Octavius avait reçu une éducation pieuse. Dans son enfance, il allait à la messe tous les dimanches et les jours de fête avec ses grands-parents. Il avait, bien évidemment, été baptisé, fait son catéchisme et sa communion. S’il ne pratiquait plus vraiment le culte anglican, il croyait toujours en Dieu. Il avait développé sa propre façon de vivre sa croyance. Celle qui lui correspondait. Il voyait en Dieu une divinité bienveillante. Il croyait au Paradis après la mort. Mais il ne pensait pas qu’il faille être un bon chrétien pour y accéder. Juste une bonne personne qui faisait de son mieux pour les autres, pour le monde et pour lui-même. Ce pourquoi il ne dénigrait ni ne discréditait aucune autre croyance que la sienne.
Il voyait cette expérience du culte bouddhiste comme une aubaine. C’était pour ce genre de chose qu’il voyageait. Shannon ne voyait pas la situation du même œil. Octavius trouvait qu’il faisait preuve de beaucoup de mauvaise volonté et de négativité. L’irlandais ronchonnait à propos de la toge avant d’émettre un préjugé sur lui – qui était véridique. Il n’eut pas envie d’y répondre et le laissa parler.
« La croyance n’est pas nécessairement une question de prière. Cela va te permettre étonnant mais il y a des croyants qui ne prient pas. Ou pas habituellement. » répondit-il en se savonnant le corps. « Et puis il y a mille et une façons de prier selon les cultures et les cultes. Dans beaucoup de religions animistes en Afrique, je ne dirais pas toute car je n’ai pas la culture nécessaire pour l’affirmer sans l’ombre d’un doute,  l’action de sculpter une statuette équivaut à une prière. »
Octavius ne priait pas quotidiennement. Il avait du mal à trouver l’intérêt de prier tous les jours. La prière n’expiait aucun pêché et ne faisait pas d’une mauvaise personne une bonne personne. La prière, c’était une demande de soutien spirituel pour lui.
Une fois propre comme un sou neuf, il enfila sa toge qui était trop grande pour lui – et qui l’aurait été pour n’importe qui. Un moine vint les chercher et les conduisit en salle de prière pour une prière collective. L’anthropomage entendit son acolyte marmonner, implorant la Vierge. On les plaça à un endroit. Le cérémonial commençait. Octavius regardait attentivement les gestes des moines afin de les reproduire et se fondre dans la masse. Il admirait le calme solennel de ces hommes. Il était comme hypnotisé. En même temps qu’eux, il s’assit sur les talons.
Soudain, il fut interrompu dans sa contemplation studieuse et spirituelle par un pouffement de rire. Ouais. Un pouffement de rire venant tout droit de son voisin de gauche. Shannon !

Shannon avait tout au plus grandit avec les vieilles croyances de marins. Certains étaient croyants, d'autres athées, d'autres agnostiques et finalement, le jeune homme avait décidé de ne croire en rien. Ces vieux hommes se reposaient sur "Dieu" pour continuer d'avancer dans leur vie miséreuse, pensaient peut-être que ça irait mieux une fois que la vie serait finie. Pour lui, qui ne croyait certainement pas en une deuxième chance, ça sonnait faux. Et terriblement triste. Ils se complaisaient dans leur vie de misère, sans attache et sans dignité, comme si c'était normal. On ne pouvait pas vraiment dire qu'il avait beaucoup de dignité, le Shannon, on ne pouvait pas dire non plus qu'il ait une vie formidable malgré son manque de croyances. Au contraire. Mais l'irlandais vivait pour ce qu'il devait vivre, au moins ça. Il ne s'en faisait pas pour la Mort, l'après-vie, le paradis, ou toute autre connerie. Malheureusement, Octave ne pensait vraisemblablement pas la même chose. Le jeune homme pressentit un monologue au bout du troisième mot et lâcha donc l'affaire au quatrième. Il le laissa parler, malgré tout, sans rien dire, ni l'écouter, puis lorsque la voix de l'anthropomage s'éteignit, il lâcha, avec sa délicatesse habituelle : "Octavius. J'en ai rien à carrer de telle ou telle pratique de telle ou telle religion. Et j'en ai encore plus rien à carrer des statuettes religieuses". Mais vraiment, ça lui passait au dessus. Se retrouver coincer dans un monastère était peut-être un sale coup du karma après tout, il ne savait pas très bien.

   Ce qui était pire, au final, que de se retrouver dans une toge ridicule - et légèrement trop petite - c'était le foutu cérémonial. Tenu un peu à l'écart, dieu soit loué, Shannon devait furieusement s'empêcher de rire. Ce n'était pas tant du manque de respect mais surtout de se dire que ces mecs passaient leur temps à se prosterner pour un truc dont on avait même pas la preuve. Ça le tuait. Et lorsqu'il voulu jeter un regard à Octavius, cela le perdit. Concentré comme si sa vie entière en dépendait, le britannique semblait avoir les yeux qui allaient sortir de son crâne. Qu'est-ce qu'il trouvait fascinant à des hommes qui priaient en oubliant de vivre, sérieux ? Quand Octavius s'assit sur les talons - ce que lui-même ne fit pas, imaginez - c'en fut trop. Il ne parvint pas à retenir un pouffement de rire et il capta le regard noir du britannique. "Oh come on mate, c'est ridicule" lui souffla-t-il à voix basse de telle sorte que seul Octave pouvait l'entendre, "y'a que toi pour encaisser ça". Clairement, il n'y avait que lui. Shannon, les mains croisées dans son dos, en profita pour croiser les doigts en priant pour qu'Octave ne lui fasse pas un monologue sur l'enrichissement qu'apportaient les religions. Il ne saurait supporter un monologue de plus et tomberait raide endormit dans la salle de cérémonie.
   Les moines continuaient de faire leur petite vie, dans leur méditation presque intense avec de l'encens qui lui donnait envie de cracher ses poumons. Shannon n'était pas réputé pour être un grand fumeur bien qu'il s'en grilla une de temps en temps. Mais l'encens, c'était pire que tout. Tous les vieux souvenirs qu'il avait où il était traîné parfois à l'église pour Noël lui remontaient à la surface lorsqu'il sentait cette insupportable odeur. Il en vînt même à tirer une grimace entre ses pouffements de rire. Il n'en pouvait plus.

