Il était plus que raisonnable de dire que Rosmerta, ou Madame Rosmerta, comme le plus grand nombre l'appelait maintenant, était mariée à son travail. Elle se levait travail, marchait travail, pensait travail. A moins que... le travail soit sa vie ? Depuis qu'elle était propriétaire, elle avait dit adieu aux horaires réguliers, bonjour à la course aux factures et à l'art de la multitâche. Et pourtant, elle ne le regrettait pas un seul instant : les Trois Balais était à la fois son fidèle époux et sa précieuse progéniture. Comme tous les enfants (et époux, à ce qu'elle avait pu glaner derrière son comptoir et d'expérience, les hommes pouvaient demander autant de travail que des petits enfants) son pub-auberge demandait beaucoup d'attention, de sacrifices et de volonté. Rien dont Rosie manque. Pour faire tourner son commerce à elle-seule, elle ne comptait pas ses heures... Mais elle ne se plaignait pas. Au contraire ! Elle aimait être occupée, elle aimait s'activer dans tous les sens et que son établissement soit comme un port pour les âmes esseulées en quête de compagnie -humaine ou alcoolisée-, en quête d'une oreille tendue... Elle aimait voir passer tant de monde, d'individus différents, uniques, qui enrichissaient sa vie à leurs façon. Les clients des Trois Balais n'étaient pas juste des clients anonymes, ils étaient des petites pièces d'échec taillées à la main qui nourrissait la curiosité de sa propriétaire.

C'était un jour de semaine, à l'heure de fermeture de la plupart des commerces de jour, ainsi que la sortie du travail. Le pub était fermé le matin (mais pas l'auberge, bien sur) mais ouvrait aux alentours de midi pour ceux qui voulaient prendre un verre avant ou après manger. Mais c'était dans l'après-midi qu'elle faisait le plus de clients. Vers dix-sept heures, du monde aurait du commencer à arriver, au grand plaisir de Rosie. Elle n'aimait pas les heures creuses... Elle aimait les lieux vivants, chaleureux, lorsque les voix et rire composaient comme une musique bien plus entraînante que toutes les chansons des Croques-Mitaines.

Mais toute la journée avait été... creuse. Il n'y avait eu que peu de passage dans le village, ce qui ennuyait toujours énormément Rosie. Et l'ennui, elle ne supportait pas ça. Heureusement, il y avait toujours quelque chose à faire, même si ce n'était pas directement relié au pub. Elle était donc descendue à la réserve vérifier les stocks de boissons, en laissant un serveur gérer la salle. Elle n'avait ni comptable, ni personne pour la conseiller. C'était juste elle et son bon sens, un vrai flair pour les bonnes affaires. Rosie perd un peu toute notion du temps, occupée comme elle l'est, et fini par remonter par la petite porte derrière le bar avec quelques bouteilles d'hydromel sous le bras et une feuille de papier bien remplie.

« Oh, Cecil ! Bonsoir ! » Quand elle était descendue, il n'y avait qu'une poignée de clients, dont Phineas, qui vivait quasiment ici depuis que sa femme l'avait quittée. Il n'y avait qu'un client en plus, la touffe rousse familière de ce grand dadais qui travaillait non loin. Avec un sourire chaleureux, la sorcière toujours parfaitement mise en beauté - même après un tour dans les dessous du décor - pose ses charges sur le comptoir. « Tu as tout ce dont tu as besoin ? Je ne pensais pas qu'il était déjà si tard, vois-tu, je ne prend pas de plaisir à faire les comptes et autre méli-mélo administratifs, mais il faut bien. » qu'elle ajoute sans perdre son sourire, d'autant plus bavarde lorsqu'il s'agissait d'un village familier. Elle attrape une vieille plume rangée dans un tiroir pour faire le total de ce qu'elle avait compté en bas. La pauvre plume ne ressemblait plus à grand chose, c'est qu'elle l'avait accompagnée depuis sa sortie de Poudlard, rien que ça ! Elle s'assure d'un regard que la pinte du jeune homme est bien remplie, et d'un œil coup d'œil d'habitude que tous ses clients sont à leur aise. « C'est trop calme aujourd'hui. » confie-t-elle parce que entre propriétaires de commerces, ils avaient plus ou moins les même problèmes et priorités de tous les jours.

