Raphaël la regarda avec étonnement. Non, il n'y avait jamais pensé. Il n'avait qu'une vague idée de l'endroit où elle vivait. La Malaisie était un petit pays, mais même si Kylee demeurait la plupart du temps à la capitale, Raphaël avait appris de Jonas qu'elle voyageait suffisamment pour qu'il soit difficile de la croiser volontairement dans les rues de Kuala Lumpur. Alors il avait abandonné cette idée d'aller la retrouver à l'autre bout du monde. Bien sûr, il ruminait cette envie depuis plusieurs années, mais tant l'école que sa famille se révélaient être des obstacles à un tel projet. Jonas s'y était rendu dans le cadre d'un stage d'archéologie, cachant derrière ce prétexte un moyen de la rencontrer enfin. Et Raphaël avait vu les photos à son retour - elles montraient une jeune femme brune, de grande taille, assez fine et au visage rieur. La peau légèrement colorée par le temps malaisien, les yeux pleins d'étoiles, elle serrait Jonas dans ses bras à la terrasse d'un café traditionnel. Une image idyllique ; le symbole de tout ce que les Febvre ne seraient jamais.

Peut-être, un jour, répondit-il, les yeux dans le vague. Pour l'instant, j'apprends à la connaître à travers Jonas. Peut-être que j'ai besoin de temps, après tout. L'existence de Kylee détruisait l'image de parfaite petite famille bourgeoise que les Febvre transmettaient autour d'eux. Après avoir été élevé dans ce cadre très particulier, Raphaël avait dû s'habituer à l'idée que finalement, rien n'était parfait dans leur petit monde. Et puis Jonas refusera de me donner son adresse. Il l'a déjà fait. Pour me protéger, d'après lui. Il haussa les épaules. Raphaël avait une confiance aveugle en son grand frère et n'oserait jamais discuter une de ses décisions. Alors il acceptait de ne connaître que des fragments de la vie et de la personnalité de Kylee.

Changeons de conversation ! s'exclama-t-il alors. Ce soir, on dîne au restaurant avec Jonas avant d'aller chez nous. Tu as une envie particulière ? Chinois ? Japonais ? Italien ? Philippin ? Ou bien anglais ? ajouta-t-il avec un clin d'oeil.

Le Français esquissa un sourire lorsque Vesper déposa un baiser sur sa joue. Le changement d'atmosphère fut radical, lorsqu'il aborda le sujet du dîner. Il éclata de rire en voyant les étoiles dans les yeux de Vesper puis trouva une idée pour régler le problème. Je sais ! On va prendre à emporter dans plusieurs restaurants et on mangera tout ça au pied de la Tour Eiffel ! Tu en dis quoi ? Tout sourire, il sortit un plan de Paris de son sac et le déplia sur leurs genoux. Regarde, c'est là la Tour Eiffel. Tu verras, c'est absolument magnifique ! Et si on a le temps, je t'offrirai le déjeuner au Jules Verne, le restaurant de la Tour Eiffel. Tu vas voir, on y mange comme des rois !

Le trajet continua, les deux amis discutant de gastronomie, de Paris et de toutes les beautés qu'ils allaient être amenés à voir. Le train s'arrêta en gare de Paris et Raphaël fut le premier à sortir, ravi d'entendre parler français tout autour de lui. Un immense sourire aux oreilles, il sortit ses bagages et aida Vesper à en faire de même. Bienvenue à Paris, dit-il en français à son amie avant de traduire, puis de l'attirer vers la sortie, où Jonas devait déjà les attendre. Le beau brun se hissa sur la pointe des pieds pour tenter d'apercevoir la frimousse qu'il aimait tant et, alors qu'il désespérait, un grand blond fendit la foule et le serra dans ses bras. Rapha ! C'est génial de te voir, frangin ! Alors, où est-elle cette Vesper dont tu me parles depuis six ans ? Raphaël s'écarta pour laisser la place à sa meilleure amie, que Jonas prit sans hésiter dans ses bras, avant de lui lancer un Enchanté en français, tout sourire. Puis il bascula en anglais, afin qu'elle suive l'échange. Bienvenue à Paris, Vesper. J'espère que tu as fait bon voyage et que mon petit frère ne t'a pas pourri la vie ! s'exclama-t-il en attrapant Raphaël par les épaules, avant de prendre la valise de Vesper et de rejoindre la sortie et le taxi qui les attendait.