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C’était un fait : Shannon manquait de sensibilité. C’était comme ça. On ne pouvait pas y faire grand-chose. Et Octavius essayait de l’accepter quand bien même cela pouvait le faire se sentir offensé par moment. Il soutenait avec ferveur la liberté de penser, de croire ou de ne pas croire et ce, sans recevoir le jugement d’autrui. Ce dernier point faisait défaut à l’irlandais et l’anglais se sentit offensé par la manifestation d’un tel dédain. Mais il encaissa et prit sur lui comme il essayait de toujours le faire. Cela assurait au moins un semblant de bonne entente et d’harmonie entre eux. Comme Shannon ne semblait pas décidé à faire d’effort, Octavius s’efforçait autant bien que mal à en fournir pour deux.
Ils furent invités à rejoindre les moines pour une prière collective très codifiée. L’anthropomage suivit le cérémonial avec concentration, en mémorisant chaque geste, se demandant pourquoi ils étaient effectués de la sorte, s’interrogeant également sur leur symbolique. Mais il fut interrompu dans son étude contemplative par un rire provenant directement de son voisin, et malheureusement son acolyte. Il se tourna alors vers lui, avec le regard d’une mère reprochant silencieusement à son fils de glousser pendant la messe dominicale. Et le voilà qu’il pouffait de rire, en plus !
« Ce n’est pas parce que tout ça ne fait pas parti de tes standards que c’est ridicule. » s’outra Octavius avec un volume aussi bas que le malotru. « Il serait peut-être temps que tu songes à être plus ouvert d’esprit. Ou au moins respecter les croyances et la culture des au– Aïe ! »
Il venait de recevoir un petit coup de bâton. Un moine, pendant qu’il parlait, était venu dans son dos. Octavius et Shannon se firent réprimander – comble de l’injustice : ce dernier ne reçut pas de coup de bâton – dans un dialecte thaïlandais. Ils pouvaient néanmoins déduire logiquement qu’on leur demandait le sérieux et le silence. Mais pour être tout à fait franc, c’était difficile de prendre ce moine au sérieux. Il avait une drôle de tête et une façon de parler pour le moins risible. Cependant, Octavius se retint merveilleusement de rire, gardant une posture exprimant la plus grande humilité qui fut, la tête baissée pour qu’on ne le voit lutter pour garder son sérieux. Son visage affichait un sourire quand le moine repartit.
Shannon, pour sûr, n’allait pas avoir cette délicatesse. Pouvait-on être plus rustre que cet homme ? Certainement. Mais quand même !

La prière collective, c'était la cerise sur le couscous. En tout cas, pour un homme aussi désespérément agnostique que Shannon. S'il n'avait, en soit, rien contre les croyants, qu'on le force à arborer une attitude religieuse eh bien, cela le mettait grandement en rogne. Alors bien entendu, Octavius ne pouvait pas comprendre, il avait sa petite prière du jour, dieu merci. L'irlandais n'avait rien contre le fait de participer un peu à la vie du temple, monastère ou n'importe quel autre nom que ce lieu avait. Mais la prière, vraiment. Et Shannon étant Shannon, il fit remarquer son point de vue avec la délicatesse que l'on attendait de lui. Octavius, bien entendu, faisait office de rabat-joie de service. Comme quoi, le karma oeuvrait fort bien pour le faire taire, puisque ce ne fut pas Shannon, mais bien son acolyte qui se prit un coup de canne. Cela fit redoubler ses soubresauts moqueurs. « Sois ouvert aux autres cultures Shannon » répéta-t-il les paroles du britanniques, à voix basse certes, mais de façon très moqueuse, « pas de doute que lui est vachement plus ouvert d'esprit, puisqu'il nous force à être… » - Aïe ! C'était son tour ! Le moine qui dispensait les coups de bâtons lui donnait encore plus envie de rire. Il lui faisait penser à un cardinal, ou pire, à... « Tu trouves pas qu'il a un air de famille avec Picott ? ». C'est que, Apollon Picott lui en avait donné, des punitions. Certes pas à coups de cannes. Mais en tout cas, l'irlandais avait été trop collé pour se rappeler précisément des raisons qui l'avaient conduis à se retrouver en tête à tête avec le concierge. Il avait entendu dire qu'il avait pris sa retraite et ne savait pas comment prendre l'information - en avait-il quelque chose à faire ? Fondamentalement, non. A tous les coups, celui qui suivait était pire que lui. Il n'y tînt plus et dû baisser la tête correctement pour ne pas exploser de rire. S'imaginer une histoire alambiquée où Apollon est le frère caché de ce moine, ça le tuait. Qu'est-ce que penserait le vieux concierge de ces pensées ? Nul ne le sait.