Le petit garçon laissa retomber mollement sa main le long de son corps. Il afficha une moue boudeuse. Les grands étaient tous les mêmes finalement ; ne touche pas à ça, enlève tes doigts, attention, c’est chaud, ça brule, attention, ne monte pas là, tu vas tomber… Il ne serait pas vraiment étonné si son nouvel ami lui demandait maintenant de ranger sa chambre ou bien d’aller prendre sa douche. Glen croisa les bras et toisa en silence l’étrange garçon. Il en avait marre qu’on le prenne pour un petit, il avait cinq ans tout de même, c’était pas mal, ça faisait cinq doigts, une main entière en fait. Sans rien dire, il se dirigea vers la commode, tout au fond de sa chambre, et en ouvrit un des tiroirs. Il fouilla pendant quelques secondes à l’intérieur, jetant par-dessus son épaule, tantôt une voiture de playmobil, tantôt un dinosaure en plastique. Puis ayant trouvé son bonheur, c’est-à-dire un pistolet à bouchon et un chapeau de cow-boy qu’il s’empressa de visser sur sa petite tête, il se retourna vers le sorcier.
-Ne bouge plus, Gringo, tu es fait ! lança Glen d’une voix faussement grave et menaçante tout en braquant son arme sur le jeune homme. Jouer au shérif était son jeu favori. D’habitude, il jouait seul. Il s’inventait des bandits à attraper et les enfermait au cachot symbolisé par son placard à vêtements. Je suis le terrible Sheriff Warnen. Il fit trois pas en avant. Si tu tiens à la vie, jette ton bout de bois. Le visage du petit garçon s’illumina bien malgré lui. Pas de doute, son nouvel ami ne pouvait pas résister. Il était le terrible Sheriff Glen Warnen .
Soudainement, un hurlement déchira la nuit. L’enfant sursauta et écarquilla les yeux ; ce cri… c’était la voix de son père…

Gordon Warnen s’effondra à genou sur le sol, les yeux fixés sur les lattes du parquet. Il n’osait relever le regard, de peur de croiser le corps sans vie de sa femme. Car pas de doute, Ellen était morte. Morte. Cela lui semblait si irréel, tellement cauchemardesque. Le père de famille avait la bouche entrouverte, comme si le hurlement de désespoir poussé quelques secondes auparavant était resté coincé en travers de sa gorge. La voix du sorcier résonna entre les murs du salon dévasté. Une de perdue, dix de retrouvées… Cet homme était le diable. Le diable en personne. Tout droit sorti des enfers pour venir chercher sa famille. Car Gordon savait comment finirait la soirée, il n’était pas dupe. Le diable ne partirait pas d’ici sans avoir accomplit son travail. Il réussit à fermer la bouche et bien malgré lui, se releva péniblement pour faire face au sorcier. Quoiqu’il puisse arriver, il ne mourrait pas en lâche. Il se battrait pour ce qu’il resterait de sa famille. Le patriarche se saisit d’un pied de chaise cassé jonchant le sol et le pointa en direction du sorcier comme il aurait pu le faire avec une batte de baseball.
- Pour la dernière fois, je vous demande de sortir de ma maison…  Gronda-t-il d’une voix tremblante de fureur et de peur.

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Le petit garçon posa le pistolet en plastique sur son lit. Des tas de questions se bousculaient dans sa tête. Tout d’abord ce cri. Jamais son père n’avait crié de la sorte. Quand il lui disait pour la cinquième fois d’aller se mettre en pyjama, ou quand il l’appelait pour venir à table, il avait cette grosse voix qu’ont tous les papas quand ils veulent faire peur. Mais là, ce n’était pas pareil, cette voix était plus aigüe. Elle ne faisait pas peur, elle vous glaçait le sang. Un mélange de désespoir et d’effroi. Jamais Glen n’avait entendu ce son sortir de la bouche de son père. Que se passait-il en bas ? Etait-ce le monstre de sous son lit qui avait fini par descendre les escaliers pour rendre visite à ses parents ? Si c’était cela, il fallait qu’il aille aider son père, sa mère. Il ne savait pas vraiment à quoi ressemblait le monstre, mais il était presque sûr qu’il avait de grandes dents pointues et tranchantes. Tout seul, le petit garçon aurait eu peur d’y aller. Mais là, c’était différent, il avait un ami.
- Je suis vraiment désolé.
Glen ne comprenait pas pourquoi son ami était désolé. Désolé de quoi ? Le jeune homme avait un peu l’air malheureux. Peut-être avait-il peur aussi. Peur du monstre. Peut-être qu’il était désolé de ne pas pouvoir l’accompagner au rez-de-chaussée. Peut-être qu’il s’excusait de ne pas pouvoir l’aider à affronter le monstre. Les yeux du petit garçon se remplirent de larmes. Il était tout seul. Il ne pourrait jamais sauver ses parents. Avec la manche de son pyjama, il essuya ses yeux puis enfonça son chapeau un peu plus encore sur sa tête.
- Le terrible Sheriff Glen Warnen n’a pas peur du monstre de dessous le lit, dit l’enfant d’une voix tremblotante. Et toi non plus, tu n’as pas peur, Gringo. Glen attrapa la main de son ami, celle qui ne tenait pas le bout de bois, et le tira vers la porte de sa chambre. A nous deux, nous terrasserons le monstre.


Gordon se trouvait stupide avec son pied de chaise dans la main. Il avait vu cet homme tuer sa femme à distance à l’aide de sa baguette. Clairement, il ne ferait pas le poids avec son pied de chaise. D’un revers de main, il essuya son front trempé d’une sueur froide et collante. Alors que l’homme le narguait de sa voix trainante, les pensées du patriarche se dirigèrent vers son fils. Tout semblait calme là-haut. Glen était-il toujours en vie ? Ou bien le jeune sorcier l’avait-il… La main de Gordon tremblait. Il ne pouvait laisser de telles pensées traverser son esprit. Et pourtant, cela n’empêcherait pas les évènements de se produire… Sa femme était déjà morte… morte… Lui-même le serait bientôt…  Quel avenir pou… Le père de famille écarquilla les yeux tandis que le pied de chaise lui échappait des mains, interrompant le cours de ses pensées. Puis sans prévenir, le morceau de bois revint sur lui et plongea dans sa poitrine. La douleur fut fulgurante, insoutenable. Gordon ne pouvait crier, l’air lui manquait. Il sentait ses poumons se vider petit à petit sans qu’ils ne puissent se remplir à nouveau. Il tomba à genou sur le sol du salon, se tenant la gorge, tentant de trouver l’air, mais en vain. L’homme s’était approché de lui, pour le narguer une dernière fois. Il parvenait à entrevoir son visage lisse malgré sa vision de plus en plus floue. Le sang affluait dans la gorge de Gordon et remplissait sa bouche d’un immonde goût de fer. Il étouffait, se noyait dans son propre sang. Puis le sorcier retira le pied de chaise, laissant le sang se répandre sur le parquet du salon. Le père de famille s’écroula. La douleur disparut, sa vue se brouilla un peu plus encore, puis ce fut le noir complet.

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