Rosie n’était pas vraiment du genre à se plaindre en général, mais râler de temps en temps c’était vraiment sain, surtout quand le camarade évoluait dans un milieu un peu similaire. Et puis, c’était bon pour la santé de se plaindre des difficultés d’être commerçant dans un monde ou le gouvernement ne faisait rien pour les aider, avec ou sans menaces d’attentats ! A croire qu’ils voulaient décourager les jeunes de suivre leurs rêves et être leurs propres patrons pour s’enfermer dans les bureaux du Ministère comme tant de petites fourmis obéissantes. Mieux valait ne pas partir sur des débats politiques avec Rosie, car elle avait des idées bien arrêtées… « Ah ça oui ! » Elle était fière, très fière de gérer ses chiffres autant que ses clients, et la véritable surprise de Cecil fait plaisir à voir. « On ne peut pas dire que je suis Einstein, mais j’ai appris à me débrouiller. Je trouve les maths plus simples que la plupart des matières qu’on avait à Poudlard… » La référence moldue sort toute seule, parfois elle gardait encore des restes de ses longues années sans connaissance du monde magique. Et dire qu’elle était un vrai cancre, à l’école… Une des dernières de sa promo, qui avait plus d’une fois songé à abandonner ses études, juste jeter l’éponge. T’es vraiment une idiote lui souffle la voix persifleuse de son manque de confiance en elle, entre autres innombrables doutes qui lui passent par la tête tous les jours. Mais pas question qu’elle les exprime tout haut, surtout pas à quelqu’un comme Cecil, qu’elle apprécie mais ne connaît pas suffisamment pour partager autre chose qu’une conversation sympathique et chaleureuse. Mais, après tout, n’arrive pas toujours ce qu’on prévoit… « Ah, ne me lance pas sur tous ces voleurs de verres, j’en ai arrêté tellement que j’aurais pu être tireuse de baguette ! Mais merci pour le compliment. » Elle rit doucement, amusée.

Elle lui offre un sourire compatissant lorsqu’il avoue s’être ennuyé, mais ne l’interrompt pas et le laisse continuer sa petite tirade. Rosmerta aimait écouter, et en plus elle était douée pour ça, plus que pour les chiffres sans doute. Mais puisque l’un allait difficilement sans l’autre, elle s’était adaptée. Et c’est vrai qu’en l’écoutant, elle réalise que la comparaison de son pub et de la boutique de plumes de Cecil était un peu grossière… Ce qu’elle n’avait pas vraiment réalisé avant, en mettant tous les commerçants dans la même chope. « Nah, t’as raison, ce n’est jamais vraiment vide. » Sans ça elle serait bonne pour mettre la clé sous la porte. Son affaire était prospère, ce n’était pas le soucis, les Trois Balais était un des préférés des sorciers ce dont elle était très heureuse… Rosie prend un air concentrée, il l’avait surprise là, avec sa question beaucoup plus profonde que prévu. « Bonne question. » Elle essuie par habitude la surface pourtant scintillante de propreté de son bar. « Je pense que ça dépend de la raison pour laquelle on a choisi de devenir commerçant. Moi, je ne m’ennuie jamais. Sans ce pub, par contre ? Je ne sais pas ce que je ferais. » Sans détours, elle révèle cette vérité qui était que, sans on pub, elle n’avait pas grand-chose en dehors de son frère. Elle n’avait pas voulu en révéler autant, mais bon, c’est Cecil, ce n’est pas comme s’il avait des arrière-pensées cet adorable écureil. « Toi, pourquoi est-ce que tu as choisi ce job ? Comment t’en es arrivé là ? »