dise, même si j'ai les meilleurs arguments du monde, tu ne reviendrais pas dans l'état actuel des choses. Mais penses-tu que tes parents seraient fiers, là ? »
Lui, il aurait honte que sa fille agisse ainsi.

 

La vérité était que Thorfinn tolérait mal le fait que quelque chose lui ayant été dû depuis des années lui filait entre les doigts. Il éprouvait un sentiment de perte qui lui déplaisait fortement. Et aussi celui de ne pas savoir ce qu'il allait advenir. Il n'avait pas le contrôle. Cela ne le rendait-il pas un peu mauvais ?
Il eut ce qui sembla être les paroles de trop pour Svetlana qui, s'apprêtant à partir, fut brusquement volte face pour pointer sur lui sa baguette d'une façon menaçante. Il eut un mouvement de recul, surpris par cet élan. Il resta silencieux en écoutant les propos de la jeune russe. Pris au dépourvu, il n'était pas en position de répliquer. Il retenait même son souffle malgré l'énervement qui gonflait dans sa poitrine.
Sa fierté était contrariée. Il la fusillait du regard.
Svetlana lui rappela qui elle était. Ce que bien sûr Thorfinn n'avait pas oublié. Il se retenait de dire une chose qui aurait dépassé sa pensée. Qu'en Russie elle était peut-être quelque chose, mais qu'en Angleterre, elle n'était rien.
La Serdaigle finit par baisser sa baguette mais restait altière.
« C'est certain. » répliqua le Serpentard à ces ses dernières paroles d'une façon toute aussi hautaine. « Il y a bien dans ce haut pays des jeunes femmes tout à fait convenables et très certainement plus fiables. »
Ce n'était pas comme si Svetlana était irremplaçable, n'est-ce pas ? Et qui allait nettement mieux tenir ses engagements. Sans la saluer, Thorfinn se mit à retourner au château, la bousculant un peu au passage.