Spoiler:

Jonas semblait particulièrement aux anges de rencontrer Vesper. Raphaël regardait les deux jeunes gens, un peu en retrait et amusé par la situation. Jonas était très expansif, surtout comparé à lui. Et pour la première fois aussi longtemps qu'il s'en souvienne, sa meilleure amie avait l'air intimidée. Pourtant, l'aînée Febvre n'était ni particulièrement grand, ni particulièrement baraqué. Lui et Raphaël avaient la même morphologie, quoique Jonas fût un petit peu plus grand que son cadet.

Lorsque le trio fut installé sur la banquette arrière, le taxi démarra en direction de la demeure Febvre, où ils déposeraient leurs valises avant de retourner au centre ville. Sur le trajet, Raphaël laissa Jonas déblatérer le speech habituel fait aux nouveaux arrivants, comme quoi Paris était la plus belle ville du monde, que ses monuments étaient absolument à visiter et qu'effectivement, le séjour allait s'avérer sportif. Le jeune homme en profita pour admirer les rues de sa ville natale. Qu'elles lui avaient manqué. Finalement, il s'était habitué au calme - plus ou moins relatif - de Poudlard et de Pré-au-Lard et en avait presque oublié le trouble et le vacarme de son cher Paris. Le taxi traversa la ville et finit par entrer dans une petite impasse bordée de hauts portails pour aller se garer tout au bout, devant un portail peint en vert. Bougez pas, je dépose vos bagages et on est repartis, lança Jonas en sortant du véhicule. Raphaël posa un regard inquiet sur le portail lorsqu'il s'ouvrit. Heureusement, ni son père ni sa mère ne venaient les accueillir. Juste leur domestique. Le Français lâcha un soupir de soulagement. Tu comprendras rapidement pourquoi je n'ai aucune envie de voir mes parents, dit-il pour tenter d'expliquer la situation à son amie. Il espérait qu'ils décideraient de sortir ce soir-là, les laissant tranquilles pour au moins leur première soirée à Paris.

Alors que Jonas regagnait le taxi, le claquement familier des talons de Jenna sur les galets de l'allée glacèrent le sang de Raphaël. Elle apparut alors à l'entrée, dans toute sa glaciale beauté. Ah vous voilà, je vous attendais, dit-elle avec un grand sourire. Sortez donc un instant, vous avez toute la soirée pour vaquer dans Paris ! ajouta-t-elle en ouvrant la portière du côté de Raphaël. Les deux frères échangèrent un regard, puis le serpentard sortit de la voiture. Il laissa sa mère le serrer dans ses bras avant de s'écarter à une distance raisonnable. Jenna, je te présente Vesper Carmichael. Vesper, voici Jenna Febvre, dit-il d'un ton plat. Maman Febvre se para de son plus beau sourire et plaqua la bise à la jeune fille. Je suis enchantée de vous connaître enfin, mon fils m'a tellement parlé de vous ! Raphaël leva les yeux au ciel. Il ne lui avait jamais parlé de qui que ce soit de son entourage. Il lança un regard à son frère qui lui sourit maladroitement. Jonas, bien sûr, comme à chaque fois. Bon, ben tant qu'on est là, autant monter nos affaires nous-mêmes, lâcha Raphaël en coupant sa mère qui dissertait déjà sur les beaux cheveux blonds de Vesper et son sourire timide. Raphaël prit son amie par l'épaule et de l'autre main, attrapa sa valise. Le trio rejoignit le manoir Febvre, remontant l'allée de galets parfaitement taillés. Ils montèrent au troisième étage et, une fois les valises lancées sur le lit, Raphaël referma la porte de sa chambre et se laissa glisser sur le parquet, le dos appuyé contre la porte. Désolé pour ce cirque, dit-il enfin en affichant une moue d'excuse.